Boire & manger / Société

Le premier whisky parisien n’a pas fini de vous faire hurler (de plaisir, essentiellement)

Temps de lecture : 4 min

La Distillerie de Paris, la première à surgir dans la capitale depuis une centaine d’années, a enfin commencé à produire. Avec, au compteur, quelques petits bijoux liquides qui défient avec jubilation l’orthodoxie des spiritueux.

Photos: Christine Lambert.
Photos: Christine Lambert.

Un jour, qui sait, on découvrira le secret pour distiller les platanes ou les pavés parisiens, et cette gnôle-là, parions qu’il faudra aller la goûter du côté du faubourg Saint-Denis, au fond d’un passage bouché d’une lourde porte cochère. Et que Nicolas Julhès la guettera au bec de son alambic, un sourire d’enfant émerveillé accroché aux lèvres. Vodkas, gins, malts, malt & grain, brandies, rhums de vesou, de mélasse, de honey sugar… Un mois et demi seulement que le Holstein de cuivre rutilant est sous tension, et la Distillerie de Paris a déjà donné tout son sens au mot «baroque», en crachant 17 batches (cuvées) de 80 à 400 bouteilles (40 à 200 l), rarement deux fois le même spiritueux!

Nous avions été les premiers à vous raconter la folle aventure de cette Distillerie, la première à surgir depuis cent ans entre les murs de la capitale, à l’initiative des deux frangins Julhès. Un an plus tard, il semblait raisonnable d’aller vérifier si le pari tenait ses promesses. Alerte spoiler: puissance 1.000, osons le dire!


Le 22 janvier 2015, quand le filet du premier batch –un gin– a frétillé de l’alambic, l’ivresse est venue comme une sorte d’oubli. Oubliées les galères administratives, oubliés les longs mois de retard sur la livraison du matériel, les pannes, la fatigue morale et physique. «Je me suis dit: maintenant, ça coule, plus rien ne peut m’arrêter», soupire Nicolas Julhès en tranchant les kalamansis, de minuscules agrumes qui bientôt atterriront dans l’alambic pour parfumer le gin. «C’est fantastique, le gin. C’est une création purement intellectuelle: tu le dessines avec un papier et un crayon et, à l’arrivée, tu as ce que tu avais imaginé. Avec les spiritueux comme le whisky ou le rhum, il faut passer par des étapes comme la fermentation ou la maturation, perméables aux surprises.»

Alors, avec son crayon, il a couché les recettes de gins qui lui ressemblent, atypiques et généreux, subtils et droits. «Citrus», puissamment agrumes mais déjà en rupture de stock. «Brandy Gin Style», un gin de vigne frais et huileux, élaboré avec un cépage folle-blanche, rectifié au genièvre et aux agrumes. Ou encore «Tonik» distillé avec des écorces de quinquina macérées et infusées, et qui permet de se fabriquer sur-mesure des gin-to sans tonic, en y substituant de l’eau gazeuse (pour un toucher extra dry) ou de la limonade.


Tout a un sens dans ce feu d’artifices allumé par l’esthétique du goût. Les vodkas n’existent qu’aromatisées, trempées aux macérations de fleurs, d’épices, de lichens, d’agrumes –la distillerie en utilise une trentaine, du citron caviar au cédrat en passant par les sudachi, yuzu, bigarade… dans un exercice proche de la haute parfumerie (le prochain objectif du maître des lieux, soit dit en passant). On en retrouve toutes les expressions dans les fizz hespéridés de «Lime», de «Pulp», plaisir capiteux de framboises (lâchées dans l’alambic, ça a dû être sympa à récurer) et de fève de cacao ou d’«India», la petite nouvelle, qui laisse pulser le genièvre pour s’épanouir dans des notes très douces fleurs/tonka.

Les brandies, 100% folle-blanche ou ugni-blanc, nerveux et aromatiques, s’intercalent dans un foutoir de flacons. On sent dans ces distillats vibrionnants l’envie de tester toutes les possibilités offertes par l’alambic, un beau joujou en forme de couteau suisse. «Ce n’est pas un jouet, corrige Nicolas Julhès, mi-figue, mi-raisin. C’est presque un pote. Je me suis surpris un soir à lui dire au revoir… Pour le moment, ça part dans tous les sens, et quelqu’un m’a d’ailleurs expliqué qu’en rationalisant ce pourrait être une vraie success story. Il n’avait rien compris. A ce train-là, ça ne rapportera jamais d’argent, mais c’est le succès de ma vie!»

L’économie fragile des micro-distilleries incite à produire des spiritueux non vieillis, commercialisables immédiatement, et qui assureront la subsistance de l’entreprise pendant que les liquides enfûtés comme le whisky, prendront leur temps, immobilisés pour des années. Mais ces derniers dorment déjà à droite, à gauche, dans la pâtisserie, l’épicerie ou la chocolaterie voisines. Et attendez-vous à des surprises.


Après deux mois sous bois neuf, le «New Malt Spirit», à base de grain et de malt (majoritaire) distillés en même temps, déploie déjà de merveilleux arômes de café et tout le croustillant des céréales, comme une promesse qui attend le grand jour. Un malt légèrement tourbé (17 ppm) roupille depuis deux mois et demi en fûts de Finlaggan, soyeux avec un sacré retour de manivelle en finale.

Certaines barriques, des tonneaux de 110 l façonnés dans le Cognaçais, tous neufs pour le moment, bercent les liquides la bonde ouverte, pour en augmenter les échanges et l’oxydation:

«On est en train de construire un chai à 100 bornes de Paris, au-dessus d’une rivière. Mais on va également faire un gros boulot avec les maturations sous verre, en dame-jeanne ouverte, avec des sticks de bois à différents niveaux de torréfaction. Cela permet d’obtenir des vieillissements au scalpel.»


Autant agiter le chiffon rouge sous le nez des talibans du Whisky (W majuscule, please). «Oui, ça va faire hurler dans les chaumières», sourit le jeune distillateur avec un sens de l’euphémisme qui rendrait jaloux au nord du Channel.

«Tiens, goûte ça.» «Ça», c’est Galabé, un rhum limpide aux arômes chauds comme un début d’été sous ses 47°. Un rhum de honey sugar, une étape intermédiaire entre le vesou (jus de canne) et la mélasse (résidus de sucre), rond, débarrassé de son sucre, mielleux, à la douceur patinée de cachaça. «C’était cool à fabriquer, je l’ai réduit progressivement, sur un mois, en dame-jeanne ouverte.»

«Cool» et «rigolo», une paire d’adjectifs qui reviennent souvent dans la bouche de Nicolas Julhès. A ses yeux, semble-t-il, deux excellentes raisons de faire les choses. Et, j’ai beau y réfléchir, je n’en vois pas de meilleure.

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