Le message est lancé sur un prétendu air de nouveauté comme un slogan d’avant-garde, un vade-mecum indépassable. Le projet de candidature de la Ville de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de l'été 2024, validé par le Conseil de Paris lundi 13 avril, devra être porté par «le mouvement sportif et les athlètes» selon les mots d’Anne Hidalgo, maire de la capitale.
Ce sont aussi les paroles de François Hollande, en visite courtoise, jeudi 16 avril, au Comité international olympique (CIO), à Lausanne. «La France est prête à se mobiliser pour une candidature qui pourrait être déposée par le mouvement sportif pour Paris», a-t-il prévenu. Manuel Valls n’a pas dit autre chose: «C'est le mouvement sportif qui sera le chef de file de cette candidature», a-t-il déclaré récemment lors d'un discours consacré au Grand-Paris avec la ferme intention «de ne pas reproduire les erreurs du passé». Jean-Paul Huchon, président de la région Île-de-France, déjà impliqué dans la candidature de Paris 2012 et dont le poste sera remis en jeu en décembre 2015, a sauté dans la foulée de ses éminents confrères socialistes:
«Nous sommes désormais tous unis pour une candidature collégiale –État, Région et Ville– derrière Bernard Lapasset et le mouvement sportif.»
Bernard Lapasset, président de la fédération internationale de rugby, devrait, en effet, piloter cette candidature aux côtés de Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë et seul Français membre du CIO avec Guy Drut.
Cela fait partie des éléments de langage d’une candidature française aux Jeux olympiques, de ces mots creux répétés en boucle jusqu’à l’épuisement sémantique et, malheureusement, la défaite: le mouvement sportif et les athlètes comme chefs de file de cette candidature.
Car, rien de neuf, c’était déjà le cas, sur le papier, en 1986, 2001 et 2005 quand Paris avait successivement échoué à Lausanne, Moscou et Singapour lors des votes face à Barcelone, Pékin et Londres avec toujours, au bout de la conclusion de l’échec, l’idée diffuse d’une trop grande implication des politiques, qui se seraient à chaque fois trop mêlés de ce qui ne les regardait pas au cours de la candidature. Et donc, à chaque nouvelle candidature, la même antienne de la «candidature du monde sportif», jusqu’au moment où elle est inévitablement reprise au vol par les politiques, qui font presque logiquement valoir leurs opinions sur ce lourd dossier.
Attelage massif
Dans un pays aussi politisé que le nôtre avec ses vertigineux échelons de pouvoir sans oublier ses… deux ministres des sports (Patrick Kanner et Thierry Braillard), il est clair que Paris 2024 sera forcément politique et que Bernard Lapasset devra respecter certains équilibres au moment de la distribution des rôles, lorsque l'on se rapprochera de la décision, à Lima, au Pérou, lors de l’été 2017. Dans la bataille qui s’engagera inévitablement au niveau des différentes responsabilités, l’autoritaire Anne Hidalgo, qui ne voulait pas des Jeux olympiques il y a moins d’un an mais préférait l’organisation de l’exposition universelle de 2025 comme horizon parisien (le retournage de veste n’étant pas discipline olympique, elle pense désormais l’inverse), aura du mal à composer avec Jean-Paul Huchon, qu’elle méprise, ou avec Valérie Pécresse, si celle-ci est élue à la présidence de la région Île-de-France à la fin de l’automne 2015.
En ce moment, les astres s'alignent autour de cette candidature
Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports
Depuis quelques jours, les interventions politiques, et donc médiatiques, se multiplient sur Paris 2024, où il s’agit de mouliner les clichés et les idées creuses en se donnant beaucoup d’importance, du président de la République à l’adjoint aux sports de la Ville de Paris. Avec un chiffre en bandoulière: six, comme le nombre de milliards que coûterait cette candidature qui, les observateurs de l’olympisme le savent bien, vaudra environ deux fois plus. Patrick Kanner, qui a bénéficié d’une pleine page dans L’Equipe mercredi 22 avril, fait partie de ces politiques tout contents de s’approprier la parole médiatique à cette occasion:
«L’objectif, c’est qu’autour de la candidature tout un pays se lève, a-t-il souligné avec emphase ou naïveté. C’est un travail de fond. En ce moment, les astres s’alignent autour de cette candidature.»
Bernard Lapasset, qui sait dans quel pays il est et se méfie des fausses promesses actuelles sur fond d’astrologie, a prévenu:
«Il ne faut pas que les politiques décident de tout.»
Ce ne sont pas ces divisions politiques inhérentes qui ont finalement plombé Paris en 2005, équilibré à gauche avec Bernard Delanoë, maire de Paris, et à droite avec Jean-François Lamour, double champion olympique de sabre et ministre des Sports. Mais la nécessité d’entretenir un consensus permanent entre les différentes parties de cette candidature s’était révélée être un boulet lors de certaines actions de communication et de promotion. L’attelage français, en 2017, sera aussi massif.
Sprint final
En juillet 2005, lors du vote de Singapour face à Londres, Paris n’avait pas échoué pour des raisons évidentes et le choix anglais avait paru suspect aux yeux de nombreux observateurs parce que son dossier était jugé moins solide que ceux de Paris et Madrid, autre ville candidate. Mais Londres avait gagné en mettant en avant, dans le sprint final, deux hommes affichant chacun une forme de modernité et de notoriété: Sebastian Coe, ancienne star de l’athlétisme britannique mais connu du monde entier, et Tony Blair, Premier ministre britannique dynamique et médiatique, venu arracher quelques voix cruciales lors des dernières heures de la campagne à Singapour.
Tout s’était joué lors de cette session du CIO et tout ce qui avait précédé n’avait plus compté, ou presque. La com’, avec un lobbying tout puissant, avait tout écrasé à l’arrivée et ce sera encore le cas en 2017.
En 2005, la com’ britannique et le lobbying de Coe et Blair avaient tout écrasé
Il ne suffit pas, comme Anne Hidalgo, d’avoir été comme inspirée par les mouvement de foule et «le message universel» du 11 janvier qui a suivi les attentats pour légitimer l’impérieuse nécessité d’une campagne olympique en complément de l’étude du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), dont la vocation est de justement présenter une candidature. Il faudra savoir tracer une perspective moins simplette et la faire vivre en la sublimant au Pérou, mais est-ce possible dans un pays qui est incapable de dire, avec vision, quelle sera son industrie dans trente ans ou sur quoi reposera alors sa croissance ou son mode de vie?
Le très discret Tony Estanguet, à peine identifié en dehors de nos frontières, sera-t-il l’homme de la situation? Bernard Lapasset, issu d’un sport sans passé olympique et donc sans écho médiatique dans une bonne partie du monde, peut-il s’imposer au-delà de l’univers restreint de l’Ovalie? Ce sont des questions auxquelles ils devront répondre avec autorité car, du côté des politiques, soyons-en sûrs, rien ne changera.
Dans un peu plus de deux ans, il y aura encore du monde pour être sur la photo à Lima, d’autant qu’après l’élection présidentielle de mai 2017 une partie du personnel politique impliqué dans le dossier de candidature aura été renouvelé juste avant le vote final. Et il s’agira alors, pour les petits nouveaux, de se faire connaître et de donner leur avis à la terre entière.