Le légendaire attaquant portugais Eusebio est mort, dimanche 5 janvier, à l'âge de 71 ans. Il avait remporté, avec le Benfica Lisbonne, onze titres de champion du Portugal, cinq coupes du Portugal et surtout une Coupe d'Europe des clubs champions, en 1962, lors de laquelle il avait inscrit un doublé contre le Real Madrid en finale.
Mais l'exploit pour lequel il était le plus connu du grand public hors de son pays est probablement la troisième place atteinte par le Portugal à la Coupe du monde 1966 en Angleterre. Et plus, particulièrement, comme le souligne en longueur sa nécrologie publiée par l'Associated Press, un match en particulier: le quart de finale du tournoi contre la Corée du nord, le 23 juillet 1966, à Goodison Park à Liverpool.
Ce jour-là, le Portugal, qui découvre la compétition, affronte celle qui en est la grande sensation: la Corée du nord n'avait elle non plus jamais disputé la Coupe du monde jusque là, arrivait en Angleterre nimbée de mystère et avait renvoyé chez elle, au premier tour, sous une pluie de tomates, l'Italie, battue 1-0. Le Portugal est largement favori (une qualification de la Corée est alors cotée à 150 contre 1), mais les protégés du dictateur Kim Il-sung, poussés par les supporters locaux, qui se sont pris d'affection pour cette drôle d'équipe, lui infligent trois buts en vingt-cinq minutes.
«Alors que les panneaux d’affichage étaient encore rudimentaires, tous ceux qui étaient dans un autre stade ce jour-là [les autres quarts de finale avaient lieu à la même heure, ndlr], ou qui regardaient la télé, ont appris en temps réel que la Corée menait 3-0. Ils ont même interrompu les autres programmes pour l’annoncer!», m'expliquait en 2008 Daniel Gordon, un documentariste anglais auteur d'un film sur la compétition, à l'occasion d'un long article sur la Corée du nord 1966 publié par le magazine SoFoot. Dans les tribunes de Goodison Park, les supporters scandent: «On en veut quatre, on en veut quatre!»
Un homme rompra le charme: Eusebio. «Seul lui pouvait sauver le Portugal», souligne le commentateur dans le résumé du match ci-dessus (en couleur, une rareté pour l'époque!). De deux belles frappes et deux penaltys (dont un obtenu lui-même sur une superbe percée depuis la gauche), il inscrit en à peine trente minutes un quadruplé avant que son compatriote José Augusto n'ajoute la touche finale en fin de match (5-3).
«Nous avions été pris complètement par surprise», déclarait le joueur en 2010 à l'Associated Press. «Je me rappelle très bien Simoes [un de ses coéquipiers, ndlr] me répéter, alors que nous étions menés 3-0: "Tant que nous n'avons pas quatre buts de retard, nous avons encore une chance". Et il avait raison. […] C'est le meilleur match que j'aie disputé sous le maillot du Portugal. Cela m'a marqué à jamais.»
Pour situer l'ampleur de l'exploit, seuls sept joueurs ont inscrit quatre buts ou plus dans un match de Coupe du monde. Personne ne l'a fait dans un laps de temps aussi court qu'Eusebio, et le Portugais a été le premier à le faire lors d'un match éliminatoire (le Français Fontaine l'avait précédé en 1958, mais dans le cas un peu particulier d'un match pour la troisième place).
Eusebio terminera finalement meilleur buteur de la Coupe du monde, avec neuf buts, mais ne la remportera pas. Un autre penalty, en demi-finale contre le pays organisateur, ne sauvera cette fois pas le Portugal de la défaite (1-2). Une défaite conclue dans les larmes (le match est connu au Portugal sous le surnom «Jogo das Lagrimas») et qui lui coûta certainement cette année-là, pour un petit point, un second Ballon d'or, après celui remporté en 1965.
Jean-Marie Pottier