Économie / France

Hollande ne doit pas changer de politique économique

Temps de lecture : 4 min

Certains au PS ou parmi d’autres formations classées à gauche s’étonnent publiquement: la majorité essuie une cuisante défaite aux élections départementales et le gouvernement n’en tire aucune conclusion, il continue comme avant. Mais Hollande et Valls ont-ils vraiment le choix?

François Hollande visite les Forges de Trie-Château dru groupe LeBronze Alloys, dans l'Oise, le 3 avril 2015. REUTERS/Alain Jocard/Pool
François Hollande visite les Forges de Trie-Château dru groupe LeBronze Alloys, dans l'Oise, le 3 avril 2015. REUTERS/Alain Jocard/Pool

Après un scrutin marqué par un aussi fort taux d’abstention (50,2% au second tour), deux interprétations sont possibles. Ou on se focalise sur les indications données par les suffrages exprimés et on en conclut que le désaveu de la politique menée au niveau national ouvre des perspectives à la droite et que, dans l’immédiat, une politique de gauche n’aura plus de soutien dans l’opinion. Ou on estime que l’abstention est surtout le fait d’électeurs de gauche déçus par la politique menée depuis 2012 et que, au contraire, le gouvernement en place doit impérativement mener une politique plus clairement orientée à gauche. C’est ce deuxième point de vue qu’expriment les «frondeurs», les Verts et le Front de gauche.

Pour le moment, ni François Hollande ni Manuel Valls, qui garde son poste de Premier ministre, ne manifestent la moindre velléité de changement. Ce qui est annoncé, c’est la continuité, avec des réformes que l’on pourrait qualifier de «sociales libérales» dans le prolongement du CICE, du Pacte de responsabilité et du projet de loi Macron plus que de franchement «socialistes».

Est-ce tenable? Pour répondre à cette question, il faut quitter le champ de l’analyse politique pour entrer dans celui de l’économie.

Enfin une éclaircie

Que constate-on alors? Que la situation continue de s’améliorer en Europe et que, ce qui est nouveau, la France en profite elle aussi. Jusqu’à présent, on remarquait surtout un bon niveau d’activité en Allemagne et un rebond très fort dans les pays les plus touchés par la crise financière, comme l’Irlande et l’Espagne. Mais la France restait désespérément à la traine, avec une croissance moyenne de 0,1% par trimestre depuis le printemps 2011.

Cette fois, notre pays semble en mesure de monter dans le train de la reprise. Ce ne sera pas foudroyant. L’Insee nous annonce une croissance de 0,4% au premier trimestre et de 0,3% au deuxième, avec deux remarques qui incitent à mesurer notre enthousiasme: la reprise de l’investissement se fait toujours attendre et le taux de chômage va encore progresser sur l’ensemble du premier semestre 2015. Ce qui n’est pas surprenant: l’emploi est un indicateur «retardé» de la conjoncture; il faut attendre d’avoir enregistré plusieurs trimestres d’activité soutenue pour que les entreprises recommencent à embaucher.

Même si les économistes sont en train de revoir leurs prévisions de croissance à la hausse (1,1% cette année, après 0,4% en 2014, selon l’OCDE, 1,2% selon COE Rexecode), ces chiffres sont encore trop modestes pour laisser espérer une inversion de la courbe du chômage dans les prochains mois.

Encore un peu de patience

Quant à la panne de l’investissement, elle n’est pas surprenante. Malgré des taux d’intérêt exceptionnellement faibles, les ménages ne sont pas en situation d’investir dans l’immobilier et il va encore falloir attendre quelques mois avant que ceux d’entre eux qui pourraient le faire ne se remettent du choc provoqué par la loi Alur de Cécile Duflot.

L’investissement public est en panne également, du fait des mesures prises pour réduire les déficits (même si la France prend plus de temps que ne l’exigerait un respect rigoureux de ses engagements européens).

Et la mollesse de l’investissement des entreprise s’explique parfaitement: jusqu’à maintenant, leurs dirigeants avaient une visibilité assez faible et, de surcroît, ils n’avaient pas les moyens financiers nécessaires. Le CAC 40 n’est pas représentatif de l’ensemble des entreprises françaises. Contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, le taux de marge reste en moyenne à un niveau très faible. Ainsi que le souligne l’Insee, il s’est stabilisé en 2014 après trois années de baisse et devrait connaître seulement maintenant un net redressement. Comme les liquidités sont abondantes du fait de la politique non conventionnelle de la Banque centrale européenne et que les banques se déclarent moins réticentes à prêter, on ne peut exclure un déblocage de la situation sur le front de l’investissement dans les prochains mois.

Ce n’est donc vraiment pas le moment d’inquiéter les dirigeants d’entreprise en annonçant un changement de cap, surtout au sens traditionnel où semble l’entendre la gauche: plus de dépenses publiques, moins de «cadeaux» aux entreprises. Si l’on veut casser la reprise fragile qui s’amorce, le meilleur moyen est de revenir sur les mesures adoptées par le gouvernement Valls.

Fort heureusement, le président de la République laisse au contraire entendre qu’il va amplifier les mesures déjà prises, notamment en faveur de l’investissement. Et de nouvelles dispositions sont annoncées concernant le marché du travail.

Un beau défi pour la gauche!

C’est probablement sur ce dernier point que le gouvernement va devoir se montrer le plus vigilant.

Certes, souligne l’OCDE dans son rapport sur la France publié le 2 avril, plusieurs réformes récentes menées en ce domaine sont «dignes d’éloges». Mais, ajoutent les mêmes experts, il ne saurait être question de s’arrêter là car «la réforme du marché du travail français est une condition fondamentale à toute stratégie de croissance et de bien-être». Il s’agit notamment de raccourcir et simplifier les procédures de licenciement et de réduire le dualisme du marché français entre ceux qui bénéficient d’un contrat à durée indéterminée (CDI) et ceux qui sont dans des conditions d’emploi précaires.

Faut-il rappeler, comme le fait l’OCDE, que seulement 16% des embauches se sont faites en 2013 avec des CDI?

Mais assouplir les règles du marché du travail, cela ne signifie pas réduire systématiquement les droits des travailleurs et aller vers des situations extrêmes comme on le voit en Grande-Bretagne avec les contrats zéro heure.

C’est là où un gouvernement de gauche pourrait montrer qu’il a quelque chose à apporter, pas en laissant filer les déficits ni en augmentant encore les dépenses publiques, qui ont représenté 57% du PIB en 2014.

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