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Le drôle de parti vert mexicain: favorable au fracking, à la peine de mort, et pas concerné par le transgénique

Temps de lecture : 6 min

Les Verts mexicains, qui violent régulièrement les lois électorales, sont toxiques pour la démocratie, selon leurs détracteurs.

Emilio Gonzales Torres en 2004 | REUTERS/Henry Romero
Emilio Gonzales Torres en 2004 | REUTERS/Henry Romero

Devinez quel parti a été sanctionné pour avoir «élaboré et distribué de la propagande électorale imprimée sur un support non biodégradable ou recyclable»? Le Parti Vert et écologiste du Mexique (PVEM). Le 2 avril, le Tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la Fédération (Trife) l'a condamné à une amende d'un peu plus d'un million de pesos (60.000 euros). Concrètement, les Verts mexicains n'avaient pas lésiné sur la quantité d'arbres abattus pour séduire les électeurs en envoyant quatre millions de calendriers à leurs couleurs, pour les élections du 7 juin (législatives, municipales, et régionales).

Des amendes qui dépassent son budget de campagne

Ovni dans la galaxie verte, ce parti pas vraiment branché papier recyclé s'était déjà distingué de ses confrères d'Europe et d'ailleurs en militant, en 2009, pour le rétablissement de la peine de mort pour les assassins et kidnappeurs. Une revendication qui avait conduit les Verts européens à ne plus reconnaître ce parti, comme nous l'a confirmé Antonio La Mantia, attaché de presse du Parti vert européen.

Le PVEM s'est également signalé en 2014 en appuyant la pratique du fracking, incluse dans la Réforme énergétique du président Enrique Peña Nieto (PRI). Le sénateur Pablo Escudero avait alors justifié son vote sur la base «d'études scientifiques» qui démentiraient que la technique de la fracturation hydraulique soit nocive pour l'environnement.

Sur son site, le parti au toucan, son emblème, se présente néanmoins comme «une organisation de citoyens écologistes, engagés dans le respect de toutes les formes de vie, la protection de l'environnement (...) et dont l'action politique s'oriente vers la promotion d'un développement durable qui permet aux êtres humains de vivre dans une société juste, libre, et en harmonie avec la nature».

Ses derniers mois, le PVEM a été pris la main dans le sac à plusieurs reprises pour avoir violé de manière réitirée les lois électorales. Il accumule 185 millions de pesos (trois millions d'euros) d'amendes, une somme supérieure à son budget de campagne (96,9 millions de pesos). Parmi ses hauts faits d'arme, on compte l'envoi à domicile de billets de cinéma et de cartes permettant d'obtenir des réductions dans une dizaine de magasins. Autrement dit, des pratiques d'achat de vote, dont il est toutefois loin d'avoir le monopole au Mexique. Le parti a aussi envahi les écrans de cinéma du pays pour afficher sa propagande, avant même que la campagne ne commence. Forcément illégal.

Scandalisés par les violations répétées des lois électorales par la formation verte, une Mexicaine, María Santos Villareal, a lancé le 4 avril une pétition sur Change.org pour demander à l'INE, l'Instituto nacional electoral, l'organisme qui régule les élections, son «éviction du registre» des partis. Au 7 mai, la pétition avait recueilli près de 147.000 signatures.

Une propagande massive

«Le PVEM a dépassé toutes les limites, comme citoyens, nous n'avons pas à tolérer cela», est-il écrit. La demande se fonde notamment sur l'article 94 de la loi générale des partis politiques qui dispose qu'un parti peut être dissous en cas de «violations graves et systématiques» de la loi électorale. Dans la foulée de cette initiative citoyenne, les deux grands partis d'opposition, le PAN (chrétien-social) et le PRD (gauche), ainsi que Morena (gauche, parti fondé par l'ex-candidat présidentiel de gauche Andrés Manuel Lopez Obrador), ont eux aussi demandé l'éviction du jeu électoral des Verts mexicains.

«Ce parti a inondé le pays de sa propagande, des abribus aux pages internet, en passant par la télévision, cela lui donne un tel avantage sur la concurrence que l'équité de l'élection est clairement rompue», déclare à Slate.fr Eduardo Huchim, membre de l'institut électoral de Mexico entre 1999 et 2006, spécialiste reconnu du droit électoral, et signataire de la pétition.

Selon le porte-parole du PVEM, Arturo Escobar, l'argent destiné à ces campagnes massives provient d'«économies du parti». En 2009, le même Arturo Escobar avait été arrêté à l'aéroport de Tuxtla Gutierrez (Chiapas) avec plus d'un million de pesos (60.000 euros) en liquide dans une valise...

«Ce parti vert ne défend aucune idéologie, assure Eduardo Huchim, c'est simplement un business familial qui prospère sur le trafic d'influences, la captation des subventions publiques, et la corruption.»

«Voltaire disait que le Saint-Empire romain, n'était ni saint, ni un empire, ni romain, il se passe quelque chose de similaire avec le Partido Verde Ecologista: ce n'est pas un parti, il n'est pas vert, ni écolo», appuie le journaliste Emilio Lezama dans un texte publié le 26 avril par le quotidien centriste El Universal.

Voltaire disait que le Saint-Empire romain, n'était ni saint, ni un empire, ni romain, il se passe quelque chose de similaire avec le Partido Verde Ecologista: ce n'est pas un parti, il n'est pas vert, ni écolo

Emilio Lezama, journaliste

Créé en 1986 par Jorge Gonzalez Torres, ex-membre du PRI, le PVEM avait pour mission de capter le vote écolo. Electoralement, il a commencé à décoller à la fin des années 1990. Pour le PRI, qui vient de passer une année 2014 horribilis –disparition des étudiants d'Ayotzinapa, chute du cours du peso, soupçons de corruption touchant des proches du président de la République–, il est aujourd'hui un allié précieux.

Pour comprendre l'importance du vote «vert» pour le parti au pouvoir à Mexico, il suffit de rappeler qu'Enrique Peña Nieto n'aurait pas gagné l'élection présidentielle en 2012 sans les voix destinées à ses alliés dont les verts. «Le PRI a tout intérêt à ce que le PVEM récolte le maximum de votes, et cela explique l'attitude permissive pour ne pas dire complice des institutions électorales», assure Eduardo Huchim.

Le scandale est un compagnon de route fidèle du PVEM. Ex-président du parti (2001-2011) et fils de son fondateur, Emilio Gonzalez Torres a notamment été pincé sur une vidéo en 2004 alors qu'il acceptait un pot-de-vin d'un entrepreneur immobilier pour construire dans une zone protégée proche de Cancun. Dans la grande cité balnéaire mexicaine, si appréciée des spring-breakers, celui qui est surnommé «El niño verde», l'enfant-vert, a été mêlé à une affaire bien plus sordide. En 2011, un mannequin bulgare se serait suicidé au cours d'une fête en se lançant de la fenêtre d'un appartement dont il est le propriétaire selon ses voisins et une enquête du journal Reforma, ce qu'il a toujours nié.

Gonzalez Torres, député à 25 ans (1997, scrutin de liste), sénateur à 28, n'est pas très au point sur les dossiers. Quand, dans une émission de télé on lui demande son avis sur le maïs transgénique, il répond qu'il ne connaît pas «en profondeur» le thème du transgénique. Puis, il enchaîne:

«Il faudrait que je m'informe davantage pour donner une opinion responsable, mais je n'ai pas confiance, je pense qu'il faudrait qu'on travaille sur la limitation des naissances, sur l'éducation sexuelle.»


Aujourd'hui, le PVEM compte 29 députes (sur 500) et 9 sénateurs (sur 128). Il gouverne aussi le Chiapas, l'un des Etats les plus pauvre du pays. Selon un sondage Mitofsky du 30 mars, le PVEM recueillerait 7,1% des intentions de vote pour les élections législatives. Pour Eduardo Huchim, le succès électoral du parti doit beaucoup à ses envahissantes campagnes de propagande.

«En termes de marketing, il est en avance sur les autres, par exemple, sa proposition de rétablir la peine de mort dans un pays où les enlèvements sont un fléau a séduit une partie de l'électorat, et aujourd'hui, il promet des bourses pour les ados et des bons d'achat de médicaments, cela sonne bien.»

Parmi les autres propositions des «écolos», qu'un prix juste soit payé pour l'eau. Autrement dit, un appui à la loi promue par le PRI pour privatiser l'approvisionnement en or bleu et la construction d'infrastructures pour l'exploiter.

Un allié de poids

Toxique pour la démocratie selon ses détracteurs, le PVEM prend parfois des initiatives législatives qui pourraient sembler correspondre à son appellation.

En décembre 2014, une loi promue par le parti est ainsi passée pour interdire l'utilisation d'animaux dans les cirques, mais aucun mécanisme d'accueil n'a été envisagé pour les bêtes. Résultat: des milliers d'animaux devraient être sacrifiés, quand d'autres, selon un reportage du Daily Mail, pourraient terminer dans les propriétés des narcos, grands amateurs de gros félins et animaux exotiques.

Opportuniste, le PVEM était allié au PAN lors des élections présidentielles de 2000. En 2012, il a appuyé fermement le candidat du PRI Enrique Peña Nieto. Un soutien qui devrait l'aider à ne pas être mis hors jeu de la campagne électorale, selon Eduardo Huchim.

«Si les onze conseillers de l'INE statuent sur la demande d'éviction du PVEM, il faut que huit d'entre eux se prononcent en sa faveur pour qu'elle soit effective, et comme quatre conseillers sont inféodés au PRI, cela rend difficile la prise d'une telle décision, même si cela serait souhaitable...»

En attendant une éventuelle décision des autorités électorales, le gouverneur vert du Chiapas, Manuel Velasco, s'est marié le 25 avril avec Anahi, artiste biberonnée par Televisa. Tout sauf un événement strictement privé. Son union avec une célébrité de la télé mexicaine comme son coquet budget de promotion de sa personne rappellent immanquablement la montée en puissance médiatique d'Enrique Peña Nieto, l'ex-gouverneur de l'Etat de Mexico, devenu président de la République. Les Verts mexicains savent au mois recycler certaines recettes électorales.

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