Chaque samedi, Louison chronique un objet ou un événement de notre quotidien.
«On fait quoi, on coupe juste les pointes, ou on dégrade un peu?»
Cette phrase, prononcée en France, est d'une banalité affligeante. Cette phrase, prononcée en Iran, est le signe qu'une révolution est en marche. Et aussi les emmerdes. Et aussi les menaces. Et aussi les corps des jeunes filles rendus à leurs parents, sans qu'ils puissent tout à fait les reconnaître, tant on les a rendu anonymes sous les coups. J'ai mis une bonne ambiance hein?
Je dois reconnaître que je me sens si impuissante face au sort des femmes d'Iran. Il n'y a pas de Viagra pour l'âme. Elles sont si fortes, ces anti-Samson Des temps modernes. Non, pas Véronique. Le mec à Dalila. Non, pas Dalida. Suivez, merde.
Bref, contrairement à lui, ces femmes trouvent un peu plus de force et de courage à chaque mèche coupée, à chaque crâne laissé à l'état brut. Elles me font penser à ces poupées que j'avais petite et à qui je décidais parfois de faire un relooking à la façon d'une Cristina Córdula sous kétamine. J'allais chercher les ciseaux de cuisine, et schkouic (oui, je maîtrise mieux les onomatopées que les talents de visagiste). D'un coup, elles étaient débarrassées de la crinière de polyester. Elles étaient un peu bizarres, mais aussi un peu plus libres. Enfin, c'est ce que j'avais envie de croire et que j'ai toujours envie de croire aujourd'hui.
Quand je vois les nombreuses vidéos de ces femmes, jeunes, moins jeunes, qui sacrifient leur chevelure comme on se débarrasse d'un trésor pour ne pas qu'il tombe dans de vilaines mains... Quand on y pense, c'est fou. Des cheveux. De la kératine, des cellules mortes, voilà ce qui les condamne. Mourir pour un ongle, une pellicule, une crotte de nez, un poil d'oreille. Un truc qu'on a naturellement, qui pousse tout seul, qui nous lie entre humains et nous distingue aussi des les uns des autres. Des cheveux.
Ce qu'il faut détester les femmes, ce qu'il faut aussi être effrayé par elles pour les condamner pour les longs poils de leur crâne! Il faut être le fond de la cuvette du bidet de l'humanité pour défoncer la tête d'une femme qui demande simplement à vivre de la même façon que 48% de la planète.
Oui, je parle des hommes, non, pas des gens qui feraient bien de faire pipi sous la douche pour sauver la planète pendant que les autres font caca dans leur jet privé. Mais je digresse et ça ne fait pas trop avancer le Schmilblick –oui je dis «Schmilblick», en vrai j'ai 62 ans et pas 37, mais chut.
Bref, dans la liste des choses qui ne font pas avancer les choses justement, il y a pas mal de choix. On peut laisser les députés français débattre de ce qui ne les concerne pas, par exemple. On peut les laisser se traiter de tous les noms d'oiseaux possibles avec une dignité qui fond comme la cellulite d'un ours blanc.
Mais on peut faire encore plus terrible en France, car si on n'a pas de pétrole, on n'a pas beaucoup d'idées non plus... à part des idées cheloues, comme ces actrices qui ont décidé d'avoir le courage, face caméra, l'air grave, de se couper les pointes fourchues. Pas plus, après ça fait des épis. Je suis pas sûre sûre que les Iraniennes avaient besoin de ça. Parce que non, elles ne le valent pas bien, elles valent mieux. Tellement mieux.