Sports

Le «groundhopping», ou quand le football devient une destination touristique

Temps de lecture : 6 min

Passionnées par les ambiances des stades de football (et pas que), des dizaines de personnes n’hésitent pas à parcourir des milliers de kilomètres pour découvrir de nouvelles enceintes et de nouvelles atmosphères.

Au Stade San Paolo de Naples, le 12 mars 2015. REUTERS/Ciro De Luca.
Au Stade San Paolo de Naples, le 12 mars 2015. REUTERS/Ciro De Luca.

Chaque semaine, plusieurs centaines de milliers de supporters de football se retrouvent dans les pays du monde entier pour assister à des matchs. Au milieu de tout ce monde, des spectateurs ne sont pas là pour encourager une des deux équipes présentes sur le pré, mais pour découvrir un stade et une atmosphère qu’ils ne connaissent pas et apprécier le spectacle visible dans les travées. Ces personnes-là, très souvent issues du mouvement ultra, font du groundhopping. Contraction de ground («terrain») et de hopping («sautant»), le groundhopping est le fait de «se déplacer pour aller voir des matchs dans des stades où l’on n'a jamais été», explique Rémi, 26 ans, ancien ultra du PSG et groundhopper. C’est d’ailleurs en se déplaçant dans toute la France pour encourager le club parisien qu'il s’est découvert cette passion:

«J'ai commencé par suivre mon équipe aux quatre coins de la France et de l'Europe au début des années 2000. J'adorais cette sensation de découvrir un nouveau stade à chaque fois: nouvelle atmosphère, nouvelle ambiance, l'architecture du stade en lui même... J'ai réellement commencé le groundhopping lors d'une année Erasmus en Allemagne en 2010. Là je pouvais aller voir deux ou trois matchs par weekend. Au début de saison, j'allais voir des rencontres dans des villes pas trop éloignées de là où je logeais et à la fin de l’année, il m’est arrivé de me retrouver à 700 bornes de chez moi pour aller voir des Aachen-Munich 1860 en deuxième division allemande! Il y a aussi l'idée de se faire une impression différente que ce que tu vois sur ton petit écran. A la télé, tu vois vaguement la configuration du stade et c'est tout. Quand tu te déplaces sur place, tu en ressors avec une vision totalement différente. Par exemple je suis déjà allé au stade d'Elbasan en Albanie, là où aura lieu Albanie-Serbie pour le match retour de qualification pour l'Euro. Et bien, je peux dire à l'avance que, vu l’endroit, les supporters serbes ont du souci à se faire.»

Essor avec Internet

Né en Angleterre dans les années 70, ce phénomène a connu un essor important grâce à l’apparition d’Internet. Plusieurs amateurs de groundhopping ont ainsi commencé à partager récits et photos de leurs périples via des blogs et séduit des dizaines de nouveaux pratiquants. Sur des forums spécialisés, les supporters peuvent également s’échanger renseignements et bons plans dans une ville. Rarement regroupés au sein d’associations, les groundhoppers se déplacent presque tout le temps de manière individuelle ou avec un petit groupe d’amis. Parfois, l’enjeu sportif d’une rencontre ou la qualité des joueurs présents sur la pelouse entrent aussi en compte. Et si certains ne se rendent dans une nouvelle enceinte que pour le temps du match, d’autres n’hésitent pas à prolonger leur séjour pour profiter du pays. C’est notamment le cas de Lucas, supporter marseillais et groundhoppeur occasionnel:

«Il y a pas mal de choses qui m’attirent dans le groundhopping: l’opportunité de voir de nouveaux stades où je ne pourrai sans doute jamais me rendre avec mon club, des ambiances différentes, discuter avec les fans et parfois la recherche d’un football moins aseptisé en découvrant des divisions inférieures. Mais aussi parce qu’un club, c’est aussi une ville, un quartier, une histoire, une culture… Je reste souvent en vacances dans les pays dans lesquels je me rends afin d’en découvrir un peu plus. »

Des vacances, Rémi en a pris quelques-unes en mars dernier pour se rendre à Naples et assister à une rencontre de Coupe d’Europe entre le SSC Napoli et l’équipe russe du Dynamo Moscou. Rendez-vous est pris avec lui le matin même du match à l'aéroport de Roissy (Val-d'Oise). «D'habitude, j'essaye de partir en voiture avec un ou plusieurs copains si ce n'est pas trop loin», indique-t-il au moment d'embarquer. «Mais quand c'est trop éloigné, on ne peut pas passer à côté du train ou de l'avion... Cette fois-ci, les billets ont coûté 60 euros aller-retour, c’est correct.»

Passant une partie de leur temps libre dans toute l’Europe, les groundhoppers peuvent parfois relayer vie de famille et travail au second plan. Sans oublier les contraintes financières. Dans l’avion, Rémi revient la vision de ses proches sur à sa passion:

«Quand je raconte que je suis allé voir une rencontre au Luxembourg sur un coup de tête, mon entourage a vite fait de me demander si on m’a obligé à y aller… Quand j’ai été à Budapest pendant quatre jours avec ma copine de l’époque, nous avons assisté à deux matchs de championnat hongrois. Là ça avait presque suscité l'indignation de mes amis et de ma famille.»

Pour les tickets, plusieurs solutions

Arrivé dans la cité napolitaine après deux heures de vol, ce jeune salarié de l’Education nationale se met à la recherche de son hôtel. Plutôt simple, économie oblige, ce dernier est tout de même situé près du centre, histoire de pouvoir profiter un maximum. Venu lors de vacances («mais il n'y avait pas de match du Napoli à ce moment-là», précise-t-il), Rémi connaît déjà bien Naples mais apprécie toujours autant ses charmes. Sa vieille ville et le «quartier espagnol», ses cafés où l'on peut déguster un bon ristretto et de succulentes parts de pizza, mais aussi son port et sa superbe vue sur le Vésuve quand le ciel est dégagé.

Pour obtenir un ticket pour une rencontre, le groundhopper a toujours plusieurs solutions: passer par Internet, tenter de l'acheter aux entrées du stade quelques heures avant le match ou par l’intermédiaire d’un contact directement sur place. Aujourd’hui, la dernière option sera la bonne même si le contact (ici l’ami d’un ami) de Rémi assure qu'il ne «risque pas d'y avoir grand monde au stade ce soir» vu le prix du billet (20 euros). Après un dernier crochet à l'hôtel pour récupérer un petit instant, le soleil se couche et c'est l'heure de se rendre au San Paolo, l’enceinte du club napolitain, situé à quelques stations de métro.

Sur la route, quelques supporters commencent à montrer leurs têtes et les premières tensions se font sentir à proximité du stade. Entre les vendeurs ambulants qui essayent de fourguer leurs petites fioles d’alcools locaux (sambuca et borgetti) ou des écharpes aux couleurs du club, des dizaines de policiers casqués sont en place dans le quartier et un hélicoptère équipé d’un projecteur tournoie dans le ciel. «Ca veut dire que ça vient de se chamailler entre Napolitains et Moscovites», explique un supporter local à Rémi. Dans la foule qui fait la queue pour rentrer, on se bouscule. Quelques gamins tentent de resquiller (sans succès) sous les yeux et encouragements de leurs pères, la fouille est sommaire puis c’est l’entrée dans une des deux Curva (virage).

«Il faut quand même faire attention»

A l’intérieur, aucune présence des forces de l’ordre ou de stadiers, tout semble géré par des groupes de supporters eux-mêmes dirigés par plusieurs cinquantenaires à la mine patibulaire. Dans la tribune quasi-remplie, on trouve une grosse majorité d’hommes (moyenne d’âge 30/40 ans), mais aussi des bambins, des anciens et quelques femmes. Idole de toute une ville, Diego Maradona (qui a joué à Naples dans les années 80) est présent partout dans toute la Curva. Sur les bâches, sur les drapeaux ou les écharpes des supporters… Observant les faits et gestes de chacun, Rémi est fasciné mais essaye de rester discret:

«Il faut quand même faire attention en faisant du groundhopping, car tout peut arriver. En 2012 je m’étais rendu à un match du Partizan Belgrade (Serbie) avec deux amis et une dizaine d'ultras locaux nous sont tombés dessus à l'entrée du stade. J'en rigole maintenant mais il faisait nuit, les mecs arrivent et se mettent autour de toi en te parlant en serbe, tu as l'affaire Brice Taton en tête... Heureusement, une de mes potes parlait un peu serbe et a expliqué aux mecs qu'elle étudiait là donc ça s'est détendu. Après ça on s'est retrouvé dans le virage local, on a essayé de se mettre discrètement dans un coin de tribune mais on était grillé direct. Les coursives n’étaient pas éclairées du tout, il faisait archi-sombre, j'étais constamment sur le qui-vive...»

Du coup, quelques règles sont à respecter lors des voyages à l’étranger: éviter de se «looker» (s’habiller avec des vêtements à la mode dans la mouvance ultra), ne pas se trop faire trop remarquer (pas de photos) et surtout éviter de parler français. Mais aujourd’hui, l’ambiance est à la fête. Après l’ouverture du score rapide du Dynamo Moscou, le Napoli se reprend en marquant deux buts. Toute la tribune pousse et personne n’a l’air de soucier de la présence de Rémi. Ce dernier continue donc ses observations et livre ses impressions à la mi-temps:

«C’est vraiment marrant de voir les différences entre les pays. Ici ça n’a rien à voir avec la France, il n’y a pas de sono ou de tambours et les chants sont lancés à la voix par les leaders et uniquement par eux. Du coup, c’est plus compliqué de faire participer tout le monde au même moment, mais il y a une discipline de fer et ça marche pas mal.»

Le jeu reprend et les locaux continuent sur leur lancée en inscrivant un nouveau but. Le stade exulte et quelques fumigènes sont allumés. Au coup de sifflet final (victoire 3-1 des Napolitains), les supporters restent dans le virage pour saluer les joueurs et crier une ultime chanson en la mémoire de Ciro, un supporter de Naples tué par un supporter romain dans la capitale italienne la saison dernière. Quant à Rémi, c’est l’heure de rentrer dormir en vue du vol retour. Des images plein la tête et des interrogations quant à sa prochaine destination.

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