Le temps presse, vient de répéter Klaus Regling, le chef allemand du MES, le mécanisme européen de stabilité. De Grèce, les nouvelles alarmistes se multiplient. Dóra Bakoyánnis, une ancienne ministre des Affaires étrangères de la droite, craint un «vendredi noir» pour le 29 mai, à la veille du long week-end de la Pentecôte orthodoxe: il n’y a aura plus d’argent liquide dans les banques. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement de la gauche radicale, Níkos Voútsis, avertit les créanciers que la Grèce sera dans l’incapacité de rembourser ce qu’elle doit au Fond monétaire international dans les prochains jours. Il a été immédiatement démenti par le porte-parole du même gouvernement.
La Grèce se comporte déjà comme un État en faillite, écrit le New York Times. L’État ne paie pas ses fournisseurs et racle les fonds de tiroirs pour verser les salaires et les retraites. Demain, il lui manquera 100 millions d’euros par jour pour faire face à ses obligations. À partir du 5 juin, quand certains crédits du FMI viendront à échéance, ce sera 400 millions par jour. La croissance s’effondre, les rentrées fiscales diminuent, les capitaux s’enfuient à l’étranger.
Pendant ce temps, les négociations au bord du gouffre continuent entre Athènes et les «institutions» (Banque centrale européenne, Commission de Bruxelles et FMI), qui ont remplacé dans la novlangue européenne la «troïka», composée des trois mêmes organismes. Ce changement a été fêté par le gouvernement de la gauche radicale comme un premier succès. Pour l’instant, c’est à peu près le seul.
Le Premier ministre de Syriza, Alexis Tsipras, et les partenaires européens pratiquent ce que les Américains appellent le «chicken game» (poule mouillée), immortalisé par le film de Nicholas Ray La Fureur de vivre (1955). Deux voitures foncent vers le précipice; le premier conducteur qui saute du véhicule, le plus trouillard, a perdu. Les négociateurs des deux camps attendent le dernier moment en comptant que l’autre fera à l’ultime minute les concessions qui assureront un accord au moindre coût.
Mais, dans le film, Buzz, le compétiteur de Jim, joué par James Dean, coince la manche de son blouson dans la poignée de la portière et ne peut pas sortir avant le saut mortel dans le vide. Face à des partenaires européens qui ne souhaitent pas un «Grexit», une sortie de la Grèce de la zone euro, tout en étant prêts à en assumer les conséquences, Alexis Tsipras, pour gagner du temps jusqu’à l’extrême limite, ne risque-t-il pas de subir le sort de Buzz?
Déchanter face aux «institutions»
Il est vrai que sa situation n’est pas facile. Pendant la campagne qui l’a conduit à gagner les élections du 25 janvier, il s’était engagé à rompre avec la politique d’austérité imposée par l’infâme «troïka», à renégocier les réformes mises comme conditions aux prêts accordés par l’Europe et le FMI, à exiger un effacement de la dette et à mener une politique économique tournée vers la croissance. Il a dû déchanter. Les «institutions» tenaient au respect des engagements pris au nom de la Grèce par les précédents gouvernements et n’étaient pas disposées à verser la dernière tranche de 7,2 milliards d’euros du deuxième plan d’aide, sans lesquels le pays était menacé de faillite.
Pour tenter de faire fléchir les créanciers, le gouvernement de la gauche radicale a tenté diverses tactiques. Sûr de son fait, le ministre des Finances, Yánis Varoufákis, a bousculé ses collègues de l’Eurogroupe. Loin de les impressionner, il les a indisposés, à tel point qu’Alexis Tsipras s’est vu obligé de l’encadrer par des négociateurs moins flamboyants mais plus compétents.
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Le Premier ministre a essayé de diviser les Européens en ciblant l’Allemagne, et en particulier le ministre des Finances Wolfgang Schäuble, pour s’appuyer sur «la gauche» européenne. À part quelques bonnes paroles, il n’a toutefois rien obtenu ni de Matteo Renzi, ni de François Hollande. Il a aussi essayé de jouer l’Europe contre le FMI en espérant que la Commission se montrerait plus compréhensive que Christine Lagarde. En vain. Le Parlement allemand, qui aura son mot à dire sur le versement éventuel de la dernière tranche de crédit, n’est pas seul à exiger la présence du FMI comme gage de sérieux.
Alexis Tsipras doit convaincre la population grecque et d’abord ses électeurs qu’il s’est battu jusqu’au dernier moment pour éviter la poursuite de l’austérité
Le parallèle entre les réparations dues par l’Allemagne au titre de l’occupation nazie et la dette grecque actuelle a également fait long feu, même si, grâce au président Joachim Gauck, l’opinion allemande a évolué sur ce point et est maintenant prête à envisager le financement d’une fondation.
Le spectre d’un renversement d’alliances a flotté au-dessus des négociations. La gauche de Syriza, opposée à tout compromis avec les créanciers, est toujours à la recherche d’un plan B et de financements de remplacement, du côté de la Russie, voire de la Chine. Alexis Tsipras a été reçu à Moscou, en avril, avec tous les honneurs dus à un trublion mais il s’est vite rendu compte que les prévenances de Vladimir Poutine à son égard ne remplaceraient pas les milliards de l’Europe et du FMI.
Forcer le soutien de Syriza
Pendant ses quelque cinq mois au pouvoir, le Premier ministre grec a cherché avant tout à gagner du temps pour retarder au maximum les annonces qui seraient douloureuses, à défaut d’un lâcher de lest de la part des partenaires européens. Alexis Tsipras doit convaincre la population grecque et d’abord ses électeurs qu’il s’est battu jusqu’au dernier moment pour éviter la poursuite de l’austérité. Ce n’est pas gagné. Il a beau rester populaire, seuls 35% des Grecs disent soutenir sa tactique de négociation, contre 75% en février. Cependant, 70% sont toujours favorables au maintien dans la zone euro.
Il doit aussi phagocyter l’aile gauche de Syriza, elle-même divisée en deux tendances: ceux qui veulent rester dans l’euro, mais pas à n’importe quel prix, et ceux qui prônent un retour à la drachme. Dimanche 24 mai, lors d’une session du Comité central, la motion de la gauche présentée par le ministre de l’Énergie Panagiótis Lafazánis refusant tout compromis avec Bruxelles et le FMI a été rejetée par 95 voix seulement contre 75 et 30 abstentions.
Pour forcer le soutien de son parti et de son groupe parlementaire, le Premier ministre a le choix entre deux armes: le référendum, pour ou contre l’accord éventuel, et surtout de nouvelles élections générales. Celles-ci auraient deux avantages: faire taire les contestataires au sein de Syriza s’ils veulent retrouver leur siège de député, et donner un mandat renouvelé à Alexis Tsipras pour négocier un troisième plan d’aide –on parle de 50 milliards d’euros– qui impliquera de nouvelles réformes impopulaires.