Sports / Culture

Entre l'OM et le rap, un mariage d'amour et de raison

Temps de lecture : 4 min

Depuis cinq ans, les liens anciens entre le club de football phocéen et le rap marseillais se sont renforcés et même officialisés contractuellement.

Sorti le 15 août 2020 et mettant en scène les huit rappeurs marseillais Jul, SCH, Kofs, Naps, Soso Maness, Elams, Solda et Houari, le clip de la chanson «Bande organisée» a notamment été tourné au stade Vélodrome, habituel antre de l'OM. | Capture d'écran DORETDEPLATINE via YouTube
Sorti le 15 août 2020 et mettant en scène les huit rappeurs marseillais Jul, SCH, Kofs, Naps, Soso Maness, Elams, Solda et Houari, le clip de la chanson «Bande organisée» a notamment été tourné au stade Vélodrome, habituel antre de l'OM. | Capture d'écran DORETDEPLATINE via YouTube

«Voici monsieur le numéro un du rap français, monsieur le Marseillais, monsieur Juuuuuuuuuul!» C'est par ces mots un brin maladroits que le speaker du stade Vélodrome, antre de l'Olympique de Marseille, a accueilli le rappeur Jul, lorsque celui-ci était convié à donner le coup d'envoi du match OM-Lorient, pour le compte de la 19e journée de Ligue 1, le 14 janvier 2023.

Le chanteur –fierté locale, emblème du rap marseillais depuis son éclosion auprès du grand public fin 2013 et qui sait jouer avec les codes du foot dans ses projets musicaux– s'avance alors vers le rond central, en claquettes-chaussettes, tape dans la main du joueur international français Mattéo Guendouzi et effectue la petite passe en retrait réglementaire. «Allez, merci à toi, on t'embrasse», conclut le speaker.

Jul passera le match près du banc de touche, sous les applaudissements sincères et nourris, après avoir confié aux journalistes la réalisation d'un «rêve de gosse». Mais il n'est pas là par hasard, ou pour récolter les fruits de sa notoriété: c'est ce jour-là qu'a été annoncé, en grande pompe, un partenariat entre le club et son label de musique, D'or et platine. Pour la première fois le 14 janvier et jusqu'à la fin de la saison, son logo D&P apparaît sur les maillots portés par les footballeurs phocéens.

L'Olympique de Marseille et le rap, c'est une longue histoire d'amour. Deux fers de lance culturels d'une ville effervescente qui cherche à marquer sa différence avec Paris, capitale parfois rivale. Dans le football, l'antagonisme n'est plus à démontrer. Dans le rap, il est palpable, surtout dans les années 1990. C'est notamment durant cette décennie que ces deux oppositions vont prendre réellement forme.

Côté ballon rond, le rachat du club en 1986 par Bernard Tapie et la montée en puissance de Canal+, chaîne désireuse de déchaîner les passions pour plus d'audiences, a été un cap franchi dans la rivalité. Le rap français, dont les débuts discographiques adressés à un public large datent de 1991, a aussi vu se développer des singularités entre Marseille et Paris, que ce soit en termes sonores, textuels et culturels. IAM et NTM en sont un simple exemple. En somme, rap et foot ont été deux moyens d'affirmer médiatiquement la particularité phocéenne à des périodes similaires.

Correspondre à l'ADN

Enceintes populaires par excellence, les stades ne sont généralement pas utilisés seulement par les clubs hôtes. Dans les années 1980, le stade Vélodrome de l'OM a accueilli plusieurs grands meetings politiques –entre autres manifestations– comme ceux du communiste Georges Marchais en janvier 1978 ou en avril 1981 ou celui du frontiste Jean-Marie Le Pen en avril 1988.

À la suite de ce dernier, Jean-Claude Gaudin, à l'époque maire du quatrième secteur de Marseille (il sera maire de la ville entre 1995 et 2020), décidait la fin de la politisation ouverte de l'antre pour en faire «un lieu de consensus, un lieu pour le sport, la culture, la fête et l'unité de toutes les communautés».

Les concerts, qui étaient déjà légion dans le stade, y sont devenus les principaux événements annexes au football. Johnny Hallyday y est passé quatre fois dans les années 2000. Paul McCartney, Céline Dion ou The Rolling Stones s'y sont également produits à la fin des années 2010.

Forcément, les rappeurs locaux y ont donné leurs grand-messes. Le plus fidèle au concept est Soprano, ancien membre du groupe marseillais Psy 4 de la Rime, programmé en octobre 2017, octobre 2019 (deux concerts) et juin 2022 (également deux). Quelques jours avant Soprano, Jul avait lui aussi mis le feu au Vélodrome, le 4 juin 2022. Près de 60.000 spectateurs sont venus acclamer l'enfant du pays et même composer un featuring avec l'artiste marseillais.

Tout est donc question d'affirmation d'identité. Pour l'Olympique de Marseille, embrasser le rap et ses acteurs est une façon non voilée de combiner deux emblèmes, en vue d'établir une fidélisation et du lien avec la base.

En 2020, le rappeur Sat l'Artificier, membre de la Fonky Family, devenait speaker officieux et temporaire du club au milieu d'une communication rondement menée. Le communiqué parlait bien d'«ADN» et de «style urbain»: «L'artiste marseillais correspond pleinement à l'ADN de notre club et rejoindra dès demain notre speaker André Fournel, afin d'apporter sa touche personnelle et sa créativité, dans le but d'animer l'avant-match dans un style urbain, permettant de mélanger deux univers: sport et musique.»

Artistes au service de la com'

Le point d'orgue de cette union musico-footballistique date très certainement de novembre 2019, comme le relate le site de Red Bull. Le club contacte alors plusieurs rappeurs marseillais pour leur proposer de réaliser une série de freestyles autour du thème de l'OM. Puis il met en place le projet «OM, la compo», où de grands noms actuels du genre –tels que Hatik ou Zamdane– viennent apporter leur soutien en musique au personnel soignant durant la crise du Covid-19.

Derrière cette opération, on trouve également le label BMG, qui deviendra le partenaire du club lors de la prochaine main tendue vers le rap, à savoir la création d'OM Records, label directement affilié au club et qui compte aujourd'hui dans ses rangs des artistes en développement (ou émergents), tels que TK, Manny ou Kemmler.

À la tête de l'écurie, et c'est notable: une femme, Émilie Hauck, qui déclare: «L'idée, c'est de mettre en avant la scène locale avant tout, mais en tant que directrice artistique, je ne m'interdis pas de signer un artiste qui viendrait d'ailleurs s'il aime l'OM.»

Les artistes d'OM Records, de manière certainement contractuelle, doivent porter le maillot de l'OM presque en toutes circonstances, prendre la pose dans l'enceinte de l'équipe entre les matchs, dans des tribunes vides. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour (ou pour l'argent)?

Expliquer que la musique devient un pur argument de communication serait enfoncer une porte ouverte et prendre le risque de montrer sa naïveté. Le rap marseillais n'a jamais eu besoin des chèques du club pour chanter les louanges de son équipe. Le club n'a jamais eu besoin de directeurs artistiques pour comprendre que le rap était une partie essentielle de la culture de ses supporters. Mais l'alliance économique et marketing affichée, elle, est nouvelle et grandissante.

Elle est également, à son échelle, l'illustration de l'ultra-industrialisation actuelle de ces deux domaines, un pas de plus vers la transformation des cultures locales et bien ancrées en cultures commerciales. Il faut distinguer les deux pour ne pas prendre l'argument économique comme critère de qualité. Mais il faut l'avouer: ce mariage entre l'Olympique de Marseille et le rap n'est que l'officialisation d'un concubinage. Et donc, presque une suite logique.

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