Sophie Masala est assise dans le box des accusés, vêtue d'un tailleur-pantalon noir. Elle cache ses mains noueuses entre ses cuisses; parfois, l'une d'elles monte jusqu'à sa bouche pour ronger un ongle. La balustrade en fer forgé vibre sous les secousses de ses jambes impatientes. Le dernier jour de son procès est arrivé. À propos des faits, l'expert psychiatre a noté une phrase de Sophie dans son rapport: «Le volcan montait.»
Chaque jour, la foule se presse dans l'espoir d'obtenir une place dans la salle d'audience. À 7h15, le bistrotier du palais de justice revient du marché. Perché sur son vélo, il longe la rue des fleurs et passe devant le numéro 2: la cour d'assises de Toulouse. Là, sous les nuages gris, un parapluie à la main, 50 personnes attendent déjà. À peine une heure plus tard, elles sont 150.
Ce matin-là, quand les portes s'ouvrent enfin, à 8h30, deux jeunes gens montent les marches. Ils ne sont pas étudiants en droit: ce sont les enfants de Sophie.
Emmeline*, 31 ans, et Bastien*, 24 ans, prennent place sur les bancs du public. Ils rendent visite à leur mère en détention dès qu'ils le peuvent –c'est-à-dire assez peu, finalement.
Au parloir de la maison d'arrêt, ils n'évoquent plus ce qui est arrivé. «Je ne sais plus si je lui ai demandé pourquoi, ni de la réponse», admet Bastien, tandis qu'Emmeline confie: «J'ai cherché à comprendre, et puis je me suis vite rendu compte qu'il fallait la laisser parler de ce qu'elle voulait.» Ensemble, ils conviennent avoir voulu être présents toute la semaine du procès. Pour comprendre.
«J'étais là pour l'aider»
Le meurtre de Marilyne Planche, et tout ce qui en découlera, ont fait irruption dans la banalité. C'est le terme employé sans cesse au cours des débats, la «banalité» des choses face à l'atrocité des faits. L'archivage des dossiers à l'Agefiph. Le démembrement dans le petit appartement du centre-ville. La répartition des dossiers entre les collègues de la délégation. Les membres dispersés dans le canal du Midi. Les mensonges inoffensifs de Marilyne pour préserver sa vie privée. Sa tête enveloppée dans un linge pourpre.
Au premier jour du procès, Bastien s'avance à la barre. Le président de la cour d'assises, Michel Huyette, lui demande doucement ce qu'il souhaite dire. La nuit tombe derrière les immenses vitres de la salle d'audience.
«Je souhaite dire que ma mère, certes, elle a fait quelque chose d'horrible, mais pour moi, elle reste ma mère», déclare Bastien. Ses larmes brillent soudain dans la lueur des petites lampes. «Elle ne m'a jamais fait de mal, sanglote-t-il. Elle ne m'a jamais grondé, jamais donné de fessée.» Il renifle un peu, avant de se ressaisir: «C'est une gentille mère.»
Sa grande sœur Emmeline confirme: «Enfant, elle m'avait appris à me tenir droite, à être propre et polie.» Le public de la cour d'assises voit ses cheveux roux, comme ceux de Sophie, tomber en cascade dans son dos. «Elle m'avait appris à sauver les chatons. Elle m'avait appris à sauver les chauves-souris.»
Sophie avait toujours voulu aider. N'était-ce pas son rôle depuis toujours –auprès de ses frères et sœur, enfant, puis auprès de ses enfants, une fois adulte?
En entrant à l'Agefiph de Montpellier, dont la mission est d'aider à l'insertion professionnelle des personnes handicapées, Sophie avait trouvé sa «vocation» et «l'impression de se lever pour quelque chose». Mais à la délégation de Toulouse, ce quelque chose s'est racorni.
«Vous voyez un problème là où il n'y en a pas, et le problème qu'il y a, vous ne le voyez pas.»
Sophie a été embauchée en CDI en tant que conseillère en prestations. Elle a le même poste que Marilyne, les mêmes tâches, le même nombre de dossiers sur le bureau.
«J'étais là pour l'aider, j'essayais de lui faire comprendre», expose Sophie, debout dans le box. Au-delà des conseils professionnels, Sophie lui donne également des recommandations sur sa vie personnelle: «J'ai conseillé à Marilyne de s'inscrire à des sites de rencontres pour aller au restaurant, au café-théâtre.»
«Pourquoi me cacher des choses alors que je voulais l'aider? Le fait qu'elle s'invente un compagnon, il y avait bien un problème!», s'offusque-t-elle face à la cour. L'avocat général David Sénat la regarde, interloqué: «Vous voyez un problème là où il n'y en a pas, et le problème qu'il y a, vous ne le voyez pas.»
Sophie croit voir la solitude de Marilyne, mais ne perçoit pas la sienne. Quand, chaque matin, elle ouvre les yeux allongée dans son clic-clac, c'est simplement pour découvrir le plafond de son studio du 20, rue d'Assalit à Toulouse. «Voilà, ça rétrécit, les mensonges», songe-t-elle.
«C'est monté crescendo»
Il y a eu les détournements de chèques des étudiants à la faculté de Montpellier, les crédits à la consommation multipliés, «les courses, l'essence, toujours quelque chose qui tombait», et les relations sexuelles tarifées pour s'en sortir plus vite: une double vie, à nouveau, pour être aimée, maintenir une bonne image.
Sophie parle «d'aménagement de la vérité». «On a honte, alors c'est plus facile pour moi d'enrober les choses», reconnaît-elle. Elle jure qu'elle voulait être droite, correcte, et s'intégrer à l'Agefiph de Toulouse. Mais désormais, Sophie se lève du clic-clac pour un autre «quelque chose». Un quelque chose dont la couleur oscille entre «noir» et «rouge»: la colère.
Face à la cour, trois ans et demi plus tard, Sophie préfère le mot «amertume». Elle enchaîne les phrases, une «logorrhée signe d'angoisse», soulignent les experts psychiatres. Son débit, rapide, empêcherait presque le bon sens de buter dessus.
En deux phrases prononcées d'une traite, Sophie rapproche deux sentiments discordants: «Je me sentais acculée. Il fallait que je l'aide, je ne voulais pas l'embêter.»
Marilyne s'est toujours débrouillée seule. Elle a fini par accepter un poste aménagé, pour ses problèmes de vue. Toutes les semaines, elle a rendez-vous avec une psychologue.
Au tribunal, sa sœur Brigitte indique: «Mon mari est mal voyant et… Ce sont des personnes qui ont une certaine force, aussi. Ils ne veulent pas montrer leur handicap. Ils ne prennent pas de canne blanche, pour ne pas céder. Marilyne était exactement comme ça.»
«Je me sentais acculée. Il fallait que je l'aide, je ne voulais pas l'embêter.»
Le président de la cour d'assises Michel Huyette se retourne vers Sophie. Il lui demande: «Pourquoi ça vous a miné?» Dans le box des accusés, Sophie frotte son pouce gauche contre sa main droite: «J'ai pris ça comme un rejet. Que je servais à rien.» Son regard se baisse: «Ce sont des sentiments qu'on a du mal à expliquer. C'est monté crescendo.»
À la barre des témoins, sa fille Emmeline raconte comment elle a appris. En novembre 2015, au moment où sa mère débutait son contrat à l'Agefiph de Toulouse, elle s'envolait pour la Nouvelle-Zélande.
Sept mois plus tard, son père Jean-Luc, à 20.000 kilomètres de là, l'avait appelée. De l'autre côté du globe, elle s'était connectée à internet, avait lu la presse en ligne et vu la une des journaux sur «la démembreuse du canal du Midi». Elle avait tout de suite contacté sa tante Marie-Odile, la sœur de Sophie.
Emmeline a longtemps cru que quelqu'un avait aidé sa mère, que quelqu'un avait «fait les choses à sa place». Elle était rentrée précipitamment, pour être entendue par la police. Il lui avait bien fallu accepter ce qu'il s'était passé.
Quand elle a compris, Emmeline a pensé «que [sa] mère avait vécu des choses terribles, qu'elle avait eu une enfance de merde, qu'elle n'avait pas été épaulée par un mari qui aurait dû le faire». Elle relâche les épaules et ponctue: «Et elle a craqué.»
«J'ai ressenti une libération»
Le président de la cour d'assises observe un instant Sophie. Il fléchit la nuque et lit une citation consignée dans le procès-verbal du 26 mai 2016: «C'est malheureux à dire, mais ça m'a fait du bien de taper.» C'était la première garde à vue de Sophie avec la capitaine de police Nathalie Freund. Le président relève la tête: «Ça venait de beaucoup plus loin que Marilyne, cette violence-là?»
Le menton de Sophie se met à trembler: «Oui. J'étais pas partie pour taper Marilyne. J'étais partie pour m'expliquer avec elle.» Elle souffle, en pleurs: «C'était une accumulation d'une cinquantaine d'années…»
Michel Huyette poursuit la lecture du procès-verbal. «Il fallait qu'elle paye la souffrance que je ressentais», puis: «J'ai ressenti une libération.» Sophie se justifie: «J'avais l'impression de vider un sac de 300 kilos de cochonneries.»
«Je pense qu'elle n'a jamais été très heureuse. Elle a eu des pics de joie dans sa vie, mais sans plus.»
Le président lui rappelle les quatre-vingt-douze recherches Facebook au nom de Marilyne après le 12 mai 2016, jour du meurtre, et la capitaine Nathalie Freund troublée en voyant Sophie en garde à vue «continuer à déverser cette haine, quinze jours après».
Il veut savoir si on peut parler maintenant, devant la cour, de «colère». Sophie acquiesce: «Oui, de la colère, mais contre Marilyne ou contre moi-même…» Elle signale: «J'ai mis du temps à évacuer cette colère en détention. Ce sont des paliers de colère qui remontent.»
À la barre, Emmeline mentionnera à propos de sa mère: «Je pense qu'elle n'a jamais été très heureuse. Elle a eu des pics de joie dans sa vie, mais sans plus.»
Dans le box à la balustrade en fer forgé, Sophie répète: «J'étais comme un volcan qui explose.» Elle montait en puissance, dit-elle, il fallait que ça s'arrête.
Personne n'a senti les premières secousses.
Son mari Jean-Luc l'assure: «Si j'avais eu le moindre doute, et j'insiste là-dessus, le moindre doute sur l'état de santé mentale de Sophie, je lui aurais dit: “Tu rentres tout de suite.”» «C'est atroce ce qui s'est passé, mais comment aurait-on pu faire autrement?», témoigne quant à lui le directeur de l'Agefiph Toulouse. Sophie, plus tard, lâchera enfin: «Je crois que je voulais faire exploser l'Agefiph.»
L'expert en informatique a relevé toutes les consultations internet de Sophie l'année des faits. Le 7 mai 2016, cinq jours avant le meurtre, elle cherche sur son téléphone portable: «burn out symptômes physiques». Quelques minutes plus tard, nouvelle recherche: «Pourquoi je gâche toujours tout». À sa fille Emmeline, Sophie envoie un texto désolé: «Vous ne tenez pas de moi, heureusement.»
«Elle s'adapte aux éléments»
«Ma mère est une menteuse», convient Emmeline au cours de son audition avec les enquêteurs.
Sophie ment sur tout –pour les petites choses insignifiantes et pendant la reconstitution judiciaire. Fin janvier 2018, la capitaine Nathalie Freund et son équipe se rendent à la résidence Windsor pour reproduire la dernière version de Sophie sur la nuit des faits. À chaque mouvement de l'accusée, une photo est prise et numérotée.
Sur les images diffusées à la cour, Sophie pénètre dans l'appartement 105 avec son double des clés, confié par Marilyne elle-même. Elle découvre tous les dossiers de l'Agefiph, les ouvre, s'allume une cigarette.
La tête levée, les membres du jury regardent les grands écrans. Une policière au visage flouté et en combinaison blanche incarne Marilyne. Le jury la voit qui entre à son tour dans l'appartement, enserre la gorge de Sophie, la fait tomber. Sophie est à terre, elle essaie de la repousser en vain. «Je me suis sentie agressée», commente Sophie.
Julien, le voisin, est présent sur les lieux de la reconstitution. Un cliché le montre s'apprêtant à rentrer chez lui. Marilyne sort en t-shirt, petite culotte et chaussettes dans le couloir. Face aux photos pourtant sans équivoque, Sophie persiste: «Non, je ne vois pas qu'elle s'est déshabillée.»
Le président marque un silence. Il enfonce à son tour le clou: «Dans cette version, vous êtes agressée et Marilyne est l'agresseur. Tout est possible, mais réfléchissez bien. Allez-vous plaider la légitime défense?» Sophie se redresse: «Oui. Oui! Je vais le plaider.»
Dans la salle d'audience, le public s'agite. Ses avocats, Me Chorier et Me Dunac, se figent et échangent un regard. Me Dunac attrape une boîte jaune à côté de ses dossiers: des Doliprane 1.000 mg.
Olivier, l'ancien collègue de Sophie et Marilyne à l'Agefiph, se souvient que Sophie parlait «de façon très persuasive avec des propos qui n'en sont pas». «Elle s'adapte aux éléments», étaye la capitaine Nathalie Freund, qui constate: «Marilyne a dit avoir perdu son trousseau de clés [mi-avril 2016]. On en retrouve deux identiques dans le sac de madame Masala. Il y a une nébuleuse qui persiste.» «Y a aucune chance qu'elle ait pu lui prêter les clés de chez elle», soutient Mathieu. Olivier lui-même fait remarquer: «J'ai travaillé dix-neuf ans avec Marilyne. Je n'ai jamais su où elle habitait.»
«Tout est possible, mais réfléchissez bien. Allez-vous plaider la légitime défense?»
Au-delà du double des clés de l'appartement 105, il y a aussi les dossiers de l'Agefiph jonchant la salle de bains exigüe où Sophie affirme s'être lavé les mains dans la vasque, à côté des outils et du sang dans la baignoire. Sur les papiers éparpillés par terre, les enquêteurs ne relèvent pourtant aucune trace de pas, aucune goutte d'eau, aucune réaction au Bluestar, le révélateur de sang: ils sont immaculés.
Tout est possible, appuie le président de la cour d'assises. Marilyne aurait-elle pu emporter les dossiers de l'Agefiph chez elle, comme le prétend Sophie? L'aurait-elle fait pour rattraper son retard, tout en sachant que la direction l'interdisait formellement?
Le président veut savoir. Il pose la question à Mathieu, son collègue et ami le plus proche à l'Agefiph: Marilyne aurait-elle pu prendre du travail à la maison? Surpris, Mathieu objecte: «Aucun intérêt. Tout se fait par saisie informatique. [...] Ça ne servirait strictement à rien.»
Un froid s'abat sur la cour d'assises.
«Ma perception des choses, c'est une question difficile, soupire Olivier à la barre. Mais elle me trotte dans la tête depuis plusieurs mois.» Il développe: «Je pense que Marilyne Planche a été victime de ce qu'on pourrait appeler une tentative de chantage, de vol. Car c'est la victime idéale.»
«Marilyne avait évoqué des dossiers disparus alors qu'elle voulait y mettre de l'ordre», rappelle-t-il. C'était à la veille de son arrêt maladie. Elle ne voyait quasiment plus de l'œil droit et le gauche devait être opéré le lendemain, pour endiguer la dégénérescence.
«Je me suis trompée»
Sophie Masala allait-elle plaider la légitime défense? Après la pause déjeuner, les avocats et le public qui a patienté avec un sandwich devant le 2, rue des fleurs attendent la sonnerie de l'ouverture de l'audience pour 14 heures tapantes. Cinq minutes passent, puis dix.
Lorsqu'elle retentit enfin, tout le monde se lève pour saluer la cour, puis se rassoit. Me Catala et Me Boguet, les avocats de la famille de Marilyne, se relèvent aussitôt.
Me Catala reprend: «Donc vous avez considéré que vous étiez en légitime défense et…» «Non, je me suis trompée», le coupe Sophie.
Un bruissement confus s'empare de la salle. L'accusée bredouille: «Il faut que j'arrête de me voiler la face.» Elle réitère: «Il faut que j'arrête de me voiler la face, par rapport à la famille. Oui, on a eu une empoignade. Oui, je l'ai tuée. J'arrive pas à…»
Les mots s'entrechoquent un instant. Soudain, Sophie débite sans s'interrompre: «Marilyne ouvre sa porte. Elle va dans sa salle de bains. Elle ne m'a pas entendue. Elle est sortie en culotte. Je ne me suis pas manifestée.»
Instantanément, tout s'emboîte avec le dossier et les débats des quatre derniers jours d'audience. Marilyne ne pouvait pas la voir. Marilyne ne voyait pas.
«Quand elle est arrivée à ma hauteur, elle m'a dit: “Qu'est-ce que tu fais là?” Elle a eu peur. Elle est sortie. Elle a crié.»
Le président l'avise: «Réfléchissez bien. Prenez votre temps. Elle ne vous agresse pas?»
– Non, répond Sophie.
– Pourquoi vous nous avez menti ce matin?
– On se sent sale. On se sent honteux. Le regard que la famille porte sur moi…
Elle confesse: «Je suis un monstre. Je suis un monstre!»
Le visage sur la poitrine, Bastien et Emmeline, ses enfants, peinent à retenir leurs larmes.
«Les monstres n'existent pas. Il n'y a que les hommes et les femmes qui réalisent des actes monstrueux.»
À la barre, leur père Jean-Luc aborde la question des mensonges de sa femme: «On savait qu'il y avait quelque chose de maladif derrière. On lui avait dit d'aller voir un spécialiste.»
Après le détournement des chèques de la faculté de Montpellier et sa condamnation en 2010, Sophie avait consulté un psychologue. Elle en est sortie en pleurant. C'était trop difficile. Jean-Luc n'a pas eu la force d'insister.
«Non, madame Masala, vous n'êtes pas un monstre, clame l'avocat général. Les monstres n'existent pas. Il n'y a que les hommes et les femmes qui réalisent des actes monstrueux.»
David Sénat lui parle de ses méthodes totalitaires –espionnage, dénigrement et manipulation. Il parle de Sophie qui joue avec la maladie de Marilyne en entrant chez elle à son insu, qui joue avec la mort en faisant croire à ses collègues que son fils a voulu mettre fin à ses jours, alors qu'il n'a jamais tenté de se suicider, ni avant ni après le concours de matelot. Il parle de miroir, de désir mimétique et de transfert: «Vous avez voulu faire un tombeau à ciel ouvert. Vous avez pris vos tourments et vous les avez enterrés.»
L'avocat général requiert la peine à perpétuité et dix ans de suivi socio-judiciaire.
«Pardon, les enfants»
À la fin de sa déposition, Emmeline avait glissé: «La première chose à laquelle j'ai pensé, c'est: “Elle ne sera pas là pour la naissance de mes enfants.”» Le sourire triste de la politesse des gens résignés s'était alors dessiné sur son visage. «J'ai perdu ma maman», avait-elle murmuré.
Face au jury, Sophie avait exprimé des remords: «Mes enfants méritent mieux. J'aurais préféré qu'ils aient une mère qui ne vole pas, qui ne mente pas. Une mère qui ne fait pas honte. C'est difficile pour moi de donner cette représentation de moi-même.»
À l'explosion du volcan, personne ne put courir assez vite.
Les frères et sœur de Marilyne ont dû enlever les pages du journal pour que leur mère, Reine, ne tombe pas dessus. Par la suite, la plupart ont consulté pour des troubles du sommeil et sont tombés en dépression. Reine est décédée quelque temps après.
Mathieu, le collègue et ami de Marilyne, a tenu à s'éloigner de Toulouse. Il n'arrivait plus à prononcer le nom de Sophie Masala. Devant la juge d'instruction, il l'appelait «l'autre». Quelques mois après les faits, il a été arrêté par son médecin, puis a obtenu sa mutation pour l'île de la Réunion.
Olivier, lui, a obtenu la sienne pour Lyon, où se trouve également une délégation régionale de l'Agefiph. Quand il a quitté Toulouse, le bureau de Marilyne, inoccupé, était toujours «un sanctuaire».
«Je sais qu'elle est morte, commence un autre collègue proche de Marilyne, mais c'est comme si elle était toujours au sein de l'équipe. [...] Je sais que c'est paradoxal. Il y a une partie tragique que je n'arrive pas à comprendre.»
Peu de temps après ses obsèques, le directeur de l'Agefiph de Toulouse a collé les étiquettes de la remplaçante par-dessus celles de Marilyne. Ses collègues avaient l'impression de l'enterrer une seconde fois. L'un d'entre eux a voulu casser la figure au chef.
«Il fallait un bouc émissaire, finalement. Ça aurait pu être mon mari, mais ça a été cette pauvre Marilyne.»
Julien, le voisin de Marilyne, est le dernier à l'avoir vue en vie avant que Sophie ne la ramène dans l'appartement. À la barre, quand on l'interroge quant à l'impact sur son existence, Julien rétorque fermement: «Je n'ai rien à déclarer là-dessus.» Il a déménagé de la résidence Windsor peu après.
Au bout d'une heure à la barre, Jean-Luc Masala s'est mis à pleurer. «J'aime ma femme, a-t-il répété. J'aime ma femme, je ne veux pas savoir. J'ai pas envie de me salir les souvenirs avec ça.» Il n'a pas voulu assister au reste du procès. Il n'a pas entendu Sophie dire: «Il fallait un bouc émissaire, finalement. Ça aurait pu être mon mari, mais ça a été cette pauvre Marilyne.»
À la place de Jean-Luc, au premier rang de la cour d'assises, Marie-Odile était là tous les jours. Après une séparation de dix ans avec sa sœur Sophie, elle est immédiatement revenue –dès que sa nièce Emmeline l'a appelée de Nouvelle-Zélande: «À partir de là, j'ai décidé de la soutenir coûte que coûte.» «Je ne tiens pas trop à ce qu'elle m'explique, admettait-elle néanmoins. On ne peut pas comprendre ce genre de choses. C'est inimaginable. Je veux juste qu'elle sache que je suis là, si elle veut parler.»
Parfois, au cours de l'audience, Sophie se perdait dans ses flots sombres à elle. Le président tentait de la ramener vers la berge, pour obtenir des réponses. Alors elle se tournait légèrement vers Emmeline et Bastien, et par-dessus son épaule, elle leur soufflait tout bas: «Pardon, les enfants.»
Le vendredi 25 octobre 2019 en début de soirée, Sophie Fryder Masala, née Nouwynck, a été condamnée par le jury de la cour d'assises de la Haute-Garonne à vingt-sept ans d'emprisonnement et cinq années de suivi socio-judiciaire pour le meurtre de Marilyne Planche, «dont la vulnérabilité due à son infirmité était connue».
«En détention, ça se passe relativement bien, avait précisé Sophie au dernier jour de son procès. On ne vient pas toutes des mêmes horizons. Je travaille au sein de la bibliothèque. J'essaie de participer aux activités proposées.» Elle avait noué une dernière fois ses mains. «Je m'entends bien avec tout le monde. J'ai pas de souci.»
* Les prénoms ont été changés.