La Gaumont a récemment dévoilé le cadre du troisième volet des Visiteurs, dont le tournage a débuté à Prague: la Terreur. La production a aussi dévoilé une partie du scénario. À cause des aléas des fameux couloirs du temps, Jacquouille et son seigneur, Godefroy de Montmirail, se retrouvent projetés en pleine Révolution française. Les descendants du valet profitent des troubles de leur temps pour confisquer le domaine des Montmirail qui tremblent pour leur vie.
Il s’agit là d’une nouvelle marque de la fascination exercée par la Terreur dans la mémoire des Français. Ce nom aux allures d'épouvantail désigne cette période de la Révolution, au tournant des années 1793-1794, où des tribunaux révolutionnaires étaient chargés de juger, sans appel, les individus soupçonnés de traîtrise ou d’opposition à la jeune République. Mais la mémoire joue parfois des tours, et la légende noire établie autour de la terrible guillotine a souvent pris le pas sur les faits. Au point que quand les uns voient dans la Terreur un simple dérapage de la Révolution française, d’autres évoquent une dérive totalitaire, voire même un génocide déguisé.
Si la Terreur est une telle machine à fantasme, c’est qu’il est difficile d’en tracer les contours: doit-on prendre en compte dans son bilan les morts de la guerre de Vendée? Les exécutions près des lignes de front? En résumé, doit-on considérer que la Terreur est responsable de tout le sang versé dans un pays en proie à tous les mouvements révolutionnaires possibles? Il existe un moyen pour y voir plus clair sans s’enferrer dans ces questions épineuses. Analyser les informations distillées dans toute sa froideur administrative par le tribunal révolutionnaire de Paris lui-même, principal outil de la Terreur avant d’en être le seul. Sauf mention contraire, tous les éléments présentés ici sont tirés des archives et des Actes du tribunal révolutionnaire, c'est-à-dire des registres et procès-verbaux du Palais de justice de la capitale, pendant la période.
1.Le contexte: du sang et des armes
Contrairement à ce qu'on imagine habituellement, ce n'est pas l'exécution de Louis XVI (représentée ici), le 21 janvier 1793, qui marque l'origine de la Terreur et de son tribunal révolutionnaire. Elle remonte à quelques mois plus tôt déjà. En septembre 1792, la France est en butte à une grande partie de l'Europe et envahie par la Prusse. Depuis le 10 août, le pays est entre deux eaux: il n'est déjà plus une monarchie, mais pas encore une république. La famille royale est en prison. Là-dessus, le général des Prussiens, Brunswick, rédige un manifeste pour intimider Paris et menacer de destruction sa population. Pendant ce temps, ses troupes progressent et font sauter le dernier verrou avant Paris, Verdun. Une confusion qui se retourne contre les «aristocrates» enfermés dans les maisons d'arrêt après la chute de la royauté. Encouragés par la Commune de Paris, des sans-culottes pénètrent dans les prisons le 2 septembre. S'ensuit des parodies de justice où des jurys improvisés décident du sort à réserver aux prisonniers qu'on fait défiler devant eux. Les condamnés sont tués sur place, dans les cachots et les cours. Ce sont moins les «politiques», que les détenus de droit commun qui y passent. Les massacres dureront jusqu'au 5 septembre, sans que les autorités osent intervenir. Le bilan est difficile à établir mais les historiens, comme François Furet, l'évaluent autour de 1.500 victimes.
2.Qui a créé le tribunal révolutionnaire?
La Convention, l’Assemblée nationale qui dirige alors la France, vote la création d’un tribunal criminel extraordinaire, le 10 mars 1793. Mais l’usage imposera bientôt officiellement le nom de Tribunal révolutionnaire. Beaucoup de pères putatifs se rassemblent autour du berceau de la Terreur.
Soyons terribles pour éviter au peuple de l'être, et organisons un tribunal
non pas bien, c'est impossible, mais
le moins mal qu'il
se pourra
Danton
Il y a d’abord le député Bentabole qui affirme que les conscrits veulent «un tribunal pour juger les traîtres, un tribunal dont on soit sûr» comme garantie avant de partir à la guerre. Mais les négociations piétinent. La droite et le centre de l’assemblée (la Plaine ou le Marais, choisissez ce que vous voulez) ont peur d’aller trop loin en ouvrant cette boîte de Pandore. Les discussions traînent tant et si bien que le président lève la séance sans qu'on n'ait rien voté. En haut des gradins de l'assemblée, la grosse voix de Danton gronde: «Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leur poste!» L'argument-massue de l'orateur assomme ses collègues qui vont se rasseoir. Danton rappelle la gravité et l'urgence de la situation (la guerre, les massacres de septembre) et conclut:
«Soyons terribles pour éviter au peuple de l'être, et organisons un tribunal non pas bien, c'est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le peuple sache que le glaive de la liberté pèse sur la tête de tous ses ennemis. Je demande que séance tenante, le tribunal révolutionnaire soit organisé.»
Des mots qui font un effet bœuf et l'instauration du tribunal est votée. C'est à sa création que Danton devra sa mort un an plus tard.
3.Vingt-quatre heures de la vie du tribunal révolutionnaire
Pendant les 793 jours que dure son existence, entre la première audience du 29 mars 1793 et le 12 prairial de l'an III (31 mai 1795), les procès du tribunal révolutionnaire de Paris se tiennent dans deux salles proches de la prison de la Conciergerie, sur l'île de la Cité, dans l'actuel Palais de justice. Il y a là cinq juges, désignés par la Convention. Le mieux élu des cinq devient le président. Lors des procès, les juges sont situés au centre sur une petite estrade et portent un grand chapeau orné d'une plume noire, qui les rend reconnaissables. Il y a aussi un jury populaire composé de douze personnes.
Enfin, l'instruction se fonde sur le travail de l'accusateur public (une sorte de procureur) et ses substituts. Les pouvoirs de l'accusateur, Fouquier-Tinville, sont grands: il peut décider l'arrestation d'un citoyen et, après examen du dossier, choisir s'il mérite d'être traduit devant le tribunal révolutionnaire et à quelle date. Sa journée commence à 8h, il s'entretient tous les matins avec le bourreau avec lequel il fixe le nombre de charrettes à prévoir pour la fin d'après-midi afin de pouvoir acheminer les condamnés à la guillotine. Tous les jours, il «briefe» les jurés en leur donnant quelques recommandations juridiques.
Le tribunal condamne davantage à mort durant
les trois mois durant lesquels la loi du
22 prairial reste active que pendant les quinze premiers mois de son activité
Au début de l'audience, l'accusé paraît les mains libres devant le tribunal, aux côtés de son avocat. Il décline son état-civil puis le greffier lui lit les chefs d'accusation. Les témoins se succèdent ensuite pour déposer, et l'accusé est interrogé. À la suite de quoi, l'accusateur public résume la situation, l'avocat plaide, et le président synthétise les débats. Les jurés se retirent alors pour délibérer, et l'accusé doit s'absenter. Un coup de sonnette retentit quand les jurés se sont mis d'accord et ceux-ci reviennent. Une fois que le parquet est informé de leur décision, le prisonnier fait une nouvelle entrée et apprend son sort.
4.Prairial killer
Révolutionnaire ou pas, le tribunal respecte donc les formes de la justice. D'ailleurs, comme les chiffres l'indiqueront, les magistrats ne cherchent pas à condamner systématiquement. Bref, on ne va pas au tribunal révolutionnaire comme à l'abattoir, on peut s'y défendre et obtenir gain de cause. Mais un procès a besoin de temps et les audiences semblent parfois trop longues, surtout depuis que les tribunaux révolutionnaires de province ont été supprimés provoquant un engorgement des prisons parisiennes. En plus, certaines personnalités de la Montagne et de la Commune craignent que des traîtres plus habiles que les autres se servent de l'éloquence de leur avocat et de la difficulté à produire des preuves matérielles le jour J pour échapper à la justice.
C'est pourquoi Georges Couthon, député et membre du tribunal révolutionnaire, modifie la procédure dans ce qu'on appellera le décret du 22 Prairial, ou «loi du sang» pour ses détracteurs. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on se donne les moyens d'accélérer la cadence. Ainsi, l'article VI donne une définition large des ennemis de la patrie qu'il s'agit d'éliminer. Il suffit d'avoir «égaré, découragé le peuple», d'avoir «propagé de fausses nouvelles» pour être jugé comme tel. L'article VIII, lui, stipule qu'une «preuve morale ou verbale» peut suffire à condamner un homme; l'article XIII déclare que si on dispose d'une de ces preuves, «il ne sera pas entendu de témoins»; l'article XVI annonce que «la loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes, et n'en accorde point aux conspirateurs», en clair, il n'y aura plus d'avocat.
S'il s'agit de vider les prisons et d'aller plus vite, cette justice expéditive est très efficace: le tribunal condamne davantage à mort durant les trois mois durant lesquels la loi du 22 prairial reste active que pendant les quinze premiers mois de son activité.
5.Des chiffres et des êtres
«La Révolution est comme Saturne, elle dévore ses propres enfants», a dit le député girondin Vergniaud peu avant de mourir sous la guillotine. Il est temps de voir combien de citoyens le tribunal a dévorés. Les actes du tribunal révolutionnaire de Paris nous livrent avec précision le bilan détaillé de toutes les procédures entre avril 1793 et le 9 Thermidor. À cette date, Robespierre chute après quoi les députés abolissent la Terreur afin de lui en mettre les excès sur le dos.
Les statistiques du tribunal révolutionnaires sont surprenantes. Pendant longtemps, le nombre d'acquittements est largement supérieur au nombre de condamnations à mort. En avril 1793, sur 26 procédures, 16 suspects sont innocentés, neuf sont condamnés à mort tandis qu'un dossier est renvoyé vers une autre cour. Si le volume des procès va croissant au fil des semaines, la peine capitale est encore largement minoritaire en pluviôse de l'an II (c'est-à-dire entre le 20 janvier et le 18 février 1794): sur 198 jugements, 68 peines de mort prononcées, 106 acquittements, 12 déportations (bannissements parfois assortis de bagne), huit envois en prison et quatre requalifications vers un autre tribunal.
À partir du mois suivant cependant, les sentences sont plus corsées et les condamnés à mort sont majoritaires: 116 sur 206 procès. Au plus fort de la Terreur, en Messidor de l'an II (fin juin-mi juillet 1794), les chiffres font tourner la tête et tomber d'autres: pas moins de 1.005 jugements pour 796 condamnations à mort, 208 élargissements, une peine de prison.
Entre la création du tribunal révolutionnaire et l'arrestation de Robespierre, 4.021 jugements sont rendus au tribunal révolutionnaire de Paris. 1.306 sont des acquittements, 72 des peines de prisons, 36 des déportations et 22 renvois. 2.585 sont des condamnations à mort (dont 1.647 lors des trois derniers mois). À la suppression du tribunal révolutionnaire à la fin du printemps 1795, on compte plus de deux cents exécutions supplémentaires, pour un bilan définitif de 2.807 sentences capitales.
80% des condamnés à mort sont issus de ce qu'on appelait
le Tiers-État, avec notamment 31% d'artisans ou de compagnons et 28% de paysans. 20% sont des aristocrates ou des religieux
Reste à savoir quelle couche de la population a été le plus touchée par ces condamnations. Les historiens Alfred Fierro et Jean Tulard ont épluché les registres des tribunaux révolutionnaires dans leur ouvrage Histoire et dictionnaire de la Révolution française. Selon eux, 80% des condamnés à mort sous la Terreur sont issus de ce qu'on appelait le Tiers-État sous l'Ancien régime (l'ensemble des Français n'étant ni nobles ni religieux), avec notamment 31% d'artisans ou de compagnons et 28% de paysans. 20% sont donc des aristocrates ou des religieux, ce qui est très important vu le poids minime de ces deux classes au sein de la population totale.
Ces tendances sont confirmés par les archives du tribunal révolutionnaire de Paris numérisées par Gallica. Le premier condamné à l'échafaud pour des raisons politiques est un officier noble du nom de Louis-David Collenot d'Angremont, qualifié de «chef de la bande assassine», ce qui indique qu'il a participé à la défense du château des Tuileries, alors résidence du roi, le 10 août 1792. Le dernier à mettre sa tête sur le billot après sa comparution devant les juges révolutionnaire s'appelle Jean Tinelle, un garçon-serrurier de 50 ans, coupable d'avoir mis la tête du représentant Féraud au bout d'une pique.
En revanche, on ne remarque de Jacquouille ou de Montmirail nulle part dans les listes.