Lundi 18 mai, quand Le Petit Larousse a annoncé les mots qui feraient leur entrée dans son édition 2016, le dictionnaire de la maison Hachette a créé une polémique en décidant d’introduire le mot «bolos». Non pas parce qu’il s’agit d’un mot très familier, défini ici comme «une personne naïve ou peu courageuse, au comportement ridicule, voire stupide», mais parce qu’il ne porte qu’un seul «s». En effet, pour beaucoup de personnes, ce mot s’écrit «boloss», avec deux «s».
Extrait du Petit Larousse, édition 2016.
ça prend deux s boloss, bande de boloss #PetitRobert
— Tristan Berteloot (@Tristan_Brtloot) May 18, 2015
@libe "boloss" quand il s'agit d'un nom, "bolosse" quand il s'agit de la 1ère / 3ème personne du verbe "bolosser" (cf http://t.co/U8hXONalIf
— Michaël Szadkowski (@szadkowski_m) May 18, 2015
Une pétition moqueuse a même été lancée sur le site Change.org pour demander à ce que le Larousse remette un second «s» au mot, affirmant que «boloss prend bien deux s, la preuve».
Jusque-là, le mot «boloss» n’avait pas vraiment fait débat sur son orthographe. Luc Bronner l’expliquait très bien dans Le Monde dans un article de 2010 relayé par Big Broswer:
«Personne ne sait exactement comment il s'écrit: bolos, bolloss, bolosse... Mais, à l'oral, dans les collèges et les lycées, sur MSN ou sur les blogs, il désigne aujourd'hui un “pigeon”, une victime, un individu faible.»
Mais on sait, grâce au travail des linguistes Alena Podhorna-Policka et Anne-Caroline Fiévet, que ce mot trouve son origine certainement dans certains quartiers de banlieue parisienne, en particulier dans le Val-de-Marne, où des occurrences ont été retrouvées dès 2003. Ce terme ayant été par la suite largement relayé dans la sphère publique par des rappeurs comme Booba dès 2006.
Le français n'utilise pas de manière fréquente la terminaison en “-ss”
Mais qu’en est-il de son orthographe? Comment écrire un mot hérité d’une culture orale et dont les origines sont incertaines? Le Larousse a tranché: ce sera «bolos», quoi qu’on en dise. Contacté par Slate.fr, Patricia Maire et Anne-Françoise Robinson, lexicographes chez Larousse, nous ont expliqué leur choix:
«Nous avions relevé dans la presse les graphies “bolos” et “boloss”, la première de ces deux graphies semblant de loin la plus usitée. Le français n’utilisant pas de manière courante la terminaison en “-ss”, il nous a semblé que le choix de la graphie “bolos” était plus pertinent. C’est la raison pour laquelle nous l’avons retenue. Par ailleurs, il est à noter –mais cela n’est qu’une hypothèse, puisque l’étymologie de “bolos” est incertaine– que la suffixation en “-os”, qui a une connotation généralement péjorative, se retrouve en français dans un mot tel que “craignos”, par exemple.»
Mais si l’on se base sur les réactions à ce choix, «boloss» semble plus répandu sur Internet de manière générale, ce que confirme une rapide recherche sur le site Google Trend sur ces dernières années, qui donne beaucoup plus d’importance à la graphie «boloss».

Sur les murs, «boloss» l'emporte haut la main. Image Flickr CC par Chez Pitch
Une graphie sûrement encouragée par le succès du Tumblr Les boloss des belles lettres, lancé en 2012 par Quentin Leclerc et Michel Pimpant. Ce dernier nous explique que «boloss» est un terme qu’il utilisait fréquemment, que ses occurrences étaient beaucoup plus nombreuses sur Internet et refuse qu’on continue de l’associer à la seule banlieue. «Plus les gens utiliseront ce mot dans un contexte courant, et moins ils l’associeront avec une origine ghetto comme le font encore certains. D’autant plus que c’est un terme gentiment péjoratif, un peu comme “tocard” l’était avant, ou “bouffon”, même si celui-là était plus violent.» Et il rappelle que le mot «fripon» a lui connu des significations bien différentes avant d'acquérir celui qu'on connaît aujourd'hui. Le Trésor de la langue française par exemple explique qu'il était un temps synonyme d'insulte, au même titre que le mote «enculé».
Michel Pimpant va plus loin dans son analyse en avançant une théorie assez spéciale pour expliquer ce choix d’orthographe orthographe:
«Si boloss a deux “s”, c’est avant tout parce qu’il s’agit d’un hommage au Pokémon Ramoloss.»
En 2013, Le Petit Robert intronisait lui aussi le terme «boloss», avec deux «s», mais en acceptant tout de même les orthographes «bolos» et «bolosse». Marie-Hélène Drivaud, directrice éditoriale du Robert, nous a expliqué qu’il est «très compliqué de donner une graphie pour des mots venant de la culture orale», et que son équipe estimait que «l’usage du «-ss» permettait d’insister sur le fait que le «s» se prononce à la fin du mot, afin de les distinguer des mots «dos» ou «gros» par exemple».
Extrait du Petit Robert.
Nous sommes plutôt généralistes, nos contraintes ne sont pas les mêmes
Patricia Maire, lexicographe chez Larousse
Quant à la différence sur le nombre de graphies retenues dans chacun des dictionnaires, Marie-Hélène Drivaud pense avoir une explication:
«Le Petit Robert est un dictionnaire de langue qui s’intéresse aux mots et à leur histoire. Il faut aussi rappeler que Le Petit Robert est très ouvert au langage familier par exemple. Le Petit Larousse a une autre approche, il est encyclopédique.»
Ce que confirme Patricia Maire, de Larousse:
«Nous sommes plutôt généralistes et encyclopédiques, nos contraintes ne sont pas les mêmes.»
Amusée mais étonnée par les réactions suite à leur décision de ne garder qu’un «s», elle tient à ajouter que les «choix [chez Larousse] ne sont pas figés. Peut-être, et ce n’est que mon avis, que nous reviendrons là-dessus».
Au fond, peu importe l’orthographe que vous choisirez. Vous risquez simplement, en fonction de vos interlocuteurs et de leur nombre, de vous faire traiter de «bolos». Ou de «boloss». Ou de «bolosse».