Chaque samedi, Louison chronique un objet ou un événement de notre quotidien.
Emportés par la foule qui nous traîne, nous entraîne, nous éloigne l'un de l'autre, je lutte et je me débats, mais le son de ma voix s'étouffe... Mais pas dans les rires des autres, nan, plutôt dans les gaz lacrymogènes. Eh oui Édith, tu as bien fait de mourir il y a près de soixante ans, car en 2023 il est encore plus compliqué de trouver l'amour dans la foule que de la neige sur les pistes de ski ou sur les pôles. Alors attends, je te vois venir ma petite Didith et je te rassure: l'amour court toujours hein, mais disons que c'est pas le seul à courir, rapport au fait que dans les rues, les gens risquent surtout de trouver des coups de matraque télescopique en pleine tête et plus tellement des coups de foudre en pleine aorte. Les coups de matraque en pleine aorte étant eux, j'imagine, parfaitement envisageables.
Mais c'est parce que les matraques sont fatiguées, c'est pas de leur faute hein, c'est le ministre de l'Intérieur qui nous l'a expliqué, c'est vous dire si c'est vrai.
Oui oui, le même qui dit que c'est illégal de participer à une manifestation spontanée alors que non.
Oui oui, le même qui propose un dernier verre alors qu'on n'a plus soif.
Oui oui, le même qui fait des bras d'honneur à l'Assemblée.
Ah non pardon, ça c'est un autre, mais avouez qu'il y a de quoi se mélanger les pinceaux.
Bref, oui, nous sommes en 2023, et même si le printemps réveille tranquillement la nature et laisse apparaître bourgeons et oisillons, abeilles et pollen, la foule est devenue une créature sauvage, pire, nuisible, dont il faut à tout prix réduire la prolifération. La foule, c'est le surmulot de la démocratie. C'est pas moi qui le dis, c'est le président de la République.
Bon, il ne le dit pas exactement ainsi car comme il vit de volonté et de ténacité, mais pas tellement d'une soif de tout apprendre sur la vie des rongeurs en milieu hostile, il choisit ses propres mots. Mais l'intention est bien la même. Car oui, grâce au président de la République, et même sans avoir fait comme lui de longues études supérieures, nous avons appris depuis ce mercredi, entre deux bouchées de céleri rémoulade dégustées sur une table en Formica en attendant la diffusion de «Champs-Élysées», que la foule ce n'est pas le peuple.
Bah non, bande de patates.
Il faut différencier l'un de l'autre, un peu comme il faut distinguer la farine de la cocaïne, par exemple, même si les deux sont des poudres blanches vendues au poids et coûtant de plus en plus cher selon l'offre et la demande. Je vous assure que c'est pas la même chose, et heureusement parce que v'là la tronche du quatre-quarts.
Bref, le peuple c'est bien, ça regarde le foot chez lui. La foule c'est pas bien, ça va voir le match au stade de France et ça oblige les pauvres CRS à décapsuler leur lacrymo toute neuve.
Le peuple ça vote en masse quand ça a peur du pire, la foule ça demande des comptes et ça gueule, même quand ça a peur du pire.
Le peuple ça sort jouer du Otis Redding à la cornemuse le jour de la fête de la musique, la foule, elle, sort par millions quand elle en a marre d'écouter du pipeau à n'importe quel moment de l'année.
Car la foule est pleine de gens qui ont une bonne oreille.
Ouais, même les smicards.
Et bonne nouvelle, la foule a déjà fait rebrousser chemin à un roi, elle peut faire pareil avec un président. Ou du moins son projet.
Allez, vivement lundi. (Et mardi aussi, parce que y a manif.)