Vous lisez le quatrième épisode de Peur bleue. L'épisode 3 est à lire ici.
Christelle Ramière s'avance à la barre. Son masque se détache de ses cheveux blonds. Sa voix perce le tissu et le silence de la cour, qu'elle emporte tout entière avec elle.
Au décès de sa sœur Carine en 2016, Christelle a décidé de prendre son fils Mathis avec elle. Elle a pensé être la plus à même de le faire. Elle n'avait pas d'enfant. Son compagnon non plus. Elle avait 25 ans, Mathis 2 et demi.
«Aujourd'hui, je ne sais pas si j'ai eu le temps de faire le deuil de ma sœur.» Elle ajoute d'une voix sobre: «Au-delà de ce qu'il a fait, Jean-Régis Julien a passé ces quatre ans et demi à faire de ma vie un enfer.»
«À 3 ans, on ne sait pas que la mort, c'est définitif»
Un jour, une lettre envoyée depuis la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone est arrivée à la maison. À l'intérieur, Jean-Régis Julien demandait à ce que son fils n'apprenne rien. Qu'on lui dise que son père était parti loin pour le travail, qu'il reviendrait. Mathis était trop petit, écrivait Jean-Régis dans son courrier. Il ne se souviendrait pas.
«Comment je peux mentir à Mathis?» s'offusque Christelle face à la cour. Dans la lettre, Jean-Régis menaçait de se suicider si elle ne satisfaisait pas sa demande. Christelle précise: «Tous les soirs, j'avais des images de la mort de ma sœur, et j'avais Mathis qui me disait: “Maman, elle avait des trous dans la tête.”»
Alors, elle lui écrit à son tour. Une lettre longue de plusieurs pages.
«C'est moi qui ai la garde de Mathis. Je pense que tu es très loin d'imaginer ce qu'[il] vit.»
Le président, Éric Emmanuelidis, poursuit la lecture du courrier:
«Tu veux qu'on lui dise que tu es parti travailler loin? Crois-moi, il s'assure bien que tu y es, en prison, et que tu y restes. C'est même lui qui nous a apporté les premières réponses avant les éléments de l'enquête. Il nous a dit: “Maman voulait acheter un oreiller, papa a tiré, la vitre s'est cassée. Il m'a fait mal en me sortant de la voiture. Je pleurais et je ne voulais pas aller avec lui.” On ne lui a jamais dit comment elle était morte, donc je ne pense pas qu'il puisse l'inventer. [...] Tu veux savoir comment ça se passe pour Mathis? Pour Mathis, ça ne se passe pas bien à l'école. Il tape les autres parce qu'ils ont une maman. Il les tapent parce qu'ils lui disent que sa maman est un caca. Ses camarades ne le croient pas parce qu'à 3 ans, on ne peut imaginer qu'on n'a pas de maman et un papa en prison. Il réagit par la colère et la violence. Il dit qu'il va tuer la maîtresse ou moi. Parce que pour lui, c'est le seul exemple que tu lui as laissé.»
Le conjoint d'Andréa, la voisine de Carine qui a plusieurs fois appelé les gendarmes pour déloger Jean-Régis Julien de leur jardin, a décrit Mathis ainsi auprès des enquêteurs: «C'était un petit garçon émerveillé par sa mère.»
Christelle explique au président: «Physiquement, il va bien.» Mathis est intelligent, sensible. «Et il est blagueur, je reconnais ma sœur en lui.» Mais ailleurs, «ça ne va pas». Ses anniversaires sont toujours tristes, ils lui rappellent l'absence. Il ne peut pas entrer dans une voiture sans se plaindre de maux de tête. Il se sent coupable, répète que c'est de sa faute, qu'il aurait pu détacher sa ceinture et aider sa mère. Parfois, il dit que s'il n'était pas né, peut-être serait-elle encore en vie.
«Je dois me battre tous les jours pour lui enlever de la tête... raconte Christelle. Et c'est très dur parce que je l'ai moi-même en tête. Je me dis que j'aurais dû l'aider. J'étais sa sœur aînée.»
La nuit, Mathis a des cauchemars. Quand Christelle vient le rassurer, il lui dit que sa maman lui manque.
Le président lit encore les mots de Christelle Ramière à Jean-Régis Julien:
«Il m'en veut de ne pas aller déterrer sa mère du cimetière, de ne pas la lui ramener, car à 3 ans, on ne sait pas que la mort, c'est définitif. Il fait des bêtises en espérant que sa maman revienne pour le punir. Il dit que c'est de notre faute, parce qu'on ne fait rien pour la soigner. Il me demande d'aller voir une sorcière pour qu'elle fasse revenir sa maman avec ses pouvoirs magiques. Et je passe pour le monstre qui lui dit sans cesse: “Non Mathis, Maman ne reviendra plus jamais, elle est morte.”»
Christelle croit savoir que cette lettre «n'a pas plu» à Jean-Régis.
«Ce qu'il oublie pas, c'est cette dernière image d'elle»
Quand elle attendait sa fille, la tante de Mathis dut être hospitalisée au cours du septième mois de grossesse. Là, elle a reçu une notification du juge des enfants. Jean-Régis Julien avait écrit au magistrat: son fils était en danger chez elle, un placement serait plus judicieux. Elle a alors été convoquée au service de protection à l'enfance. Là, on lui a lu la lettre de Jean-Régis. Il se plaignait d'être sans nouvelle de son fils. Christelle n'est pas d'accord. Elle envoie des courriers. Les courriers restent toujours sans réponse.
«Alors on vient chez moi. On nous évalue. C'est une évaluation.»
Elle n'en veut pas à l'assistante sociale qui faisait son travail. Mais tout de même, lors de sa visite, celle-ci a insisté auprès de Mathis: «Ton papa n'a pas de photo de toi. Tu dois lui donner une photo.» Le petit garçon a refusé. On lui a rétorqué: «C'est pas à toi de décider.» À la barre, Christelle déplore: «Ce que Mathis entend, c'est que c'est son père qui décide de tout.»
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Jean-Régis Julien écrit partout. Il envoie des courriers au juge des enfants, à ses anciens collègues de travail pour des attestations de bonne conduite, au juge d'instruction pour sa demande de remise en liberté. «Mais quand il va sortir, il sera vieux? Promets-moi qu'il sera vieux!» implore Mathis. Sa tante ne sait pas quoi lui répondre. Elle ne peut jurer.
«Si Monsieur fait une demande de remise en liberté, est-ce que j'ai le droit de lui refuser de venir chez moi? On me dit que je ne suis que la tante...» s'enquiert la jeune femme auprès du président. Elle a la délégation de l'autorité parentale. Elle le regarde droit dans les yeux, et souffle: «On est rien légalement et moi je veux le protéger, mais comment on peut faire...»
On lui demande comment son neveu l'appelle. «Mathis m'appelle Tata», sourit Christelle. Elle marque une courte pause: «Depuis qu'il y a ma fille, il m'appelle aussi maman de temps en temps. Il me demande s'il peut m'appeler Maman.»
Un à un, les jurés enlèvent discrètement leur masque en détachant un seul côté. La tête baissée, ils essuient les larmes qui ont coulé malgré eux sur leurs joues. Le dos droit, à la barre, Christelle ne semble pas les voir: «Je lui dis que c'est son choix à lui. Il me dit: “Tu sais, maman je veux pas l'oublier.”» Mathis demande parfois à sa tante comment était sa mère quand elle était petite, quand elle avait son âge. «Mais à 7 ans, on oublie, continue Christelle. Il me dit qu'il a oublié le son de sa voix, la couleur de ses cheveux.» Elle nuance: «Ce qu'il oublie pas, c'est cette dernière image d'elle.»
«Ce n'est plus mon papa»
Mathis aurait voulu venir au procès de Jean-Régis Julien. On lui a répondu que ce n'était pas possible. Il avait des choses à dire, pourtant. Alors Christelle lui a proposé, avec l'accord de son avocate, Me Anaïs Faget, de faire une courte vidéo pour la cour d'assises. Le président hésite un instant, se donne la suspension méridienne pour y réfléchir.
Au retour du déjeuner, il annonce que la vidéo de Mathis va être diffusée.
À l'écran, un petit garçon blond au regard grave apparaît. Mathis a aujourd'hui 7 ans. Il est en CE1.
«Ce que je voulais dire... Ce n'est plus mon papa. Je ne l'aime plus. Il a fait du mal à tout le monde. Il ment sur tout ce qu'il dit. Tout ce qu'il dit, c'est pour sortir ailleurs, pour aller vivre ailleurs. Et moi je ne veux pas...»
La vidéo se coupe, puis reprend.
«Ça a été dur. Ça a été le plus mauvais jour de ma vie, quand j'étais bébé. Ça m'a fait très peur.»
Dans la voiture, indiquait plus tôt l'expert balistique, le son des coups de feu a atteint près de 100 décibels. «C'est un bruit très important», a-t-il commenté.
La vidéo se coupe à nouveau quelques secondes. Christelle expliquera que c'est à cause des pleurs. Mathis fondait en larmes à chaque fois. Il ne voulait pas qu'on le voie pleurer.
La dernière séquence se lance.
«Je voudrais lui poser quelques questions. Pourquoi il a tué ma maman? Pourquoi il a fait ça? Pourquoi il m'a pris dans ses mains et m'a emmené? Pourquoi... Pourquoi il a fait du mal à ma maman?»
L'écran devient noir. Le président se tourne alors vers le box des accusés.
Vous venez de lire le quatrième épisode de Peur bleue. L'épisode 5 est à lire ici.