Barack Obama doit jalouser Steve Jobs. Mercredi après-midi, le PDG d'Apple a dévoilé plusieurs épatantes mises à jour de ses produits, et en quelques heures des millions d'écrans d'ordinateur du pays ont affiché de petites fenêtres demandant à leurs utilisateurs s'ils voulaient le nouveau logiciel d'Apple. En cas de réponse positive, il a suffi de quelques minutes pour qu'il fasse partie de leur vie, sans la moindre difficulté.
Quelques heures plus tard, le président Obama a parlé devant le Congrès, à qui il a promis sa propre mise à jour sans douleur: une remise à niveau du système de santé américain sans changement pour ceux qui aiment leur couverture santé, couvrant ceux qui n'ont aucune assurance, et tout cela payé rubis sur l'ongle.
Malheureusement pour le président, la mise en pratique est un cauchemar. Pour convaincre, Obama a utilisé toutes les ficelles. Parfois, on aurait cru qu'il était en campagne. Au sujet des «tribunaux de la mort» il a tonné: «C'est un mensonge pur et simple.» Aux opposants susceptibles de dénaturer ses projets, il a promis: «Nous ferons appel à vous.» Il a plongé en profondeur dans les détails de la couverture de l'assurance maladie comme s'il était en train de la présenter dans le cadre d'une table ronde politique. Enfin, il a conclu dans une envolée lyrique, marquée par un hommage au sénateur Ted Kennedy.
En ce qui concerne la substance, on note quelques nouvelles pépites. Mais en gros, le président a voulu réitérer ce qu'il répète depuis des mois. «Rien dans notre projet ne nécessite que vous changiez ce que vous avez déjà» a-t-il déclaré dans le premier des trois grands principes de sa réforme. «Dès que j'aurai signé cette loi» a-t-il promis, la vie des assurés va s'améliorer. Il deviendra illégal de refuser une assurance à cause d'une maladie préexistante, ou de l'annuler à cause de problème de santé. Aux non-assurés, il a promis la qualité et des choix abordables.
L'objectif d'Obama n'était pas de présenter un projet parfait mais de soutenir le meilleur projet qui puisse être voté. «Il existe une voie pour y arriver ici» a assuré un conseiller de l'administration avant le discours. Obama a tenté de montrer cette voie tant dans les détails que dans sa manière d'être: en jouant les intermédiaires.
Il a évoqué les partisans, à gauche, du projet single-payer [uniquement de service public] et ceux, à droite, pour qui la seule voie possible est celle de la concurrence (cela va sans aucun doute mettre la gauche en rage bien plus que la droite, gauche qui va non seulement crier à la fausse équivalence, mais pourra rappeler au président qu'avant qu'il ne l'utilise comme faire-valoir, il recherchait son soutien en prétendant que lui aussi était en faveur d'un projet single-payer). Il a rappelé aux électeurs indépendants qui, dans les sondages, affirment désapprouver sa gestion de la question du système de santé qu'il est le type raisonnable et non-radical qu'ils ont aimé lors des élections. «Je crois qu'il est sensé de construire sur ce qui fonctionne déjà et de corriger ce qui ne marche pas plutôt que de bâtir un système entièrement nouveau à partir de rien.»
Deux fois Obama a fait référence à des idées républicaines. Il a loué l'idée de John McCain de fournir des soins catastrophic care [services médicaux pour les maladies graves ou longue durée] à ceux à qui une assurance a été refusée à cause d'une maladie préexistante. Il a aussi déclaré étudier des réformes envisagées par George Bush sur les maladies professionnelles. Il a appelé avec force détails à considérer l'option publique, un favori des libéraux (de gauche au sens américain), avant d'en minimiser l'importance en affirmant qu'elle ne couvrirait que 5% des personnes ne bénéficiant d'aucune couverture.
Le discours du président n'a pas été accueilli avec la même sérénité. Joe Wilson, républicain de Caroline du Sud, a crié «Menteur!» quand Obama a avancé que les immigrés clandestins ne seraient pas couverts (ce qui n'en fait pas pour autant le congressiste de Caroline du Sud le plus indiscipliné de l'histoire). Wilson a présenté ses excuses un peu plus tard.
Les conseillers de la Maison Blanche espèrent qu'il suffira à Obama de détailler son projet pour obtenir un plus grand soutien du public. Parcourant à l'avance les remarques d'Obama, un haut fonctionnaire a cité des sondages montrant que le soutien de la réforme du système de santé augmentait de 20 points pour atteindre une confortable majorité simplement lorsque les électeurs prenaient connaissance des détails du projet du président. Un conseiller du gouvernement a souligné: «Tout est une question de clarté.»
Comme l'espéraient ses alliés, Obama a décrit les compagnies d'assurances comme les méchants de l'histoire. Il l'a fait de toutes les manières possibles. Dans la partie du Congrès réservée à la première dame Michelle Obama étaient assis Nathan du Colorado, Katie du Montana et Laura de Green Bay, dont les souffrances causées par des compagnies d'assurance ont fourni les nécessaires poussées émotionnelles des discours présidentiels sur le système de santé. La Maison Blanche a proposé au public de visionner [sur Internet] des vidéos à vous briser le cœur. Obama a raconté ses propres anecdotes sur des fautes professionnelles brutales et mortelles commises par des compagnies d'assurance: un homme de l'Illinois a perdu sa couverture santé au beau milieu de sa cure de chimiothérapie quand son assureur s'est rendu compte qu'il n'avait pas déclaré des calculs biliaires dont il ignorait lui-même l'existence. Une femme du Texas a vu sa police d'assurance annulée parce qu'elle avait omis de déclarer des problèmes d'acné.
Obama a proposé enfin en quelque sorte un nouveau projet. Il ne l'exprime pas en termes législatifs, mais sur un site Internet. Le projet d'Obama coûtera 900 milliards de dollars (quoique curieusement le site ne le mentionne pas). C'est moins que les plus de 1 000 milliards de dollars estimés nécessaires par les experts pour une réforme complète, mais également moins que les 1 000 milliards de dollars que ses opposants jugent trop élevés. «Au final, il s'agit de le faire voter» résume un haut fonctionnaire, en expliquant comment l'administration était parvenue à ce chiffre.
Autre idée neuve: ce que les conseillers appellent un «déclencheur fiscal.» Obama s'est engagé à des réductions de dépenses supplémentaires dans le cas où les économies qu'il aurait promises ne se matérialiseraient pas. Les détails de ce déclencheur sont encore flous. Pour avoir un quelconque pouvoir, un déclencheur devrait engendrer des actions automatiques. Celui que propose le projet du centre de politique bipartisane propose des politiques automatiques, qui permettraient de réaliser des économies. Avec le déclencheur d'Obama, l'astreinte n'est pas automatique mais laissée entre les mains du président. Il ne nous reste plus qu'à croire le président sur parole quand il affirme qu'il ne se dédira pas (naturellement, étant donné que nous parlons d'un projet budgétisé sur 10 ans, Obama ne sera pas là pour rendre compte de certains dépassements éventuels).
Le déclencheur est destiné à ceux qui s'inquiètent à l'idée qu'augmenter la portée de l'assurance maladie va creuser le déficit. C'est aussi une tentative de résoudre l'un des problèmes fondamentaux auxquels Obama et autres défenseurs de la réforme ont été confrontés. «Ils peuvent aimer ce que nous proposons" explique un conseiller démocrate au Congrès, «et ne pas nous croire capables d'y arriver vraiment.» Le déclencheur semble montrer qu'Obama n'est pas seulement en train de faire des promesses, mais qu'il s'y enferme lui-même.
Si les gens veulent une réforme du système de santé, cela ne les empêche pas d'avoir peur du changement. Obama a soigneusement argumenté que la réforme serait progressive, sûre et efficace. Maintenant, il devra attendre de voir si son projet et son discours peuvent survivre aux procédures du Congrès, où chacune de ses phrases aux mots soigneusement pesés et chacune de ses approches parfaitement équilibrées vont se faire malmener par des intérêts rivaux.
Obama a terminé son discours par un effet oratoire. Il a lu un passage d'une lettre de Ted Kennedy, que le sénateur du Massachusetts avait voulue publique après sa mort, dans laquelle il juge que la question du système de santé est «avant tout une question morale.» Obama a soutenu que la passion de Kennedy pour le sujet était née non pas de son idéologie mais de son grand cœur et de l'intérêt qu'il portait aux autres. Il s'agissait là des premières notes de ce qui allait être l'apothéose de la description par Obama du caractère américain.
Il a appelé le pays et les législateurs présents à garder la foi dans les principes américains de tolérance, d'intervention limitée du gouvernement et de sympathie. Son discours si spécifique, si progressif et terre-à-terre a atteint de telles hauteurs lyriques que lorsque le président a conclu avec le traditionnel «Dieu vous bénisse et Dieu bénisse les États-Unis d'Amérique» on a eu l'impression de perdre de l'altitude.
John Dickerson est le chef du service politique de Slate.com
Traduit par Bérengère viennot
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Image de Une: Barack Obama devant le Congrès REUTERS