Pour faire «sortir» les gens de la pauvreté, faut-il les sortir de leur lieu de vie? La question anime depuis longtemps les chercheurs en sciences sociales, et une étude publiée aux États-Unis par deux chercheurs d’Harvard, la plus complète du genre jamais réalisée selon le New York Times, apporte un éclairage inédit sur ces questions. Le débat est particulièrement brûlant outre-Atlantique alors que les émeutes de Baltimore ont été l’occasion pour les médias de se pencher sur les quartiers délaissés et ségrégués de la ville.
«Chaque année supplémentaire passée dans un meilleur quartier semble avoir une importance», affirme l’un des auteurs de l'étude, Nathaniel Hendren. Les données montrent que, «toutes choses égales par ailleurs» selon la formule consacrée, les garçons de familles modestes africaines-américaines qui ont grandi dans les «mauvais» quartiers gagnent 35% de moins une fois adultes que ceux dont les parents (aux revenus également modestes) résidaient dans des environnements plus favorables.
Les quartiers dans lesquels cette ascension sociale a été observée partagent certaines caractéristiques, comme des écoles élémentaires bien notées, plus de familles dont les deux parents sont présents, plus de mixité de revenus et une meilleure santé associative au sens large (groupes religieux et civiques plus présents).
Intégration des habitants
La France, qui peut paraître éloignée des conditions de ségrégation dans lesquelles évoluent les enfants pauvres et souvent des minorités aux États-Unis, aurait en fait tout intérêt à prendre en compte les résultats de cette étude. Après sa sortie sur l’apartheid français, Manuel Valls a présenté avec les ministres concernés ses propositions sur la politique de la ville, et notamment la «politique de peuplement» qu’il appelle de ses vœux. Cette politique repose sur l’idée qu’un quartier mixte socialement et ethniquement intègre mieux ses habitants.
À l’occasion de ce nouveau plan de politique de la ville, le chercheur Thomas Kirszbaum, (École normale supérieure de Cachan-CNRS), qui a dirigé l’ouvrage En finir avec la banlieue?, nous expliquait qu’«on sait très mal démêler ce qui relève des facteurs individuels ou familiaux et du quartier proprement dit, notamment la performance des services publics, dans les phénomènes étudiés (chômage, délinquance, déscolarisation…)».
Aux États-Unis, nous expliquait encore le chercheur, «les politiques urbaines et du logement visent seulement à déconcentrer la pauvreté et à renforcer la diversité des catégories de revenus», et non à insister comme en France sur la dispersion de minorités ethniques –objectif cependant jamais explicite des politiques menées.
Les bienfaits de la mixité sociale, c’est-à-dire le mélange de gens de niveaux socio-économiques différents, sont eux aussi en débat. En effet, cette course à la mixité ne doit pas faire oublier les ressources dont disposent les habitants, sachant qu'une dispersion absolue peut affaiblir les liens sociaux. Mais l’étude qui vient de paraître aux États-Unis accrédite la thèse selon laquelle l’environnement urbain dans toutes ses dimensions peut jouer sur la réussite scolaire et le revenu. Sans toutefois, conclut l’article du New York Times, qu’on sache précisément quelles en sont les causes.