Monde / Culture

Michael Jackson et son lait d'amnésie

Temps de lecture : 5 min

Qu'est-ce que Michael Jackson cherchait à oublier avant son overdose de propofol ?

Le King of Pop est mort — cette figure fabuleuse et surhumaine du Super Bowl de 1993, les bras en croix, une chemise blanche flottant au vent comme un drapeau, et les cheveux noirs contrastant avec son visage pâle. Ou ce Michael au nez plein et à la peau chocolat, sexuel et androgyne à la fois dans son costume blanc, sur la pochette de Thriller, le premier album que j'ai possédé.

Selon le médecin légiste du comté de Los Angeles, il est mort d'une «intoxication sévère au propofol». Et quand on pense que sa mort, parmi tant d'autres, après un demi-siècle d'une vie tragique et bizarre, est due à un anesthésiant qu'on donne à ceux qui passent une coloscopie, tout cela sonne d'un étrange pathos. D'autres musiciens font des overdoses d'héro ou de coke. Jackson a été tué par un lait d'amnésie.

Selon certaines sources, il prenait du propofol pour dormir.

Moi je dis que c'est des conneries. Jackson n'aurait pas joué avec sa vie —si douloureuse qu'elle soit— pour mieux dormir la nuit.

On m'a prescrit du propofol voici trois ans, pour une coloscopie —ce pour quoi les gens le prennent en général: dans le cabinet d'un médecin, sous surveillance cardiaque, en tant que sédatif avant une intervention médicale. «C'est une substance très clean», m'a assuré l'infirmière. A l'époque, je m'étais fait la réflexion qu'il était bizarre d'employer un tel vocabulaire.

Mais le propofol était alors le dernier de mes soucis, j'avais 33 ans, je devais subir cette intervention rare pour les gens de mon âge parce que, deux mois auparavant, on m'avait opérée d'une tumeur ovarienne qui s'était révélée intestinale à l'origine. J'étais préoccupée par le caractère subitement précaire de ma longévité et de ma fertilité, et choquée d'être une personne jeune et en bonne santé qui, d'un coup, tombait très gravement malade.

A cause de cela— et de l'euphémisme des médecins sur la «préparation à la coloscopie», dont je vous passerais les détails— j'étais une loque quand je poussai la porte du cabinet.

Cependant, prendre du propofol fut l'une des expériences pharmaceutiques les plus agréables de ma vie. Le propofol ne m'a pas juste endormie; j'ai eu l'impression que mon âme se détachait de mon corps et flottait, juste au-dessus, sur un nuage poudré de chamallow, délicat et douloureusement tendre. Le temps passé sous son emprise est passé en un éclair, comme l'intérieur d'un tunnel vu d'un TGV, de l'obscurité juste le temps d'un battement de cils, et de longs filaments lumineux. Puis le jour.

Je me souviens d'avoir regardé le gastroentérologue à travers ce brouillard de lait d'amnésie, et j'avais ressenti pour lui quelque chose qui ressemblait à de l'amour. Pas de désir, non, juste une euphorie universelle et débordante sans rime ni raison. Tout le monde était beau— je pouvais voir à travers leur enveloppe charnelle et je sentais la façon dont ils rayonnaient de l'intérieur. Le médecin montrait sur un écran l'image de l'intérieur de mon côlon. Elle était magnifique, elle aussi.

Quand je suis revenue à moi, je me suis sentie régénérée, les frontières entre le monde et moi étaient mordantes —clean, comme ce que m'avait promis l'infirmière. Les soucis et les peurs entrées avec moi dans le cabinet du médecin pouvaient éventuellement refaire surface, mais pendant quelques heures, ils étaient aussi vagues et insignifiants que les maigres souvenirs que j'avais des conversations avec le docteur. Était-ce vraiment arrivé, ou avais-je tout imaginé ?

Je me sentais rafraîchie et, pas le moins du monde, dans les vapes, mais c'était plus que cela —c'était comme une catharsis. Je suis sûre que c'est ce sentiment que recherchait Jackson. Pas le sommeil, mais l'évasion. La douceur d'être extérieur à ce corps qui avait enduré les coups de ceintures de son père violent, les atroces cicatrices des brûlures de l'accident de 1984 lors du tournage de la publicité pour Pepsi, et la honte d'être associé au vitiligo, à la fois métaphore et justification de son ambiguïté raciale —une peau noire qui devient blanche, luttant contre la laideur.

Que Jackson voulait-il exiler dans le royaume de l'imaginaire? C'est facile à imaginer, quand on regarde les innombrables photo-montages montrant en accéléré ses changements de visage —c'est-à-dire de sa couleur de peau. Ou alors quand on égrène tous les points négatifs et dévastateurs de sa vie et de sa carrière, c'est-à-dire les accusations de pédophilie – et tout ce qui a pu arriver à Neverland.

Mais dans la mort, peut-être trop tard, nous avons redéfini Michael Jackson dans un mélange d'adulation et de pitié, neutralisant toutes les moqueries et le dégoût qu'il a suscité de son vivant. Et quelque part entre ces deux pulsions contraires, se cachent les véritables réponses.

Est-ce que ce propofol laiteux était pour lui son Léthé, le fleuve mythologique de l'oubli dans lequel les âmes se baignaient pour se laver des souvenirs de leur vie passée, avant de se réincarner ?

Si c'est le cas, alors peut-être certaines actualités récentes et heureuses, liées à Jackson, peuvent-elles nous mettre sur la voie? Le jour de ce qui aurait dû être son 51ème anniversaire, devant le Monument de la Révolution au Mexique, 12 000 danseurs ont battu le record du monde du plus grand nombre de personnes dansant en même temps «Thriller», des fans britanniques et espagnols, mais aussi des prisonniers philippins, avaient auparavant aussi recréé la chorégraphie. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les vidéos sont impressionnantes.

Car dans ces mouvements devenus cultes, dans la chanson et dans le clip qui l'accompagnent – aussi – ces histoires de vie après la mort Jackson se réincarne dans les corps et les visages de foules dansantes, multiraciales et internationales, des Latinos, des Européens, et des insulaires du Pacifique – tout juste ce en quoi Jackson rêvait de se métamorphoser quand il mit sa vie dans les mains des élixirs médicamenteux.

Sa mort a été tragique, mais il est aujourd'hui redéfini au-delà de la couleur, au-delà de la violence, au-delà des abus, et au-delà de la souffrance.

En un mot : il est clean.

Angie Chuang

Image de Une: Michael Jackson, Reuters

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