Le redécoupage des régions françaises va-t-il dans le sens d’une plus grande cohérence territoriale? C’est sur cette question que se penche une note d’analyse de France Stratégie publié le 13 mai. Ses auteurs étudient les liens financiers (origine géographique des actionnaires des entreprises) et les déplacements domicile-travail dans les territoires, à la fois à l’intérieur des limites des nouvelles régions et dans les échanges avec les régions limitrophes.
L’intégration des départements à leur région se mesure par l’intensité de ces liens intrarégionaux. Cette cohérence intrarégionale étant «essentielle pour permettre une plus grande efficacité de l’intervention publique». Piloter l’économie territoriale est effectivement plus aisé quand les ensembles administratifs sont eux-mêmes des ensembles sociaux cohérents. Si, au contraire, des départements sont tiraillés entre plusieurs régions (par exemple parce que beaucoup de navetteurs franchissent la limite de leur région quotidiennement), on parle de force centrifuge.
La carte de la France à 13 régions. Gouvernement.fr
Trêve de suspense, voici les conclusions:
«Il ressort de cette analyse que la cohérence économique interne des régions est renforcée par le nouveau découpage régional, [mais que] certains départements ont des liens économiques ou financiers plus forts avec une région autre que celle à laquelle ils appartiennent.»
Réforme territoriale et cohérence économique régionale, France Stratégie.
Avant le redécoupage, analysent les auteurs, la France comptait 24 départements attirés vers l’extérieur. Après redécoupage, ils ne sont plus que 16.
Quatre d’entre eux subissent cette force à la fois en termes de cohérence économique et de déplacements domicile-travail des habitants. Le Cantal subit la double force d’attraction des deux grandes régions limitrophes, Poitou-Charentes-Limousin-Aquitaine et Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon. Le Gard, lui, penche plus vers la région PACA que Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon à laquelle il est rattaché. Enfin la Sarthe et l’Orne font copain-copine alors qu’ils appartiennent chacun à une région différente. Il s’agirait donc de rattacher soit l’Orne à la région Pays-de-la-Loire, soit la Sarthe à la grande Normandie.
D’autres départements subissent ces forces centrifuges dans la nouvelle configuration régionale: l’Aisne et le Territoire de Belfort subissent l’attraction de la grande région Est (Champagne-Ardenne-Lorraine-Alsace), la Nièvre et la Saône-et-Loire en région Bourgogne-Franche-Comté sont attirées par les régions limitrophes, le Gers lorgne vers la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, les Pyrénées-Atlantiques sont dans le cas inverse (attirés par la région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon). Dans la région Centre, le Cher est attiré par Bourgogne-Franche-Comté et l’Eure-et-Loir par l’Île-de-France, la région capitale aspirant par ailleurs l’Oise en raison d’un grand nombre d’habitants qui y travaillent.
Réforme territoriale et cohérence économique régionale, France Stratégie.
«Serait-il possible de construire des blocs régionaux de façon à supprimer les forces centrifuges actuellement observées?» se demandent les auteurs du rapport de France Stratégie? Pas vraiment, dans la mesure où réaffecter des départements à d’autres régions créerait «de nouvelles forces centrifuges». «Il n’existe pas une seule carte optimale des régions de France du point de vue de notre critère de cohérence intrarégionale, mais bien plusieurs options», écrivent-ils en conclusion.
Nous avions interrogé sur Slate la géographe Nadine Cattan, directrice de recherche au CNRS, qui a participé à la rédaction d’un rapport de la Datar qui étudiait «les systèmes urbains français». L’approche était riche puisqu’il s’agissait d’analyser les liens entre les territoires selon trois dimensions: les flux de personnes (lignes de transport, mobilité domicile-travail, résidences secondaires), les flux intellectuels (partenariats scientifiques noués entre universités et centres de recherche) et les flux économiques et financiers.
Les cartes réalisées à cette occasion montraient que les unions envisagées lors des discussions sur la réforme régionale suivaient globalement les liens effectifs dans les territoires:
Les systèmes urbains français, Datar, 2012. UMR Géographie-Cités
A l’issue de l’adoption définitive du futur découpage régional par l’Assemblée nationale en novembre 2014, qui prendra effet en 2016, il reste une possibilité pour ces perdants de la réforme de demander un rattachement à une autre région. En pratique, cela sera complexe: il faudra obtenir l’aval d’une majorité des trois cinquièmes de l’assemblée régionale d’origine du département et de celle de la région de destination, en plus d’une même majorité dans l’assemblée départementale.