La légende de la boxe Mohammed Ali est morte, vendredi 3 juin 2016, à Phoenix à l'âge de 74 ans. Nous republions ci-dessous un article de 2015 consacré à une photo d'un de ses combats, l'un des clichés de boxe les plus célèbres de l'histoire.
Le cliché a un jour été sacré par Sports Illustrated «photo de sport la plus célèbre de tous les temps» et L’Equipe magazine a choisi le photographe et son «modèle» comme duo pour la couverture d’un numéro spécial photo. Il est entré dans la mémoire collective, illustre d’innombrables affiches et tee-shirts. On y voit Mohammed Ali, la bouche grande ouverte dans un cri, le bras gauche le long du corps, le bras droit replié sur le cœur, contemplant son adversaire Sonny Liston, à terre.
Quinze mois plus tôt, et deux jours seulement avant d’annoncer sa conversion à l’Islam, celui qui s’appelait encore Cassius Clay avait battu Liston par KO, en six rounds, pour devenir champion du monde des lourds. Ce 25 mai 1965, le remake va durer beaucoup moins longtemps, à peine deux minutes, le temps pour Liston de s’effondrer, apparemment touché par un direct du droit d’Ali –on dit «apparemment» car le direct est entré dans l’Histoire sous le nom de phantom punch, et qu’on ne sait pas s’il a vraiment touché sa cible. Le cinquantenaire du combat est célébré ces jours-ci par la presse anglo-saxonne à travers de nombreux et passionnants articles.
L’Iowa Review raconte ainsi, en longueur, l’histoire de la photo légendaire prise par Neil Leifer, dans un article republié par nos confrères de Slate.com. «Tout ce que vous imaginez au début à propos de cette image est faux», prévient le journaliste Dave Mondy. On pourrait croire que la photo est devenu instantanément célèbre: en fait, elle n’a pas été remarquée sur le moment, et n’a même pas remporté de prix quelques mois plus tard quand elle a été présentée à un concours. On pourrait croire qu’elle symbolise un combat acharné: en fait, celui-ci a donc été extrêmement bref, et ce qu’on voit Ali pousser, ce n’est d’ailleurs pas un cri de triomphe mais un «Relève-toi et bats-toi, mauviette!».
Tout était étrange ce soir-là, à l’image de cet hymne national chanté de travers par un crooner canadien qui se trompa sur les paroles du Star-Spangled Banner. Une autre des originalités de ce combat, c’est son lieu: pas Las Vegas, ni Miami comme le premier match, ni Boston comme cela était initialement prévu, mais Lewiston, une ville du Maine de 40.000 habitants à peine. Il faut dire que pas grand-monde n’avait envie d’accueillir ce duel dans le contexte de la conversion d’Ali et de l’assassinat de Malcolm X trois mois plus tôt, ainsi que des rumeurs entourant les liens entre Liston et le crime organisé, qui lui avaient valu l’inimitié du clan Kennedy –on sait désormais que le FBI suspectait un truquage autour du combat de 1964.
Le New York Times s'est rendu en reportage à Lewiston pour voir ce qu’elle est devenue cinquante plus tard. Un producteur du coin, Charlie Hewitt, s’est lancé pour l’occasion dans un documentaire, Raising Ali. A Lewiston Story, qui aborde autant le combat que la ville, et dont il parle comme d’un «portrait sentimental d'une vieille cité ouvrière un jour visitée par la grandeur. Et ce qu'Ali a dit à Liston quand il était debout au-dessus de lui résonne encore aujourd'hui. Lewiston essaie encore de se relever et se battre.»
Des témoins de l’époque évoquent aussi leurs souvenirs. Roy McHugh, un journaliste aujourd’hui centenaire, a raconté au Pittsburgh Post Gazette qu’il ne croyait pas à la théorie du phantom punch:
«Ce n’était pas un phantom punch. C’était un bon coup de poing et j’étais bien placé pour le voir. Je le décrirais comme un direct, un direct du droit. Il a frappé Liston sur le côté droit du visage, assez haut sur la joue. Il lui a fait mal.»
Il décrit également la réaction du public quand le combat a été arrêté:
«La foule a commencé à hurler "Chiqué! Chiqué! Chiqué!". Puis "Truqué! Truqué! Truqué!"»
Fred Gage, un autre journaliste qui avait assisté au combat, avait livré ses souvenirs en 2005 et le Sun Journal republie son témoignage. Lui croit à la théorie du phantom punch:
«Ils nous ont rassemblés le lendemain et le surlendemain, tous les journalistes, et nous ont montré et remontré la vidéo au super-ralenti. Encore et encore. Je ne voyais toujours pas de coup. […] Il n’y avait pas moyen que Liston ait été mis KO. Bon Dieu, il aurait fallu le frapper avec une masse. […] C’était une farce.»
Ali affirmait lui, comme le rappelle Associated Press, qu’il avait frappé Liston «tel l’éclair et le tonnerre –rapide comme l’éclair et puissant comme le tonnerre descendant du ciel».
Le Bandor Daily News, un quotidien de la région, republie des extraits de son compte-rendu de l’époque, très sévère pour Liston:
«Liston, condamné pour avoir frappé un policier, n’a frappé personne mardi soir. Il a été battu, facilement et rapidement, s’est effondré sous les coups d’Ali…»
Ce que ne pouvait pas savoir le journaliste de 1965, c’est à quel point ce combat allait marquer un tournant pour ses deux protagonistes: comme l’écrit le Guardian, «cette défaite a mis fin à la carrière de Liston, qui avait un temps semblé invincible, et a fait partie des épisodes qui ont créé la légende éternelle d’Ali». Du «Rumble in the Jungle» contre George Foreman en 1974 au Zaïre à la scène émouvante d’allumage de la flamme olympique à Atlanta en 1996, celle-ci n’a cessé de croître, faisant sans doute d’Ali un des plus grands sportifs du XXe siècle. Le 5 janvier 1971, Sonny Liston a été retrouvé mort d'une overdose d'héroïne par son épouse Geraldine.