Sports

Biathlon, l'éternel miracle français

Temps de lecture : 7 min

Emmenés par Martin Fourcade, les biathlètes français, qui ont supplanté depuis vingt ans leurs collègues de l'alpin comme pourvoyeurs de médailles, visent une nouvelle razzia à Sotchi. Presque une habitude pour cette PME qui, avec ses moyens limités et ses 500 licenciés, nargue les multinationales allemandes, russes et norvégiennes.

Martin Fourcade à la Coupe du monde de biathlon à Oslo, le 2 mars 2013. REUTERS/Stian Lysberg Solum/NTB Scanpix.
Martin Fourcade à la Coupe du monde de biathlon à Oslo, le 2 mars 2013. REUTERS/Stian Lysberg Solum/NTB Scanpix.

L'équipe de France de biathlon réalise une moisson impressionnante aux championnats de monde de biathlon 2016 à Oslo, avec sept médailles en six courses au 9 mars. Dans cet article publié avant les JO 2014, nous expliquions pourquoi la France excelle dans cette discipline.

Selon les prédictions du site The Wire, la France doit battre à Sotchi son record de médailles lors de Jeux olympiques d’hiver avec treize podiums, contre onze en 2002 et 2010. Bien sûr, il ne s’agit que de prédictions basées sur les éditions précédentes et qui se gardent de détailler les résultats par disciplines.

Mais pour arriver à ce total, la délégation française compte beaucoup sur un drôle de sport mêlant ski de fond et tir à la carabine: le biathlon. Un sport longtemps l’apanage des militaires et inconnu au pays de Jean-Claude Killy jusqu’aux JO d’Albertville en 1992. Killy, référence absolu du ski alpin avec son triplé à Grenoble en 1968 (descente, géant, slalom), pourrait d’ailleurs bien être dépassé par Martin Fourcade en Russie. Actuel leader de la Coupe du monde de biathlon et quintuple champion du monde, ce dernier s’engage dans six courses avec autant de chance de podiums, voire de titres.

Mais le biathlon français n’a pas attendu le cadet des Fourcade (qui a relégué dans l’ombre son ainé Simon) pour viser juste. Depuis Albertville, la discipline a apporté à la France 17 médailles, dont quatre titres olympiques. En comparaison, le ski alpin, pourvoyeur historique de breloques, n’a glané «que» 11 médailles, dont quatre en or également.

Des performances à mettre en relation avec les moyens mis à disposition. Pour préparer les Jeux de Vancouver en 2010, l’alpin disposait d’un budget estimé à 4 millions d’euros, contre 780.000 pour le biathlon. Et le zéro pointé du premier n’a mis que plus en valeur la réussite du second (six médailles, dont deux en or). Une réussite qui étonne et intrigue, comme le note le DTN de l’époque, Christian Dumont:

«Les étrangers sont admiratifs. J’ai l’image des JO de Vancouver, où les patrons des autres équipes viennent me voir pour me demander: ‘’Mais comment vous faites?‘’ Ils connaissent nos moyens et ne sont que plus curieux de savoir comme on fait. On ne peut pas l’expliquer, ça doit être en nous.»

Militaires et lutte antidopage

Oui, comment ce petit village gaulois de 500 licenciés nargue-t-il la Norvège, la Russie et surtout l’Allemagne, pays où le biathlon tient du sport national une fois l’hiver venu?

Jusqu’au début des années 80, la France n’apparaît pas sur la carte d’une discipline réservée aux militaires et où règnent le bloc de l’Est (URSS et RDA) et les Scandinaves (Norvège et Finlande). Le premier tournant arrive avec la démilitarisation du biathlon, en 1978.

«Dans les années 70, on était 25 à 30 à pratiquer le biathlon en France. Avant 1978, il fallait être militaire ou douanier, puisque le tir s’effectuait à l’arme de guerre, rappelle Yvon Mougel, qui a offert en 1981 la première médaille mondiale (en bronze) à la France. On tirait de vraies balles à 150 mètres. Le biathlon a commencé à s’ouvrir à partir de 1978, quand on est passé à la carabine 22 long rifle à 50 mètres. On a pu acheter nos carabines et les transporter plus facilement. On peut constater que ce changement a modifié le rapport de force. Un pays comme la Finlande était bien plus redoutable à l’époque militaire, ce qui n’est plus forcément le cas ces dernières années. Pour nous, on peut dire que cela a été l’inverse.»

Christian Dumont évoque une autre raison pour expliquer la progression française au début des années 90:

«Il faut appeler un chat un chat, on a aussi profité de la lutte antidopage. Dans les années 80, on s’est quand-même fait voler quelques victoires avec la RDA, l’URSS et la Finlande. C’étaient des extraterrestres. Lors des Jeux de Calgary, je me souviens qu’ils doublaient dans les montées et ne respiraient même pas.»

«Small is beautiful»

A l’approche des Jeux d’Albertville, l’Etat a mis à disposition des moyens supplémentaires pour des disciplines jusqu’alors oubliées comme le combiné nordique (qui donnera à la France un doublé or-argent avec Fabrice Guy et Sylvain Guillaume) et le biathlon. La convention signée avec l’administration des douanes va permettre à une génération de biathlètes de pratiquer son sport de façon professionnelle grâce au statut de douanier.

Mais encore faut-il un déclic. Le «D-Day» du biathlon arrive le 14 février 1992 quand Corinne Niogret, Véronique Claudel et Anne Briand touchent l’or olympique en relais.

Avec sa cinquantaine de licenciés à l’époque, le biathlon français étonne et on cherche déjà à en connaître sa formule magique —car il doit y bien en exister une. Dans la foulée, et malgré un réservoir toujours aussi restreint, la machine s’emballe. Patrice Bailly-Salins enlève la Coupe du monde en 1994. Il sera imité par la suite par Emmanuelle Claret, Corine Niogret, Raphaël Poirée, Sandrine Bailly et Martin Fourcade.

Journaliste à l’Equipe, Stefan l’Hermitte y a couvert le biathlon dans les années 90. Pour lui, cet improbable succès du «made in France» tient pour beaucoup à sa dimension artisanale:

«Le biathlon est un sport très limité, au Jura essentiellement. On est avec une petite tribu où chacun sait ce qu’il a à faire. C’est l’inverse d’un mammouth. Le biathlon français est tellement petit qu’il y a une volonté de ne perdre aucune énergie inutilement.

Ils sont efficaces parce qu’ils sont petits. Ils font leur tambouille ensemble et ça marche. Leur force, c’est leur côté "petit village" face aux géants russes, allemands ou norvégiens.

Si Fourcade gagne, on le verra. En revanche, s’il ne gagne pas, personne ne s’en rendra compte. Ce n’est pas comme en Allemagne où le biathlon attire des millions des téléspectateurs sur la télé publique avec l’exigence de résultats qui en découle. Fourcade n’a pas une pression nationale derrière lui.»

Sous l’impulsion du regretté David Moretti, directeur des équipes de France décédé en 1994, de Francis Mougel et d’autres cadres techniques, les Bleus développent leur approche de la discipline. Il s’agit d’optimiser les maigres moyens mis à disposition et d’être inventif.

Comme lorsque Jean-Pierre Amat, champion olympique à la carabine en 1996, révolutionne la façon dont les biathlètes appréhendent le tir. «Amat a amené beaucoup au niveau de la technique et du matériel à la fin des années 90, confirme Yvon Mougel. Le tir était notre force et on bâtissait nos victoires dessus.»

Le grand champion ne se décrète pas

Longtemps réservé aux recalés du ski de fond, le biathlon devient attractif sans pour autant être plus choyé par la fédération française de ski, dont il évolue toujours sous le giron. Malgré les résultats, la FFS oublie de récompenser le bon élève de la classe.

En 1999, Corine Niogret donnait ainsi à Libération une idée de ses conditions d’entraînement:

«Les cibles utilisées pour les Jeux d'Albertville rouillent depuis des années dans un vieux hangar. Et j'ai dû longtemps bricoler mon propre stand de tir sur un parking. C'était illégal, mais on me laissait faire car je connaissais le maire et le gendarme.»

«La fédération n’a pas plus axé sa politique et ses moyens sur le biathlon, constate Christian Dumont. En 2006, on rentre de Turin avec quatre médailles dont deux en or, mais à la fin de l’année, on est les seuls à avoir un budget qui stagne. Comme on marche bien, la fédération a tendance à dire: "Vous avez trouvez votre fonctionnement pour réussir, vous n’avez peut-être pas besoin de plus." C’est ainsi que je l’ai ressenti.»

Mais pleurer et réclamer des moyens supplémentaires n’a jamais été le genre de la maison. «Avoir des résultats, ce n’est pas qu’une question de moyens, et heureusement pour nous, poursuit Dumont. Il faut aussi une stratégie et des cadres motivés. On forme une équipe soudée avec un encadrement qui sait prendre en charge les athlètes. Je ne dis pas que les autres ne le font pas, mais vu qu’on n’a pas les moyens, on se débrouille pour être plus malin et optimiser nos moyens.»

Reste après le facteur X. Quand le tennis français attend toujours le successeur de Yannick Noah malgré une densité dans le Top 100 unique au monde, le biathlon a la chance et le mérite d’avoir un Poirée ou un Fourcade, soit deux des plus grands biathlètes des années 2000 avec le Norvégien Ole Einar Bjoerndalen. Christian Dumont reconnaît qu’on ne fabrique pas ce genre de champion à la demande:

«La part de chance est grande. On ne savait pas forcément qu’un Martin Fourcade allait casser la baraque. Chez les jeunes, il allait vite sur les skis mais ne dominait pas comme pouvait le faire son frère Simon. On a eu cette chance d’avoir à chaque génération ces champions d’exception. Il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer.»

Et d’autres qu’on peut essayer de prévoir. Depuis quelques années, la direction technique nationale cherche à élargir la base de la pyramide: en janvier dernier, ils étaient 370 minimes à participer au Challenge national dans la station des Contamines. «Le biathlon est devenu un super-circuit d’appel pour les clubs. Les gens veulent faire du biathlon, se réjouit Christian Dumont. On reçoit beaucoup plus de jeunes chez les minimes, mais après l’entonnoir se resserre au niveau des pôles espoirs. On est obligé d’être très sélectif.»

Pas de risque que la grenouille se prenne pour le bœuf, le biathlon français sait qu’il n’a pas vocation à devenir un sport de masse. «Il n’y aura jamais des milliers de licenciés, prophétise Stefan l’Hermitte. C’est quand-même plus marrant de faire du ski alpin ou du surf.»

Peut-être, mais cela ramène moins de médailles.

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