On avait, avant même l’ouverture du Festival, pointé le nombre anormalement élevé de films français sélectionnés cette année à Cannes, et notamment en compétition –5 titres plus le film d’ouverture et le film de clôture, soit un record absolu et un déséquilibre flagrant dans une sélection de seulement 21 titres. Ce constat purement quantitatif se devait bien sûr d’être révisé à la lumière des films eux-mêmes, considérés un par un lorsqu’il aurait été possible de les voir.
En attendant les derniers participants, notamment en compétition ceux signés Guillaume Nicloux et Jacques Audiard, on peut tirer un premier bilan, très mitigé. À ce jour, il y a bien eu de grands films français à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs (L’Ombre des femmes, de Philippe Garrel, et Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin), et de belles découvertes aussi, à la Semaine de la critique (Ni le ciel ni la terre, de Clément Cogitore) et à l’Acid (De l’ombre il y a, de Nathan Nicholovitch). Et la sélection officielle alors? Ben oui…
Bienvenue sécheresse
Signalons d’abord n’avoir pas tout vu de ce qui est montré à Un certain regard. Soulignons ensuite avec force la présence de deux titres tout à fait honorables, et qui d’ailleurs se ressemblent. On a déjà mentionné les qualités du film d’ouverture, La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot, on fera volontiers de même avec La Loi du marché, de Stéphane Brizé (sorti le 20 mai).
Porté de bout en bout par Vincent Lindon, impeccable, on y retrouve la prise en charge rigoureuse d’un problème majeur de la société contemporaine, le chômage, et ses effets destructeurs sur les personnes. La Loi du marché est conçu comme une succession de pages arrachées à une sorte de journal intime d’un ouvrier dont l’usine a fermé. Sans grande phrase ni grands gestes, l’homme se bat simultanément pour retrouver du travail, pour permettre à son fils de faire des études, pour ne pas laisser la situation détruire sa famille et lui faire perdre toute estime de lui-même.
Désinvolture dans l’écriture et la réalisation et complaisances de récit
Le film est d’une rigoureuse et bienvenue sécheresse, il se révèle d’autant plus émouvant qu’il est précis et sans enjolivures romanesques ni sentimentales. Entouré d’acteurs non professionnels, l’acteur participe d’une proposition qui à la fois affirme et questionne sans cesse, avec une sorte de modestie butée du meilleur aloi.
Drague du spectateur
Le contraste est frappant avec les deux autres titres déjà présentés en compétition. Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli, raconte une histoire qui pourrait être passionnante, un cas d’inceste entre une sœur et un frère qui devient défi radical aux lois sociales. Il le fait avec un parti-pris de narration lui aussi prometteur, circulation joueuse à travers les époques et les modes de récit, pour mieux indiquer que cette histoire inspirée d’un fait divers du XVIIe siècle se veut de tous temps et de toutes circonstances. Il ne faut pourtant pas longtemps pour constater que, sur l’écran, il ne reste de ces idées qu’un bric-à-brac confus, sans charme ni énergie, répétition obstinée et sans grand intérêt de son unique thème, que rien ne vient nourrir ni faire vivre.
Mais cela est encore peu à côté de l’autre candidat français de la compétition, Mon roi, de Maïwenn, déballage d’hystérie sentimentale et de bêtise fière d’elle-même, où la vulgarité du fric (c’est lui, le seul roi) et l’arrogance des comportements de pouvoir se transforment en exercice de drague du spectateur assez répugnant.
Malgré leurs différences, ces deux films traduisent une sorte de désinvolture dans l’écriture et la réalisation, des complaisances de récit et une forme de paresse rembourrée par les moyens conséquents dont disposent ces productions.
Ces films français-là sont du cinéma d’enfants gâtés, inondés de financements (y compris les subventions publiques et l’argent des télévisions) qui, comparés à bien d’autres films vus à Cannes –y compris des films français–, ont quelque chose de choquant.
Facilités tape-à-l’œil
On en dirait d’ailleurs autant du premier film de Louis Garrel, Les Deux Amis, présenté à la Semaine de la critique. De l’acteur talentueux, et dont, comme réalisateur, on avait apprécié les courts métrages, surtout le beau Petit Tailleur, c’est une réelle déception. Avec là aussi le sentiment d’une mélange de conventions tape-à-l’œil et de facilités. Et les trois interprètes (Vincent Macaigne, Golshifteh Farahani et Louis Garrel lui-même) n’y sont assurément pas à leur avantage. Curieusement, s’il apparaît que Valérie Donzelli cinéaste était plus convaincante lorsqu’elle jouait dans ses films (La Reine des pommes, La guerre est déclarée), cela semble le contraire pour Louis Garrel –pour Maïwenn, qu’elle apparaisse ou pas ne change visiblement rien.
Laids de la laideur des publicités
Quand au rapprochement des Deux Amis avec Mon roi, il procède encore d’un autre point commun: les acteurs principaux sont laids.
Laids? Emmanuelle Bercot, Vincent Cassel, Golshifteh Farahani et Louis Garrel (le cas, d’ailleurs intéressant, de la présence de Macaigne est différent)? On dira que c’est pousser le paradoxe un peu loin en même temps que s’en prendre au physique des personnes.
Ce n’est évidemment pas de cela qu’il s’agit: ces quatre-là, dans ces films-là, filmés comme ils sont filmés, jouant comme ils jouent, sont laids de la laideur de la publicité, de ce racolage visuel qui pollue les murs, les pages de journaux et les écrans de leur hyperjoliesse de clichés, codifiée pour fermer les regards et soumettre les esprits. De la part de gens que la nature a doté de tous les atours de la séduction, c’est une autre manifestation de cette paresse satisfaite, et qui n’a rien de réjouissant pour ce qui est de l’image du cinéma français donnée à Cannes.