Sports / Culture

Bob Marley et le football, une certaine idée de la liberté

Temps de lecture : 5 min

Grand amoureux du ballon rond et de Pelé, le chanteur jamaïcain aurait contracté son cancer fatal lors d'un match amical à Paris. C'est faux.

Les supporters du Standard de Liège rendent hommage à Bob Marley, lors d'un match du championnat belge de Jupiler Pro League face au RAEC Mons, le 10 février 2013 à Liège. | John Tys / Belga via AFP
Les supporters du Standard de Liège rendent hommage à Bob Marley, lors d'un match du championnat belge de Jupiler Pro League face au RAEC Mons, le 10 février 2013 à Liège. | John Tys / Belga via AFP

C'est un raccourci et une inexactitude tellement énormes qu'il est effarant que cette information se répande encore aujourd'hui comme une traînée de poudre non vérifiée. Mais que voulez-vous, les voies des légendes sont impénétrables. Selon un nombre tout à fait incalculable de sites internet en tout genre, dont certains très sérieux, Bob Marley, prophète de la musique jamaïcaine et du reggae, certainement l'une des cinq plus grandes icônes de la musique moderne, aurait contracté son cancer fatal lors d'un match amical de football, disputé le 9 mai 1977 à Paris.

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Tiens donc. A-t-on des statistiques sur les nombres de mélanomes développés à cause d'une pelouse trop grasse ou d'un ballon trop dur? Trêve de cynisme. Plus de quarante-cinq ans plus tard, cette anecdote déformée apparaît comme l'occasion de revenir sur l'amour porté par le chanteur envers le sport du peuple par excellence.

Un score sans appel pour l'équipe franco-jamaïcaine

Que s'est-il donc passé lors de ce fameux match? Et bien, rien de fou. Bob Marley, ses musiciens du groupe The Wailers et ses amis se sont laissés aller à une aimable confrontation. Non pas au pied de la tour Eiffel, comme on lit ci et là, mais derrière l'hôtel Hilton situé, il est vrai, à quelques centaines de mètres du Trocadéro (XVIe arrondissement de Paris). Un détail, certes, mais le décor varie bel et bien.

Du côté des adversaires, on retrouve principalement des vétérans du show-biz français, les Polymusclés, aréopage emmené par le chanteur Herbert Léonard. Dans l'équipe du roi du reggae, il y a ses musiciens donc, mais aussi le journaliste Philippe Paringaux qui se place dans les buts, le confrère Francis Dordor comme ailier droit, le photographe Paul Alessandrini ou encore l'auteur Jean-Louis Lamaison. Bob Marley est ailier gauche.

Lui et sa troupe gagneront 6 à 1. Mais la star jamaïcaine ne termine pas le match: après un mauvais tacle, il souffre du gros orteil droit et doit céder sa place sur le terrain. Cette blessure ne l'empêche pas de briller lors de son concert parisien, donné le lendemain.

Cependant, quelques semaines plus tard, après une prestation à Londres, son pied le fait atrocement souffrir. Il se décide, enfin, à consulter. Le médecin qui examine son orteil panse la plaie, mais lui recommande tout de même de faire des examens sans tarder. La biopsie réalisée dans la foulée est formelle: un mélanome s'est développé sur l'extrémité de son pied, la solution la plus efficace est l'amputation. Bob Marley, fidèle aux stricts principes du rastafarisme, refuse cet acte chirurgical. Une décision qui –entre bien d'autres qui suivront– l'enfonce déjà dans la tombe.

Proche du niveau professionnel?

Du football, Bob Marley a extrait l'essentiel: une forme de liberté. Ce sport l'a accompagné toute sa vie. Il était, dans son cercle, considéré comme une cause noble et une pierre pavant la paix de l'esprit. Le chanteur était un grand admirateur de Pelé, star brésilienne par excellence, non seulement considéré comme l'un des (le?) plus grands footballeurs de l'histoire, mais également comme le symbole d'un peuple noir, métisse, défiant la supériorité apparente et écrasante de l'Occident.

Si les Beatles étaient à la musique ce que Johan Cruyff était au football, si Diego Maradona pourrait être comparé aux Rolling Stones, alors, aucun doute, Bob Marley, c'est Pelé. L'un des meilleurs amis du chanteur n'était autre qu'Alan “Skill” Cole, joueur international jamaïcain à la fin des années 1960, connu pour s'être fait virer du club brésilien Náutico Capibaribe (club de Recife), pour avoir catégoriquement refusé de couper ses dreadlocks.

À défaut d'une grande carrière dans le sport, Alan Cole devient l'un des hommes clés de la fin de carrière de Bob Marley, un road manager qui aura la riche idée de mettre sur pied l'un de ses derniers concerts en avril 1980 au Zimbabwe. Une performance historique.

On prête bien des citations pleines d'emphase à Bob Marley. Elles ne sont pas datées, pas sourcées, sont passées comme des lettres à la poste dans la culture populaire. Et après tout, pourquoi pas? C'est aussi comme cela que s'écrivent les légendes, en effaçant leurs traces. Dans ce curieux corpus, il y a de fameuses références au sport roi: «Le football est un don en soi.» Ou plutôt «un don de soi», on ne sait plus, lost in translation. Il y a aussi cette phrase, belle et bien prononcée, face caméra: «Le football est tout un monde, un univers à lui tout seul. Et j'aime le foot parce qu'il faut suffisamment d'adresse pour y jouer.»

Plusieurs témoignages sont d'ailleurs dithyrambiques quant au niveau footballistique du chanteur, lui prêtant des aptitudes proches du niveau professionnel. D'autres rapportent un style absolument catastrophique. Qu'importe. «Si tu veux vraiment savoir qui je suis, tu dois jouer au foot contre moi et les Wailers.» Autre citation aux origines floues, mais bigrement belle.

Fin de vie et charlatanisme

Le football n'a donc pas directement tué Bob Marley. Ce qui a condamné son corps (car son esprit vit toujours, selon ses principes), c'est une médecine globalement foireuse, dictée par un homme de confiance, un charlatan nommé Josef Issels. Cet oncologue allemand autoproclamé était peut-être médecin de métier, mais certainement pas de principe.

Le Conseil médical de Bavière, sorte de Conseil de l'ordre des médecins local, l'avait déjà accusé en 1961 de fraude et d'homicide volontaire, après avoir orienté des patients atteints de cancers vers des traitements alternatifs et miracles. En 1970, Lillian Board, une athlète britannique de 22 ans, s'était elle offert ses services après s'être fait diagnostiquer un cancer du tube digestif en phase terminale. Elle est morte quelques semaines plus tard, le 26 décembre, dans la clinique bavaroise du Dr Issels.

En 1980, lorsque Bob Marley ne peut plus continuer à chanter, faiblit de jour en jour, il part lui aussi en Bavière rejoindre Josef Issels, pour suivre un fameux traitement baptisé «immunothérapie intégrative non toxique», qui entre en résonance avec le rastafarisme du chanteur.

Selon les témoins des derniers jours, Bob Marley a terriblement souffert lors de son séjour allemand. Son cancer généralisé, ses cinq tumeurs devenues incontrôlables, il a fini par rentrer en Jamaïque pour mourir à l'âge de 36 ans, le 11 mai 1981. Certainement que Josef Issels ne pouvait plus grand-chose pour lui. En refusant l'amputation, Bob Marley avait déjà tiré un trait sur son avenir.

Ce match parisien de mai 1977 n'a donc pas été le début de la fin pour lui. Il aurait pu, en fait, être un acte salutaire: ce moment où la maladie, par le hasard d'un tacle vigoureux, est découverte puis combattue. Mais l'histoire, forcément, aurait été moins tragique et romanesque.

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