Présenté en ouverture du Festival de Cannes, mercredi 13 mai, le jour même de sa sortie en salles, le nouveau film d’Emmanuelle Bercot est une bonne surprise à plus d’un titre. Il tranche en effet avec ce qu’on a le plus souvent en guise de séance inaugurale du Festival, attrape-paparazzi où le glamour de l’affiche aura trop souvent été préféré à l’intérêt des films (il y a eu des exceptions, mais pas beaucoup). Certes, la présence de Catherine Deneuve assure un certain rayonnement au baromètre du star-sytem, mais il s’agit assurément d’un film voulu et accompli pour d’autres motifs que les séductions people. Surtout, il s’agit, tout simplement, d’une réussite de cinéma –même avec un bémol.
Loin de «Polisse»
Reconnaissons avoir nourri les pires inquiétudes à l’annonce de cette Tête haute, moins du fait des précédents films d’Emmanuelle Bercot que de sa participation, comme coscénariste et comme actrice, au racoleur Polisse de Maïwenn. Si, après la brigade des mineurs cette histoire de juge pour enfants était de la même eau complaisante, le pire était à craindre. Il ne faut pas longtemps pour s’apercevoir que ce n’est en aucun cas comparable, voire que La Tête haute est le contraire du précédent.
Passée la séquence introductive, située 10 ans avant le récit principal et qui atteste combien les enjeux qui l’habitent sont ancrés dans la durée, le film ne quittera plus son protagoniste principal, ce Malony incarné avec une présence, une énergie et une complexité remarquables par le jeune Rod Paradot.
Celui-ci tient sans mal la distance face à Deneuve, remarquable en juge inventant dans l’instant la moins mauvaise réponse à une succession de situations catastrophiques, sans jamais trahir les exigences de sa fonction.
Il l’est tout autant face à Magimel en éducateur ayant connu un parcours comparable d’ado délinquant et mal réconcilié avec lui-même, et à Sara Forestier en mère dépassée, immature et pourtant à sa façon combattive et débordante d’amour pour ses gosses.
Le jeune comédien le doit certainement à ses propres qualités, mais aussi à la manière dont Emmanuelle Bercot filme le parcours de Malony, qui retrouve la sensibilité à fleur de peau qui marquait ses premières réalisations, La Puce et Clément.
Etrangement, dans La Tête haute, ce mélange de tendresse et d’exigence implacable rapproche la position de la cinéaste de celle de la juge, chacune des deux ne lâchant jamais le garçon de l’œil, et faisant tout pour lui sans jamais sacrifier les rigueurs ici de la loi, là de la mise en scène.

Rod Paradot © Les Films du Kiosque
Evitant l’anecdote, concentré sur ce trajet compliqué, incertain, tendu, imprévisible en partie et trop prévisible à d’autres moments, le film prend littéralement chair dans sa relation avec son acteur principal, et ses interactions avec ses trois principaux interlocuteurs, auxquels il faut ajouter une brochette d’éducateurs et d’éducatrices, tous campés avec précision, et les lascars que Malory rencontre en centres de détention.
On retrouve alors la capacité d’Emmanuelle Bercot à décrire un milieu complexe à partir des émotions de multiples personnages qui faisait la réussite de Backstage, beau film injustement méconnu.
À part, avec sa propre présence –on a envie d’écrire sa propre longueur d’ondes–, se trouve la jeune fille qui tombera amoureuse de Malony, jouée avec une troublante et singulière vitalité par Diane Rouxel. Débarquant au milieu du film, elle apporte aussitôt une tonalité supplémentaire, tout en s’insérant dans la composition d’ensemble.
De lieux d’éducation surveillée en centres fermés, de moments de tendresse en situations de crises violentes ou de transgression sans retenue, le parcours du garçon suit un chemin où des forces contradictoires l’entraînent alternativement dans ce qu’on considère comme «le droit chemin», ou aux antipodes.
Un choix venu d'en haut
Là se joue l’étrange défi auquel doit faire face le film, et qu’il peine à relever complètement. Il est tout à l’honneur du scénario de ne pas imposer d’emblée une direction, quelle qu’elle soit, la rédemption programmée ou la fatalité de la délinquance. Au fil d’embardées successives, Malony s’améliore et rechute –cela pourrait être lassant, ou le rendre irrémédiablement odieux: ni l’un ni l’autre, tant il est filmé avec ce mélange d’attention précise et de sensibilité qui fait la réussite du film.
Mais la rançon de cette ouverture, du moins tel que le film est construit, est que la réalisatrice se met en situation, au terme du récit, de devoir choisir une direction et que celle-ci ne peut paraître qu’arbitraire. On n’en dira rien, sinon que cela aurait été pareil si elle avait voué son personnage au sort opposé.
On peut comprendre qu’elle ait refusé une fin suspendue, dont le modèle reste le visage ouvert à l’avenir de Jean-Pierre Léaud à la fin des 400 Coups. Il reste que, faute d’une logique interne à ce choix, choix qui résulte moins du mouvement intérieur du film que d’une décision d’autorité, la réalisatrice ne peut éviter à l’arrivée un acte de pouvoir «venu d’en haut», en contradiction avec la position de plain-pied avec ceux qu’elle filmait qu’elle avait construit depuis le début.
«La Tête haute»
D’Emmanuelle Bercot.
Avec Rod Paradot, Catherine Deneuve, Benoit Magimel, Sara Forestier, Diane Rouxel.
Durée: 2h02.
Sortie le 13 mai.