Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]
Combien pèse un kilogramme? Voilà une question à 1.000 euros sur laquelle bon nombre d'entre nous se casserons probablement les dents. Facile, 1.000 grammes, me direz-vous! Pas loin, mais loin d'être assez précis. Un kilogramme est égal à la masse d'un litre d'eau? Vrai... si vous portez une redingote et une perruque, car vous vivez en 1793.
Cette date marque en effet le début d'un long chemin de croix pour l'unité de mesure. Au fil des siècles qui suivirent, les scientifiques ont tenté sans relâche de définir à quoi correspondait exactement un kilogramme, pour établir une unité de mesure universelle précise. Depuis, le kilogramme n'a cessé de changer de poids, ou plutôt, de poids de référence. Un véritable casse-tête, qui semble avoir été résolu pour de bon il y a peu.
Le «grave»
Pourquoi est-il si important d'établir avec précision ce que pèse vraiment un kilogramme? La réponse, au XVIIIe siècle, est simple: si l'on achète au poids, mieux vaut être sûr de ce dernier. Et avec l'essor des échanges commerciaux dans le monde à cette période, autant dire que c'était devenu une nécessité absolue. Exit les objets divers du quotidien qui nous servaient alors de référence pour peser, place à une unité universelle et stable.
La Révolution française y est aussi pour beaucoup. Pour les scientifiques imprégnés des idées révolutionnaires («Liberté, Égalité, Fraternité»), définir des unités de mesure à l'aide de constantes de la nature devait libérer l'homme et la femme ordinaires des poids et mesures déroutants et incohérents de l'Ancien Régime. L'objectif: unir le monde entier autour d'un système partagé de poids et de mesures permettant le libre-échange de biens et d'informations. Rien que ça.
En 1793, le cap est franchi. Un décret est publié, posant les bases du système métrique qui deviendra le système international d'unités. Ainsi, le kilogramme devient le «grave», qui est défini comme étant la masse d'un décimètre cube d'eau, soit 2 livres ou encore 49 grains. Le gramme –alors appelé le «gravet»– est inventé par la même occasion, tandis que le mètre, lui, est désormais calculé comme une fraction de la distance entre le pôle Nord et l'équateur.
Ça y est: le monde est enfin doté d'un kilogramme à la valeur fixe. Du moins, jusqu'à ce que l'on se rende compte qu'appuyer ses calculs sur de l'eau, qui ne pèse pas toujours la même chose en fonction, notamment, de sa température, n'était pas l'idée du siècle. À la fin du XIXe, une solution bien plus stable apparaît: la métallurgie.
Le «grand K», comme «Katastrophe»
En utilisant un alliage de platine et d'iridium, les scientifiques ont créé en 1875 un cylindre dont la masse fera pendant de longues années office de référence pour le kilogramme. Ce cylindre de 3,9 centimètres de long et 3,9 centimètres de diamètre (et pesant donc un kilogramme) est alors appelé «prototype international du kilogramme» (IPK), puis plus largement le «grand K». Particulièrement résistant et stable, l'alliage est perçu comme immuable.
Immuable, certes, mais ce n'est pas pour autant qu'on le laisse traîner n'importe où. Si plusieurs copies officielles du cylindre sont envoyées un peu partout dans le monde, la version originelle restera précieusement gardée sous trois cloches de verre hermétiques, en banlieue parisienne.
Affaire classée? Pas si vite. Au fil des décennies suivantes, les différents cylindres ont été réunis pour vérifier que leur masse correspondait toujours parfaitement. Patatras: à la pesée, les comptes sont loin d'être bons. Le «grand K», l'étalon des copies, est mystérieusement devenu plus léger que les autres –notamment entre les années 1940 et 1990.
Au total, le cylindre originel aurait perdu environ 50 microgrammes de masse, rapporte The Verge. Soit le poids d'un seul cil. Anecdotique? Si l'on se réfère à l'utilisation du kilogramme quand on fait nos courses ou que l'on monte sur la balance, évidemment, c'est plus que dérisoire. Mais pour les scientifiques qui se plongent de plus en plus dans l'ère de l'infiniment petit et des techniques quantiques, la moindre variation peut s'avérer catastrophique, note le HuffPost.
Constante de Planck
Après les échecs de l'eau puis de l'alliage, les scientifiques ont compris une chose: il ne faut plus utiliser la Terre et ses ressources comme base pour définir des unités. Ils se sont alors tournés vers quelque chose de plus grand: les constantes, fondement de la physique moderne, immuables dans tout l'univers.
Au cours des dernières décennies, six des sept unités du système métrique –le mètre, la seconde, l'ampère, le Kelvin, la mole et la candela– ont été redéfinies pour être rattachées à une constante. Il ne restait plus que le kilogramme, seule unité encore basée sur des artefacts, à repenser.
Il aura fallu près de trente ans pour trouver la bonne formule. Et cette bonne formule s'appelle la «constante de Planck»: une grandeur physique dont la valeur numérique est fixe dans tout l'univers, et qui régit également le lien des interactions entre énergie et fréquence. Ajoutez à ça des instruments de mesure particulièrement bizarres, appelés «balance du watt» ou «de Kibble», et le tour est joué.
Grâce à cette équation gagnante, la nouvelle définition du kilogramme est devenue une valeur constante universelle qui ne sera plus basée sur un objet physique mais sur une formule dématérialisée, qui permet de mesurer les interactions à l'échelle atomique. Le kilogramme a, qui plus est, repris les plumes qu'il avait perdues avec les cylindres vieillissants.
Le 20 mai 2019, c'est fait. La nouvelle définition mondiale du kilogramme est entrée en vigueur, après un vote des délégations de soixante pays lors de la Conférence générale des poids et mesures (CGPM) organisée quelques mois plus tôt. Après la lecture de cet article, vous ne verrez plus le kilogramme de la même façon.