François Hollande, en arrivant à l’Elysée, n’en avait pas fait mystère: la première moitié du quinquennat serait consacrée aux réformes et la seconde à leur consolidation.
Deux ans et demi pour réformer un pays, c’est l’inconvénient du quinquennat par rapport au septennat: il réduit le temps de travail utile pour prendre des mesures pas forcément populaires. Mécaniquement, avec un horizon à cinq ans, le compte à rebours à partir duquel on ne réforme plus se déclenche plus vite. Sans compter que, un an avant la nouvelle élection présidentielle, plus question d’irriter l’électorat.
Dans cette logique et conformément à son programme de travail, la période des réformes pour François Hollande aurait dû se terminer à la fin 2014, d’autant que l’absence de majorité soudée à l’Assemblée nationale a été démontrée fin janvier par le recours à l’article 49-3 de la Constitution pour imposer la loi Macron. Les frondeurs socialistes et les anciens alliés écologistes refusent de s’engager dans la voie social-démocrate tracée par le chef de l’Etat, ce qui complique singulièrement le travail de réforme.
La tension est telle à l’intérieur de la majorité que, à peine le ministre de l’Economie Emmanuel Macron eut-il évoqué l’hypothèse d’une deuxième loi, il se fit recadrer par Stéphane Le Foll en tant que porte-parole du gouvernement pour éviter toute nouvelle séquence d’autodestruction du PS. On aurait pu en déduire que les réformes étaient terminées…
En outre, le bas niveau de popularité de François Hollande et la défaite des socialistes aux élections départementales ne sont pas de nature à entretenir une volonté réformatrice, surtout à deux mois d’un congrès où les fractures au sein du PS, sur fond d’opposition à la politique de Manuel Valls, risquent d’être profondes. Bref, on pouvait craindre l’immobilisme, le gouvernement s’en remettant à la baisse du prix du pétrole.
Malgré les fractures, les réformes continuent
Heureusement, on n’en pas prend pas le chemin; pas dans l’immédiat. Le chef de l’Etat semble s’en tenir à son engagement d’octobre 2014: «Les réformes se poursuivront à un rythme encore accéléré.» En réalité, s’il veut donner des gages à la Commission européenne, qui a octroyé un délai supplémentaire à la France pour revenir dans les clous budgétaires, François Hollande n’a pas d’autre choix pour que la parole de la France conserve une certaine crédibilité. Pas seulement vis-à-vis de Bruxelles, mais de l’ensemble des partenaires européens.
En revanche, les réformes annoncées ne seront pas forcément ambitieuses. Pas forcément populaires non plus.
La modulation des allocations familiales, présentée le 8 avril comme une mesure de justice sociale et qui va toucher une famille sur dix, illustre cette poursuite des réformes. Le dossier avait été rouvert en 2013. Par rapport aux cinq scénarios proposés alors le Haut conseil de la famille, Manuel Valls a choisi une solution médiane. Il n’en reste pas moins que, fixant une dégressivité à partir de 6.000 euros de revenus pour un ménage de deux enfants, le Premier ministre va braquer un peu plus de ménages de la classe moyenne contre sa politique.
Or, ces ménages se considèrent déjà comme les grands perdants du mandat de François Hollande. La réforme fiscale portée par Matignon, qui a consisté à supprimer la première tranche de l’impôt, concerne 9 millions de foyers fiscaux (sur 37 millions en France) mais permet surtout à quelque 3 millions d’entre eux, aux revenus les plus modestes, de sortir du dispositif de l’impôt. Les classes moyennes n’en ont pas profité. Et aujourd’hui, une partie se détourne du vote socialiste.
Le Premier ministre, déjà critiqué à gauche pour son action en faveur des entreprises, poursuit néanmoins dans la même direction en présentant une nouvelle mesure destinée à relancer l’investissement (qui a baissé de 1,6% en 2014). Cet avantage fiscal exceptionnel vient s’ajouter au dispositif du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et autre pacte de responsabilité, qui offrent un ballon d’oxygène à 40 milliards d’euros aux entreprises.
Alors que la gauche de sa majorité lui reproche ces allégements fiscaux en faveur des entrepreneurs qui en réclament toujours plus et qu’ils accusent de ne pas jouer le jeu, le Premier ministre persévère pour que, enfin, le chômage recule. C’est tout l’enjeu de ce coup de pouce de 2,5 milliards d’euros sur cinq ans.
Une progression par compromis
Une autre réforme, attendue pour la fin avril, porte sur la fluidification du dialogue social dans les entreprises, et notamment dans les PME. Pour François Rebsamen, le ministre du Travail, le dossier sera plus complexe que la transformation du DIF (droit individuel à la formation) en CPF (compte personnel de formation) début 2015.
Mais on ne parle plus de remise à plat du CDI et du CDD pour une refonte globale du contrat de travail. L’ambition se limiterait désormais à une extension à de nouveaux secteurs du contrat de chantier qui existe actuellement dans le bâtiment et les travaux publics, sorte de CDI dont la durée est liée à l’achèvement d’un chantier.
Le projet de fusion du CDI et du CDD avancé par le Medef, et qui reviendrait à agiter un chiffon rouge devant les syndicats, est tout simplement irréaliste en deuxième partie de mandat. Malgré tout, ce contrat de chantier ne répondrait pas au projet de simplifier la réglementation, elle-même tributaire de la complexité liée à l’accumulation des types de contrat.
En revanche, s’il est une réforme qui doit aboutir, c’est celle de la politique énergétique avec l’adoption de la loi sur la transition énergétique qui permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de créer des emplois tout en consolidant l’indépendance énergétique du pays. On ne saurait imaginer projet plus consensuel, et Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie, joue dans cette partie la légitimité de son retour aux affaires, ce qui lui permettra de faire un peu oublier sa gestion mal maîtrisée du dossier de l’écotaxe.
Toutefois, le nucléaire ne fait pas partie de cette loi. Et des affrontements se profilent pour que la promesse du candidat Hollande d’abaisser à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité en 2025 soit tenue, sachant que la tendance ne va pas dans ce sens, même avec la fermeture programmée de la centrale de Fessenheim.
Des réformes structurantes ne verront pas le jour
Manuel Valls continue donc de réformer, promettant de réaliser la fusion du RSA et de la prime pour l’emploi en une prime d’activité, une idée qui progresse depuis plus d’un an. Il songe même à une refonte du régime social des indépendants (RSI) après les multiples dysfonctionnements qui affectent les 6 millions de personnes qui en dépendent. Mais il n’ira peut-être pas lui-même au bout de cet énorme chantier, né après le rapprochement en 2008 du RSI (créé en 2006) et de l’Urssaf, et de l’ouverture de ce régime aux auto-entrepreneurs en 2009 sans moyens supplémentaires pour gérer cet afflux d’assurés.
D’autres réformes ont été menées dans le secteur économique. En plus de celles déjà citées, il y eut, avec Jean-Marc Ayrault à Matignon, de réelles avancées comme l’harmonisation de la taxation du capital sur la fiscalité du travail (déjà engagée par la droite) ou la loi sur la sécurisation de l’emploi en 2013, qui a permis de relancer le dialogue social dans des groupes comme Renault et PSA.
La loi sur l’économie sociale et solidaire a été promulguée en juillet dernier après une longue gestation. De même, depuis 2012, des dispositions qu’on attendait depuis longtemps ont vu le jour en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Mais leurs effets tardent à se faire sentir.
Reste que toutes ces réformes n’ont pas l’ampleur de ce qui était attendu, tant en matière de fiscalité que de retraites par exemple. Le prélèvement à la source est reporté sine die. Et les déséquilibres dans le système de retraite se traitent toujours en déplaçant les mêmes curseurs alors que des remises en question plus radicales seraient nécessaires. Même chose sur le train de vie de l’Etat: pas sûr que la réforme territoriale, plutôt petit bras, engendre de grosses économies.
Or, sur ces différents dossiers, le message du gouvernement est clair: il ne se passera rien de nouveau au cours de cette mandature. Aux successeurs de se confronter à l’impopularité! Pour autant, si la croissance revient –encore très timide avec une projection de 1% cette année et 1,5% l’an prochain–, il ne faudrait pas baisser les bras. Ni, pire, distribuer les dividendes de la croissance avant même de les engranger. Le temps mis pour recréer des emplois, bien plus long que le chef de l’Etat ne l’avait anticipé, interdit de s’arrêter en chemin. Le temps politique rythmé par les élections dût-il en souffrir.