Ils accompagnent la vie des humains depuis des millénaires, jusqu'à devenir des membres à part entière de nombreux foyers en France. Mais ces animaux qui partagent notre quotidien ont tous un irréparable défaut: celui de souvent mourir bien plus tôt que nous. Comment vivre ce deuil qui n'est pas toujours pris au sérieux? Le rite funéraire est-il le propre de l'espèce humaine?
La chercheuse Juliette Cazes rappelle, dans sa vidéo consacrée à l'archéologie du deuil des animaux, que leur domestication s'est faite progressivement, complexifiant la datation de ces rites funéraires. Une nécropole d'animaux domestiques vieille de deux millénaires a récemment été découverte dans l'ancien port de Bérénice en Égypte. Constituée principalement de chats, parfois inhumés avec un ornement fabriqué pour eux, elle est une preuve que, déjà à cette époque, des humains ont pris soin de la santé de ces animaux et de leur dignité une fois morts.
«Je me remémore en boucle le poids exact de sa tête dans le creux de mon coude. La douceur du pelage sur son ventre, avec ses rayures et ses petites frisettes», écrit la journaliste Pauline Le Gall dans son fanzine Home is where you cat is, après le décès de son chat Archie. Ce projet «était un peu une évidence pour moi car mon chat a été une part tellement importante de ma vie et mon compagnon d'écriture pendant onze ans», raconte-t-elle. Il l'a aidée à «faire le tri» dans ce qu'elle ressent et à «voir l'importance de cette relation sans [se] dire “ce n'est qu'un animal”».
Un deuil parfois compliqué
L'art permet de gérer son deuil, de toucher des personnes ayant vécu une épreuve similaire, et aussi d'offrir une sépulture personnalisée. Nadège et son mari ont créé pour leur «guerrière» Crapule une stèle en bois «façon viking», avec des oreilles de chat taillées sur le haut et des inscriptions «relatant ses exploits» gravées, ainsi que ses dates de naissance et de décès. Dans le livre Chiro Ai Shi, le photographe Nobuyoshi Araki retrace en images la vie de son chat Chiro, mêlée à celle de son épouse Yoko. Leurs funérailles respectives sont unies sur la même double page, toutes les deux remplies de fleurs.
Parfois, faire le deuil de son animal est plus compliqué. Déborah décrit le parcours de son fils Gianni pour accepter la mort de leur chienne London. Diagnostiqué haut potentiel intellectuel et hypersensible, l'enfant considérait l'animal comme son unique amie. «S'il était maladroit, elle ne se moquait jamais. S'il était en colère, elle ne le jugeait pas. S'il était triste, elle était toujours là. Elle pouvait rester des heures avec lui pendant ses jeux qu'aucun copain ne voulait partager.» Un jour, London succombe à ses tumeurs. «La psy a dit [à mon fils] que c'est n'importe quoi de se mettre dans cet état pour un chien.»
La santé mentale de Gianni s'est fortement dégradée après cette épreuve. «Nous avons pris la décision d'avoir un autre chien, car nous savons que sans confident il ne tiendra pas. Il est maintenant suivi par une merveilleuse psy, qui lui a dit que c'était normal d'aimer autant son chien et d'avoir tant souffert. Qu'il n'a pas à avoir honte, et qu'il va apprendre à vivre avec le souvenir. Nous avons enterré ses cendres en famille chez ses grands-parents, à la campagne. Quand on y va, il part se promener et s'arrête pour lui raconter sa vie.»
«La taxidermie est une sorte de moyen de rédemption, permettant de se rendre compte de ce que nous sommes en train de perdre.»
Pour sa part, Élisa a dû se résoudre à envoyer son cheval Trick, qui a partagé sa vie durant vingt-huit ans, à l'équarrissage fin avril, alors qu'elle avait prévu depuis des années de faire appel à «une entreprise spécialisée pour l'incinération individuelle des équidés» permettant «des adieux dignes après ces années de vie commune». Mais la pandémie de Covid-19 a rendu impossible cette option. «J'ai pu la revoir et prendre conscience de la réalité de sa mort. J'ai aussi récupéré des poignées de crins. Ce sont les seules reliques qui me resteront d'elle.» Mais ne pas avoir pu offrir un traitement plus respectueux du corps de Trick affecte particulièrement Élisa dans ce deuil d'une très longue relation.
La taxidermie est une autre façon de prendre en charge la mort des animaux, et de leur faire une place dans l'histoire humaine. C'est la vision qu'en a Anaïs Ortiz, chargée de mission au musée de la Chasse et de la Nature. «Depuis que je dis pratiquer la taxidermie, je reçois souvent des critiques. Les personnes considèrent que naturaliser un animal implique obligatoirement de le tuer volontairement, dans l'unique but de l'exposer sur une cheminée comme un objet. Je le vois plus comme un simulacre, inextirpable du monde spirituel comme du monde matériel. Cette idée vient de mon profond respect pour la nature et les animaux. J'aime croire que je lui donne une seconde vie au cours de laquelle il peut être admiré à sa juste valeur, conservé pendant des siècles. La biodiversité est plus que jamais en danger, des espèces animales disparaissent tous les jours, principalement à cause des humains. La taxidermie arrive alors comme une sorte de moyen de rédemption, permettant de se rendre compte de ce que nous sommes en train de perdre.»
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Le deuil n'est pas qu'un sentiment humain
Le deuil n'est pas le propre de l'homme, comme le montre Éric Baratay, professeur d'histoire à l'université Lyon 3, spécialiste de l'histoire des relations humains-animaux. «Le phénomène de deuil chez les animaux est évident et prouvé par des éthologues. L'individu comprend bien que l'autre est mort. Des gens l'avaient déjà remarqué dans le cas des animaux travaillant ensemble, comme les chevaux ou les bœufs. Lorsqu'un membre du binôme meurt, ça ne se passait pas bien avec l'animal remplaçant. Le survivant se laissait mourir ou on l'abattait, car on savait qu'il ne serait plus productif. Ça s'est aussi observé durant la Première Guerre mondiale, où des chevaux étaient envoyés au combat. Mais là, on ne prenait pas soin de respecter la dynamique du binôme, les animaux étaient aussi maltraités que les hommes. C'est une constante dans l'histoire: les animaux ne sont pas mieux traités que les humains, leurs conditions de vie sont liées.»
L'émergence de la thanatologie comparée permet d'approfondir ce constat historique, comme l'explique la journaliste Anne Debroise dans un article pour Science & Vie. «Quoi de mieux que la mort pour explorer les caractéristiques de la psychologie et de la sociologie animale?» Les primates se soutiennent, toilettent et veillent le corps de leur mort. Les fourmis creusent des chambres mortuaires. Les corbeaux annoncent le décès d'un congénère aux autres et couvrent son corps de brindilles et de plumes. Les éléphants aussi veillent leurs morts et rendent régulièrement visite aux ossements des leurs.
La chercheuse Nadia Veyrié questionne dans un article les frontières entre humains et animaux dans la vie et la mort, à travers l'exemple de deux cimetières pour animaux, le premier du genre à Asnières-sur-Seine, et celui de Grimbosq. «Si, peu à peu, les animaux sont considérés comme sensibles, alors les hommes peuvent l'être aussi envers eux.» Peut-être qu'un jour, il sera même légalement possible d'être inhumé ou incinéré avec son animal de compagnie, comme le pointe le site des pompes funèbres animalières Esthima.