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Et si le «oui» au référendum irlandais était une mauvaise nouvelle pour les gays?

Temps de lecture : 4 min

Plusieurs voix se sont élevées pour critiquer le recours au référendum, et donc au vote de la majorité, sur une question touchant aux droits civiques d'une minorité.

REUTERS/Cathal McNaughton.
REUTERS/Cathal McNaughton.

Vingt ans seulement après avoir dépénalisé l'homosexualité, l'Irlande est devenu le premier pays au monde à adopter le mariage des couples de même sexe par un vote populaire, vendredi 22 mai. Les Irlandais ont répondu «oui» à une révision de la Constitution introduisant ce droit par 62,1% des voix. Une première qui a été largement saluée mais qui pose question: au-delà du débat juridique (le fait de devoir passer par un référendum pour faire adopter le mariage gay en Irlande était constitutionnellement discuté), est-il opportun de faire décider par la majorité les droits d'une minorité? Et, en quelque sorte, de «sacraliser» l'opinion de la majorité exprimée par référendum sur ce genre de sujets?

«Les référendums ne constituent pas toujours la meilleure voie, spécialement quand ils portent sur les droits des homosexuels ou, en fait, tout sujet concernant une minorité», écrivait avant le scrutin le journaliste dans le Guardian, jugeant que le référendum irlandais constitue «une pratique dangereuse, qui peut fixer un précédent pour d'autres nations dont l'opinion publique ne serait pas aussi éclairée ou tolérante.»

Sur Get Real, le magazine LGBT de l'université de Cambridge, Ronan Marron, «citoyen irlandais et homosexuel», avance le même argument:

«Mon possible futur mariage n'affecte personne à part moi, la personne que j'épouse, nos enfants potentiels et peut-être indirectement une poignée d'autres. Pour moi, donner à des millions de personnes le choix de m'autoriser ou non à me marier pose un problème grave. Le fait que deux personnes qui s'aiment puissent se marier constituer un droit de l'homme fondamental. Nous ne devrions pas voir, dans notre monde civilisé, des gens organiser des référendums sur les droits fondamentaux des minorités.»

Signalons en revanche que l'argument inverse a été développé, sur le même site, par un autre auteur, Michael Angland, qui estime que l'avantage d'un référendum est de créer une «discussion nationale, qui a le potentiel de transformer la société en profondeur pour le meilleur».

Tyrannie de la majorité

La question d'une possible «tyrannie de la majorité» constitue un débat central en philosophie politique, abordé notamment par Alexis de Tocqueville dans un texte du même nom publié dans De la démocratie en Amérique (1835):

«Qu'est-ce donc une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraire à un autre individu qu'on nomme la minorité? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez-vous pas la même chose pour une majorité?»

Le risque qu'une démocratie directe puisse déboucher sur des décisions passionnelles et peu éclairées constitue un des arguments en faveur de la démocratie représentative, avec l'élection d'un pouvoir législatif chargé de voter les lois (rappelons que la peine de mort a été abolie dans plusieurs pays contre l'avis exprimé par la majorité des sondés, y compris en France). Le fait que ce pouvoir législatif puisse adopter des lois violant les droits ou principes fondamentaux constitue lui-même un argument en faveur d'un contrôle des lois par une Cour constitutionnelle. Ainsi, en France, il est en l'état impossible, même si une majorité le souhaite, de rétablir la monarchie. Il est également impossible, depuis une décision fondatrice du Conseil constitutionnel en 1971, d'adopter une loi allant contre certains principes fondamentaux qui ne figurent pourtant pas dans la Constitution.

«Sentiments et passions du moment»

Cette tension entre souveraineté populaire par référendum, par voie parlementaire et contrôle constitutionnel a trouvé plusieurs illustrations ces dernières années concernant le mariage des personnes de même sexe. En Europe, la plupart des pays qui l'ont adopté par voie parlementaire voyaient une majorité des sondés soutenir cette mesure mais, pour un ou deux cas, on peut s'interroger sur l'issue qu'aurait eue une campagne référendaire: ainsi du Portugal, où le soutien populaire à la mesure était des plus contrastés au moment de son adoption. Le blog du Monde Big Browser note d'ailleurs que les référendums tenus sur le sujet en Croatie, en Slovénie et en Slovaquie ont donné des résultats négatifs.

En 2012, le maire de Newark Cory Booker avait sèchement répondu au gouverneur du New Jersey Chris Christie, qui justifiait son soutien à un référendum sur le mariage gay dans l'Etat par l'idée que dans les années 60, «les gens auraient été heureux d'avoir pu participer à un référendum sur les droits civiques plutôt que se battre et mourir dans les rues dans le Sud»:

«Mon Dieu, nous ne devrions pas soumettre des droits civiques à un vote populaire sujet aux sentiments et aux passions du moment. Aucune minorité ne devrait voir ses droits civiques soumis aux passions et aux sentiments de la majorité.»

Les Etats-Unis offrent d'ailleurs un scénario très différent de celui de l'Irlande quand il s'agit de la légalisation des unions entre personnes de même sexe. A l'heure actuelle, 36 Etats en offrent la possibilité, la majorité après une décision de justice plutôt que par l'adoption d'une loi, même si plusieurs Etats, comme le Maryland ou Washington, l'ont adoptée par référendum. Dans des Etats comme le Wyoming, la Virginie occidentale, la Caroline du nord, la Caroline du sud, l'Utah, l'Oklahoma, l'Idaho ou l'Indiana, la justice a considéré qu'interdire le mariage des couples de même sexe était anticonstitutionnel alors qu'une majorité de la population approuve une telle idée. La Cour suprême devrait se prononcer d'ici fin juin sur la généralisation du mariage gay à travers le vote de neuf juges, très loin de la question un peu absurde que posait en 2013 une association irlandaise pro-mariage gay: «Comment vous sentiriez-vous si vous deviez demander à 4 millions de personnes la permission de vous marier?»

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