Au menu de cet ouvrage, de la brouillade de zébu ou encore de la croustade d’estomac de requin. Bruno Fuligni, écrivain et historien, rassemble dans Les gastronomes de l’extrême (Éd. du Trésor) un ensemble de textes d’aventuriers-écrivains, décrivant des mets plus ou moins surprenants et ragoûtants, goûtés dans des contrées du monde entier, du XIIIe au XXe siècle.
Dans cette curieuse et intéressante anthologie gastronomique, rangée comme un menu d’une grande époque (mise en bouche, hors-d’œuvre, potages, fruits de mer, œufs et volaille, viandes, gibiers et enfin desserts et liqueurs), on lit entre autres des écrits de Marco Polo, Jules Verne ou encore Alexandre Dumas.
Les gastronomes de l’extrême ont ainsi goûté de drôles de choses, simplement pour apaiser leur faim et survivre, comme le «hachis de cuir bouilli à la flibustière» décrit par Alexandre Oexmelin (qui précise: «Je puis assurer qu’un homme pourrait vivre de cela, mais j’ai peine à croire qu’il en devînt bien gras.») ou le «tartare d’oiseau de mer à la Bombard», que le navigateur raconte avoir mangé lors de sa traversée en solitaire de l’océan Atlantique à bord d’un canot pneumatique en 1952. Eh bien, «la chair était excellente mais avait un arrière-goût de “fruit de mer”».
Mais ces aventuriers sont surtout curieux de mets fins de contrées inconnues. Citons entre autres le «riz à la graisse de loup», la «soupe de queue de kangourou» (à la chair plus aromatique que celle du lapin de garenne, selon Alexandre Dumas), les «œufs à la mousse du cercle polaire», ou encore les «filets de manchot impérial».
Plus ou moins appétissant
Bruno Fuligni a aussi déniché dans la littérature de voyage des textes évoquant des «beignets de buffle», apparemment délicieux, le «filet de chamelon sauce béarnaise», l’«agouti à la crème» ou les «cuissots de phacochère à l’éthiopienne», cuits doucement dans un trou rempli de cendres brûlantes. Quant à la recette des «pieds d’ours panés à la russe», elle est précisément expliquée par Alexandre Dumas –son Grand dictionnaire de cuisine est une source inépuisable–, de la marinade au dressage, avec une sauce piquante réduite et finie avec deux cuillerées de gelée de groseilles.
Pour le dessert, le menu propose des «fourmis au miel», de la «tarte au vinaigre» (tout à fait faisable aujourd’hui, n'importe où), à accompagner de liqueurs réalisées par exemple avec du lait de jument.

Cargolade catalane | Gilles Chiroleu via Wikimedia Commons License by
Des plats qui sont donc plus ou moins appétissants, en fonction de la sensibilité de chacun... Et qui ne seraient aujourd'hui pas forcément bien vus, car ils demandent parfois de cuisiner des espèces protégées! Bruno Fuligni conclut en relativisant, en rappelant l'existence de «notre cargolade, fournée d’escargots salés au lard qu’on fait chauffer sur une grill jusqu’à en solidifier la bave», de nos «amourettes meunières, longues aiguillettes de moelle épinière bovine» ou encore du «fromage aux artisous d’Auvergne, affiné et acidifié dans une gangue de sciure vivante, formée de millions d’acariens qui se nourrissent des moisissures de la croûte». Miam.
Ceci dit, l’horreur vraie, pour Jules Verne, cité dans l'ouvrage, réside dans la nourriture industrielle. Il imagine dans Robur le Conquérant «une grande usine, où l’on fabrique de la glucose en traitant les chiffons par l’acide sulfurique –ce qui permet de faire du sucre avec de vieux linges» ou dans L’École des Robinsons un nouveau mode d’alimentation fondé sur des nutriments gazeux. À côté de ça, les larves de hannetons en persillade et le lamantin faisandé sont d'enviables douceurs.