Boire & manger / Société

Comment le Sud en est-il arrivé à dire «chocolatine»?

Temps de lecture : 3 min

[L'Explication #100] Étrange, puisque la viennoiserie que l'on connaît aujourd'hui s'appelle bien «pain au chocolat»...

De «Schokoladencroissant» à «chocolatine», il n'y a qu'un pas. | Mink Mingle via Unsplash
De «Schokoladencroissant» à «chocolatine», il n'y a qu'un pas. | Mink Mingle via Unsplash

Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]

Une pâte levée feuilletée, une allure de croissant légèrement plus dodu, deux discrètes barres de chocolat qui débordent: à première vue, il s'agit là d'une simple et inoffensive chocolatine... ou d'un pain au chocolat? Cette viennoiserie n'a en fait rien d'inoffensif du tout: son appellation déchaîne les passions jusqu'à diviser les familles les plus unies.

À regarder la carte de la France présentant la zone d'influence des deux appellations, l'Hexagone tout entier se retrouve divisé. Pour le coup, il ne peut y avoir de débat: les défenseurs du pain au chocolat sont bien plus nombreux, et occupent quasiment toute la France.

Toute? Non, une région peuplée d'irréductibles adeptes de la chocolatine résiste encore et toujours à l'envahisseur, esseulés dans le Grand Sud-Ouest, de La Rochelle à Toulouse, sans oublier Bordeaux et Bayonne. Et ils ne lâcheront pas.

Si ce clivage est connu de tous, bien moins nombreux sont celles et ceux qui en connaissent l'origine.

De «Schokoladencroissant»...

Les premières traces de cette viennoiserie ont longtemps fait débat, et les spéculations les plus saugrenues font même remonter son origine à l'époque où l'Aquitaine était une possession anglaise. Voulant s'offrir un fameux pain avec du chocolat, les Anglais auraient demandé un «chocolate in bread» («chocolat dans du pain»), devenu en un rien de temps «chocolate in», puis, on vous le donne en mille: chocolatine. Une belle histoire, mais qui est totalement fausse, étant donné que le chocolat est arrivé dans le royaume de France quelques décennies après que ce dernier a chassé les Anglais du territoire, rappelle le Figaro.

L'hypothèse la plus probable sur sa véritable genèse est en fait récente, et date du XIXe siècle. À cette période, la mode est à la viennoiserie venue d'Autriche, pays qui s'est retrouvé intimement lié avec le royaume de France quand Marie-Antoinette d'Autriche en est devenue reine au siècle précédent –pour un sort funeste. Les fabricants de viennoiseries affluent à Paris en provenance de Vienne, et embarquent avec eux leurs recettes.

Auguste Zang, un boulanger autrichien, en fait partie. Il débarque dans la capitale française en 1830 et ouvre sa boutique rue Richelieu, ajoute Maxisciences. Outre la baguette et de multiples pâtisseries, Zang propose en vitrine les célèbre croissants (ou kipferl), qui sont alors faits à base de brioche. Plus inédit, il en propose une version au chocolat, avec un nom quelque peu alambiqué: «Schokoladencroissant». Littéralement, cela veut dire le «croissant au chocolat». Attention, la suite va aller très vite.

... À «chocolatine»

Car de «Schokoladencroissant» à «chocolatine», il n'y a qu'un pas. Ou plutôt, il y a quelques lettres en moins. Enlevez ici la partie «croissant» du terme, et vous vous retrouverez face à «schokoladen», qui, avec l'accent autrichien où les «d» se prononce comme des «t», n'est ni plus ni moins que l'ancêtre de l'appellation «chocolatine». Une simple déformation linguistique de français franchouillards, comme on sait si bien le faire face à une langue différente.

Je sais ce que vous allez dire: et le pain au chocolat dans tout ça? Où est-il? C'est là que le bât blesse. Il semblerait que, pendant une période, toute la France parlait de «schokoladen», ou «chocolatine»! C'est en tout cas ce qu'atteste l'historien et boulanger Jean Lapoujade dans son livre Les Mots du pain. Quant aux adeptes du «pain au chocolat», pas besoin de monter sur vos grand chevaux. Au fond, c'est bien vous qui avez raison.

Car si l'on parle alors de «chocolatine», c'est pour évoquer la version qui existe à l'époque, c'est-à-dire à base de brioche, la même que celle d'Auguste Zang. La version à base de pâte feuilletée, que nous connaissons aujourd'hui, voit le jour quelque temps après. Et pour les différencier, les boulangers l'ont baptisée «pain au chocolat», histoire de faire un lien net avec leur métier, mais aussi pour évoquer le morceau de pain avec un bout de chocolat que l'on consommait à l'heure du goûter.

Historiquement, la chocolatine évoquerait donc une version ancestrale, originelle, mais différente de la viennoiserie d'aujourd'hui, qui correspond donc à un pain au chocolat. Si pour vous le débat n'est pas encore clos, dites-vous que dans certaines régions, on ne parle pas de pain au chocolat, ni même de chocolatine, mais de «couque au chocolat» (dans les Ardennes et en Belgique), voire de «petit pain au chocolat» (dans les Hauts-de-France et le Grand Est). Et si le débat était plutôt de ce côté-là?

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