«Le soir de l'élection, Ed Miliband écrivait son discours de victoire quand les médias britanniques ont dévoilé les premiers sondages sortie des urnes.»
C'est par cette phrase sèche que s'ouvre un article de l'hebdomadaire conservateur britannique The Spectator, intitulé «A l'intérieur du Milibunker: les derniers jours de Ed». Ecrit par Dan Hodges, un ancien militant travailliste, il jette une lumière crue, non pas tant sur les causes de la défaite de la gauche britannique, mais sur la façon dont celle-ci, sondages à l'appui, s'est illusionnée jusqu'au bout sur ses chances de victoire. Et n'a pas vu, comme la gauche française avant elle le 21 avril 2002, qu'elle se dirigeait vers un «gigantesque iceberg».
Après l'annonce, à 22 heures, du sondage sortie des urnes, mené sur environ 22.000 électeurs et donnant 77 sièges d'avance aux conservateurs, Miliband et sa plume Greg Beales se sont brièvement arrêtés d'écrire, raconte une source à Hodges:
«Quelqu'un est entré et a dit: "Ne vous inquiétez pas, ce sondage est erroné". Ils ont donc continué à écrire.»
«Jusqu'à vendredi, 2h30 du matin, on nous disait encore que nous allions gagner l'élection», raconte à Hodges un député travailliste anonyme, qui explique qu'un présentateur de Sky News lui a dit à ce moment-là hors antenne: «Les travaillistes disent que les sondages sortie des urnes sont faux. Dans quelques heures, ils se rendront compte qu'ils auraient aimé qu'ils soient vrais.» A raison: les conservateurs ont finalement terminé avec 99 sièges et 6,5 points de plus que les travaillistes.
Dan Hodges raconte aussi que, en milieu de journée, le jour de l'élection, il a reçu un coup de fil d'un membre de l'équipe de campagne du Labour qui lui a demandé si les conservateurs «paniquaient déjà» et lui a dit que le parti espérait faire basculer la circonscription très symbolique de Finchley, dont Margaret Thatcher fut l'élue pendant trente-trois ans –finalement perdue de onze points.
Plusieurs journaux ont également raconté comment les travaillistes avaient vu leur exploser en pleine figure la «dynamite» du premier sondage sortie des urnes.
Au lendemain de l'élection, le Daily Mail racontait ainsi que Miliband avait auparavant demandé à son stratège en chef de «dire aux membres du cabinet fantôme de ne pas se montrer triomphalistes à la télévision et à la radio» et que dès que le sondage sortie des urnes était tombé, des coups de fil avaient afflué de la part de candidats qui avaient compris qu'ils allaient perdre. Une source a raconté au Guardian l'ambiance au sein du quartier général du Labour, qui fait là encore penser au PS le 21 avril 2002:
«J'ai regardé autour de moi et j'ai vu des rangées entières de personnes, toutes la main devant leur bouche. C'était comme si la pièce tout entière voyait une terrible tragédie se dérouler devant ses yeux.»
«Quand les chiffres se sont affichés sur l'écran, j'étais à la fois sous le choc et dévastée. Je ne pouvais pas le croire. Cette estimation [...] était très éloignée des chiffres que moi et l'équipe de campagne travailliste contemplions quelques heures plus tôt à peine», a raconté au Daily Mirror Lucy Powell, une députée travailliste de Manchester.