Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]
Les fêtes de fin d'année sont souvent synonyme de repas de famille interminables où l'on peut observer les écarts générationnels à travers le langage. Alors que, un verre de trop dans le nez, les esprits commencent à s'échauffer en parlant de politique ou de grèves SNCF, le plus jeune de la table lâche un «c'est chaud de ouf» voire un «c'est tendax», tandis que la grand-mère, elle, préfère dépoussiérer un «ça sent le sapin». Deux salles, deux ambiances.
Si vous ne connaissez pas cette expression, n'allez pas sentir par curiosité le sapin de Noël: il n'y est pour rien dans cette histoire. Laissez également Michel Sapin tranquille, le humer ne vous apportera pas plus de réponse. Et si cette expression semble au premier abord de bon augure, voire festive, elle signifie en fait que les ennuis arrivent, qu'une complication se profile. Et à voir son origine, on comprend que ça sent plus la fin que la fête.
De l'arbre aux cercueils
«Ça sent le sapin» est une ancienne expression de la langue française qui date du XVIIe siècle environ. Rien à voir avec les joies de Noël, le sapin décoré de la pointe aux racines, ni même avec la douce odeur des forêts hivernales. Non, ce fameux sapin auquel il est ici fait référence n'est autre que le conifère utilisé alors pour fabriquer les cercueils. C'est tout de suite moins sympa.
Particulièrement tendre, économique et disponible en grande quantité dans nos forêts, le bois de sapin faisait en effet office de référence dans la confection des cercueils de l'époque. Beaucoup finissaient entre les quatre parois d'une boîte de sapin. Ce type de dernière demeure était si répandu que pendant un temps, on parlait de «redingote en sapin» pour désigner un cercueil. Vous voyez où on veut en venir. Lancer un «ça sent le sapin» signifier que ça sent le cercueil, le trépas, la mort, bref: ça sent la fin.
Rassurez-vous, si votre grand-mère sort cette expression à table, ce n'est pas parce qu'elle a une soudaine envie de meurtre. Sa signification s'est légèrement adoucie avec le temps, passant d'un sous-entendu pour le moins funeste à l'expression d'une complication à venir, d'ennuis certains.
Aujourd'hui, l'expression n'a plus vraiment la cote. Son origine, elle, est complètement tombée dans l'oubli. Une descente dans les abîmes de nos mémoires d'autant plus irrémédiable que le sapin a été supplanté par le chêne, le châtaignier, le hêtre voire l'olivier dans la conception des cercueils. Eh oui, ça sent le roussi pour elle.
Et des cercueils aux bûchers
«Ça sent le roussi». Voilà une autre expression sortie du tréfond des âges qui arrive malgré tout à se faire une place dans les conversations. À l'instar de «ça sent le sapin», qui peut être considérée comme son synonyme, l'expression «ça sent le roussi» fait référence à une situation qui risque de mal tourner. Et là encore on tourne autour de la fin de vie.
Apparue au XIXe siècle, l'expression évoque une pratique médiévale funeste: celle des bûchers où l'on jetait les hérétiques condamnés par l'Inquisition. Or, forcément, qui dit bûcher dit légère odeur de brûlé ou de «roussi». Vous avez compris l'idée: «ça sent le roussi», ça voulait dire que l'on n'allait pas tarder à avoir chaud aux fesses et que le danger rodait.
Aujourd'hui, là encore, l'expression a quelque peu évolué dans une version plus moderne (il faut dire que les bûchers ont moins la cote). «Ça sent le roussi» peut être utilisée au sens propre pour alerter sur un possible incendie, ou au sens figuré pour mettre en garde face à un avenir qui semble incertain, semé d'embûches.
Dans la même branche, on peut également dire d'une personne qu'elle «sent le fagot», en référence à ces petits morceaux de bois qui servent à allumer un feu. Ici en revanche, il s'agit de désigner quelqu'un qui est suspecté d'hérésie, qui éveille la méfiance. Un véritable suppôt de Satan qui ne va pas tarder à aller griller un coup sur le bucher, en quelque sorte. Toujours très imagée, la langue française.