Est-ce un instrument de musique ou un simple faiseur de bruit? La vuvuzela, accessoire emblématique de la Coupe du monde de football 2010 disputée en Afrique du Sud, est –depuis sa starification– à la fois détestée et défendue coûte que coûte comme un élément central de la culture sportive du pays hôte.
Durant la compétition, les retransmissions télévisées ont été bercées par ce bruit de fond, ce bourdonnement insufflé par la foule, au point de voir de nombreux acteurs du football en demander l'interdiction dans les stades.
Mais la vuvuzela, vent debout contre cette ingérence, a tenu bon. Et comme tout phénomène culturel d'envergure, ancré dans l'héritage et la tradition, ses origines sont également disputées, quelque part entre les townships de Johannesbourg et les sectes religieuses baptistes, très puissantes en Afrique du Sud.
«Il faudrait les interdire»
Une chose semble cependant établie: la vuvuzela serait un descendant indirect du kudu horn, cet instrument taillé dans une corne de koudou, antilope très répandue en Afrique du Sud. La plupart du temps, le kudu horn (comparable au chofar) émet un son monophonique et une seule et unique note, ce qui le différencie des flûtes, entre autres. Il en va de même pour la vuvuzela. Cette dernière, aujourd'hui conçue en plastique, a été produite et commercialisée à grande échelle par l'entreprise sud-africaine Masincedane Sport à partir de 1999.
Lorsque la Coupe du monde 2010 démarre tambour battant, la vuvuzela s'est déjà fait une place de choix dans les stades du pays. Quelques mois avant le début de l'événement, des voix s'étaient déjà élevées contre ce jouet assourdissant. Notamment celle du milieu espagnol Xabi Alonso, futur vainqueur de la compétition et champion d'Europe en titre, qui, après avoir découvert le volume sonore des vuvuzelas pendant la Coupe des confédérations 2009, s'était exprimé sur le sujet un an plus tôt: «Je trouve ces vuvuzelas très dérangeantes. Elles ne contribuent aucunement à l'atmosphère des stades. Je pense qu'il faudrait les interdire.»
Xabi Alonso était loin d'être le seul acteur du ballon rond à réclamer le bannissement de la vuvuzela. Le sélectionneur des Pays-Bas, Bert van Marwijk, l'a tout simplement fait interdire aux entraînements publics de son équipe pendant la compétition. Plusieurs chaînes de télévision, soucieuses du rendu sonore d'une telle ambiance, ont également fourni des études prouvant sa nocivité sur l'audition, certains chercheurs avançant que l'exposition sonore moyenne durant un match se situait à 100,5 décibels avec des pics à 144,2 décibels. À titre de comparaison, les normes anglaises exigent une protection auditive pour les travailleurs exposés à 85 décibels ou plus.
Oui, mais voilà: devant son refus de porter atteinte à la culture locale, la vuvuzela étant totalement intégrée au supportérisme sud-africain –au même titre que le makarapa, ce casque de mineur coloré–, la FIFA a finalement décidé de ne pas interdire l'accessoire durant la Coupe du monde. Une prise de position politique, certes, mais également économique, puisque les principaux fabricants, Masincedane Sport en tête, avaient déjà basé leur modèle sur cet événement et démarré la production des vuvuzelas en plastique. Les interdire leur aurait porté un coup potentiellement fatal et aurait terni l'image de l'institution organisatrice. Bref, un bannissement n'aurait arrangé personne... sauf les téléspectateurs.
Un instrument prophétique?
Il a donc fallu faire avec. Pendant le Mondial sud-africain, des bouchons d'oreille spéciaux étaient également vendus, habilement baptisés les «Vuvu-Stop», censés atténuer drastiquement la fréquence émise par la vuvuzela. Car celle-ci, fabriquée en série, fait retentir une note, généralement un si bémol, et pas une autre. Constatant cette caractéristique sonore, plusieurs chaînes de télévision ont tenté de mettre au point des atténuateurs concentrés sur cette fréquence précise, parvenant certes à diminuer l'impact de la vuvuzela à l'écran, mais sans réussir à la rendre inaudible.
Au journal britannique The Guardian, un certain Dan Gauger, directeur de la recherche sur la réduction de bruit chez Bose, expliquait juste avant le début du Mondial 2010: «La réponse la plus simple est la suivante: je ne vois pas comment faire cela. Même si c'est un son drone assez stable, il est constitué d'un grand nombre de fréquences, sur un spectre très large, qui s'entremêlent aux nombreuses voix humaines.» En d'autres termes, les chercheurs ne sont pas parvenus à isoler ladite fréquence et donc à la supprimer. Peu étonnant lorsque l'on sait que, durant la compétition, près de 30.000 vuvuzelas pouvaient retentir simultanément pendant un match. Avec, pour chacune, une fréquence légèrement différente.
Mais alors, d'où vient exactement la vuvuzela? Au début de la Coupe du monde, un homme nommé Enoch Mthembu a fait le tour des médias pour prêcher la bonne parole. Ce responsable des relations publiques de l'Église Shembe, une secte baptiste sud-africaine très puissante, expliquait à qui voulait l'entendre que sa confrérie utilisait la vuvuzela dans des cérémonies et des rites de soins aux malades depuis 1910. En bon bigot, il rejette en bloc l'héritage ancestral des kudu horns, avançant l'idée que le prophète de son église, Isiah Shembe, l'aurait tout simplement inventé et utilisé avec des tambours pour invoquer des miracles.
Freddie Maake aurait retiré la poire permettant de faire retentir le klaxon et se serait mis à souffler dedans, faisant naître une mode vite répandue dans les stades locaux.
Si cette affirmation peut paraître fantaisiste et un bel effort de communication, elle n'est pourtant pas sans fondement. La vuvuzela, et c'est admis, a réellement été démocratisée dans les années 1980 pendant les matchs opposant les Orlando Pirates aux Kaizer Chiefs, parmi les plus grands clubs du pays, tous deux étant situés à Soweto, le gigantesque township de Johannesbourg.
Elle a ensuite pris d'assaut les groupes de supporters de l'AmaZulu FC, l'un des clubs de la troisième plus grande agglomération du pays, Durban. À CNN, le responsable de la communication du club, Philani Mabaso, déclarait en juin 2010: «Le premier match que j'ai vu là-bas, c'était en 1987, quand l'AmaZulu a affronté le Jomo Cosmos [un autre club de Johannesbourg, ndlr]. Il y avait un homme avec une grosse vuvuzela en métal. La plupart de nos supporters sont membres de l'Église Shembe, qui est très importante dans notre province. Ils venaient de leur congrégation directement aux matchs.»
Descendant du «boogie blast»
Mais une autre piste semble encore plus crédible. Masincedane Sport, leader du business de la vuvuzela, se serait en fait très largement inspiré de l'invention de Freddie Maake, un fan de foot et entrepreneur originaire du township de Tembisa (près de Johannesbourg). En 1970, pour ses 15 ans, son frère lui aurait offert un vélo flambant neuf, équipé d'un klaxon en aluminium. Freddie Maake aurait retiré la poire permettant de le faire retentir et se serait mis à souffler dedans, faisant naître une mode vite répandue dans les stades de football locaux. Il l'aurait alors baptisée «boogie blast», sans en breveter ni le concept ni le nom.
En 1989, son invention était déjà très populaire en Afrique du Sud, ayant pris d'assaut les clubs professionnels, avec cette facilité à être customisée aux couleurs des différentes équipes. Mais le «boogie blast», alors fabriqué en métal, fut considéré comme une potentielle arme blanche dans un contexte politique et social très violent, et donc interdit sous cette forme dans les enceintes sportives. Pour contourner cet obstacle, Freddie Maake a mis au point une version en plastique rebaptisée «vuvuzela» trois ans plus tard.
Sous cette forme moderne, la vuvuzela devient une actrice essentielle des derbys de Soweto opposant les Orlando Pirates aux Kaizer Chiefs. On l'entend également rugir durant la Coupe du monde de rugby disputée en Afrique du Sud en 1995 et remportée par le pays hôte.
En quelques années, Freddie Maake et sa société passent de 1.000 exemplaires fabriqués par mois à 50.000, avant que d'autres entreprises ne flairent le filon, dont Masincedane Sport. Cette dernière, en la personne de son directeur général Neil van Schalkwyk, n'a d'ailleurs jamais contesté les possibles origines de la vuvuzela, de cette manne financière sur laquelle elle est désormais confortablement assise.
Légalement, Freddie Maake et l'Église Shembe ne touchent pas un sou de cet engouement mondial. Le premier, tout de même, est parvenu à faire son beurre en négociant des interviews payées durant le Mondial 2010, pendant lesquelles il racontait aux journalistes du monde entier la genèse de la vuvuzela, comme le rapporte cet article de 20 Minutes à l'époque.
La compétition achevée, plusieurs instances ont banni l'accessoire des stades: la FIFA lors de la Coupe du monde 2014 au Brésil, puis la dernière en 2022 au Qatar, les Fédérations française et anglaise de rugby, l'UFC ou encore les clubs de football anglais de Chelsea et Tottenham. Peu importe: la vuvuzela reste à jamais associée au football sud-africain et à la fureur qui l'habite.