C'est la nouvelle pseudo-scientifique de la semaine: les barbes seraient sales et pleines de microbes. Elle remplit tous les critères de ce type d'information sensationnaliste: pas de données chiffrées, aucun contrôle, une interprétation stupide des résultats (si j'ose les appeler ainsi) et un titre accrocheur qui peut être résumé en 140 caractères ou moins («Certaines barbes sont aussi sales que des toilettes»). Le seul élément qui change est que, cette fois-ci, l'étude a été réalisée pour le compte d'une chaîne de télévision et non pour une société de produits cosmétiques, comme c'est le cas habituellement.
Une «étude» mal menée
Pour réaliser cette «étude», la chaîne de télévision a prélevé quelques échantillons de poils de barbes, les a envoyés à un laboratoire pour analyse et a reçu un compte-rendu indiquant que les barbes contenaient des «micro-organismes», notamment des bactéries entériques appartenant au microbiote intestinal et que l'on retrouve donc également dans les selles. Et voilà comment on se retrouve avec des barbes «aussi sales que des WC» ou contenant carrément «des particules d'excréments» partout sur Internet.
Reprenons point par point les différents éléments de cette information virale.
L'information de départ ne dit pas combien de barbes ont été testées… juste «quelques-unes». Soyons généreux, disons qu'il y a eu dix barbes. C'est loin d'être un échantillon significatif, mais ce n'est pas la fin du monde non plus.
Le vrai problème ici est l'absence de prélèvement sur des hommes rasés de frais. Parce que tout le monde est couvert (littéralement) de bactéries. Oui, même vous. Même si vous prenez 15 douches par semaine. Tout est couvert de bactéries, inoffensives ou bénéfiques pour la plupart.
À moins de parler de Mars, de la Lune ou de quelque chose ayant été stérilisé (comme du matériel chirurgical), dire que l'on a «trouvé des micro-organismes sur X» ne présente absolument aucun intérêt.
Bien sûr qu'ils ont trouvé des bactéries dans les barbes. Ils en auraient trouvé aussi en faisant un prélèvement sur n'importe quelle autre partie du corps. Incroyable! Ce qu'il serait intéressant de savoir, c'est si une joue barbue porte plus de bactéries qu'une joue glabre. Ce que, bien entendu, ils n'ont pas regardé.
Heureusement, cette question a déjà été traitée par la littérature scientifique. Un article de 2014 intitulé «Écologie bactérienne de la pilosité faciale du personnel hospitalier: étude transversale» a conclu que les membres du personnel d'un hôpital affichaient des quantités de bactéries similaires, qu'ils portent la barbe ou non.
Les bactéries sont-elles dangereuses?
Maintenant, qu'en est-il des types de bactéries? Si l'on s'inquiète pour sa santé, le type de bactéries est beaucoup plus important que la quantité. Imaginez un peu:
«Monsieur, vous avez dix fois moins de bactéries sur le visage que moi, mais les vôtres sont toutes de l'anthrax!»
Faire le raccourci bactéries entériques= excréments revient à dire que vous risquez d'être mangé par un lion parce qu'on a trouvé un poil de chat sur votre canapé
Le microbiologiste qui a mené cette étude affirme avoir trouvé des bactéries «entériques», du type de celles «que l'on retrouve dans les selles». Très bien. Beaucoup de bactéries de la famille des enterobacteriaceae (entérobactéries) se retrouvent dans les intestins (et donc dans les selles). Certaines sont même pathogènes. La plupart ne le sont pas et certaines sont bénéfiques, voire essentielles à la santé humaine.
Prétendre que la présence de bactéries entériques est équivalente à la présence d'excréments revient à dire que vous risquez d'être mangé par un lion parce que l'on a trouvé un poil de chat sur votre canapé.
On trouve également des entérobactéries sur la peau humaine, dans le fromage, sur les plantes, sur les graines, dans l'eau et dans la terre.
Je serais prêt à parier que l'on peut en trouver un peu partout si l'on cherche bien. Et est-ce qu'elles présentent un risque pour la santé? Sans doute pas, comme l'admet d'ailleurs le microbiologiste de l'étude en question.
Donc, pour résumer: un sujet d'une minute trente à la télévision, sans aucune donnée chiffrée, devient viral sur Internet parce que les microbes c'est dégoûtant et que les excréments ont vaguement été évoqués dans l'histoire. Tout cela est-il lié à une sorte de rejet culturel de la barbe ou à une fascination profondément ancrée pour le pipi-caca? Je n'en sais rien.
Est-ce que la barbe est dangereuse? À moins d'y mettre le feu, sans doute pas. Et, en tous cas, ce n'est certainement pas cette «étude» qui pourrait nous permettre de le savoir.