Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]
En partant du boulot, rien à signaler. Dans les transports, tout va bien. À quelques mètres de chez soi, là encore, rien de rien. Pourtant, une fois devant la porte d'entrée, la voilà qui surgit, sortie de nulle part: cette puissante envie de faire pipi.
La suite, on la connaît. Les jambes serrées, on contracte la vessie tant bien que mal tout en cherchant frénétiquement ses clés, alors que cette envie, loin de nous laisser tranquille, devient de plus en plus pressante, jusqu'à prendre toute la place dans notre esprit. Bref, on est à deux doigts du drame.
Un sentiment de déjà-vu? Il faut dire que cette situation n'a rien de bien exceptionnel et si ce n'est pas votre fardeau quotidien, vous l'avez sûrement déjà vécue au moins une fois.
Comment peut-on l'expliquer? Quels sont les mécanismes qui provoquent ce besoin soudain? Est-ce une fatalité? Pour résumer, pourquoi l'envie de faire pipi est-elle plus pressante une fois devant la porte d'entrée?
Pavlov à la sauce miction
Que ce soit en entrant dans l'ascenseur, en montant les escaliers ou une fois sur le palier, cette envie pressante a tendance à se manifester alors que l'on est sur le point d'arriver chez soi. Une caractéristique qui lui a valu le doux surnom de «syndrome du paillasson» ou de «la clé dans la serrure» –voire «d'incontinence de la clé», comme l'évoque une étude publiée en 2015 dans la revue Biomedical Research.
Pour comprendre ce drôle de phénomène, il faut notamment se replonger dans une expérience datant de la fin du XIXe siècle. À cette époque, Ivan Pavlov, un scientifique russe, fit une expérimentation sur ses chiens: à chaque fois qu'il leur donnait à manger, il sonnait en même temps une cloche. Après un certain temps, le scientifique se mit à sonner simplement la cloche, sans apporter de nourriture, et observa le comportement de ses animaux. Résultat, ces derniers salivèrent à chaque retentissement de cloche, alors même qu'aucune nourriture ne leur était présentée.
Quel rapport entre des chiens, un savant russe et ma vessie pleine à craquer sur le palier me direz-vous? Eh bien, à l'instar des chiens de Pavlov, dont le corps a associé la nourriture avec le son de cloche, notre cerveau ferait le rapprochement entre la porte d'entrée et l'envie d'aller aux toilettes.
«Le cerveau peut avoir enregistré les clés dans la serrure, ou le seuil de la porte comme un signal d'urgence, une fois où cela avait été vraiment urgent [d'uriner], explique Grégoire Capon, responsable des activités de neuro-urologie et de pelvi-périnéologie au CHU de Bordeaux. Le cerveau associe alors ce stimulus visuel ou auditif à l'urgence d'aller uriner, et mélange donc les signaux. C'est un mécanisme pavlovien.»
Ainsi, le simple fait d'être sur le chemin de son appartement ou bien juste la vision de la porte d'entrée nous rappellerait cette autre situation où notre vessie était à deux doigts de l'implosion. Cette porte d'entrée envoie donc un signal «alerte vessie pleine», poussant à se rendre rapidement aux toilettes, et ce, même si on n'en a pas vraiment besoin.
«Notre cerveau nous joue un tour»
Comme l'indique l'urologue Grégoire Capon, notre cerveau «mélange les signaux», il nous mène sur une fausse piste. Pour comprendre à la source ce qui cloche dans cette envie de faire pipi, il faut comprendre les mécanismes qui entrent en jeu à ce moment-là.
«Le système nerveux central régule les informations qui viennent de la vessie en permanence, explique Grégoire Capon. La vessie dit en continu: “Je me remplis” tandis que le système nerveux central trie ses informations, pour ne transmettre au cortex (et donc rendre conscientes) que les informations utiles à partir d'un certain volume de remplissage. “Tout petit besoin, vas-y ce sera fait”, puis “prochaine occasion faut y aller” et enfin “urgence laisse tout tomber et va”.»
Quelques petites astuces existent pour tromper à votre tour votre cerveau.
Si ces quelques explications sont valables pour de nombreux cas de ce fameux «syndrome du paillasson», d'autres facteurs peuvent également entrer en jeu, comme des problèmes de vessie hyperactive (urgenturie, réveils la nuit par l'envie, etc.), pour lesquelles il ne faut pas hésiter à aller consulter un urologue. Toutes ces informations circulent en permanence mais sont donc filtrées pour ne nous donner conscience d'un besoin que très ponctuellement. Ainsi, quand l'envie d'uriner est de plus en plus présente face à cette porte d'entrée qui nous barre la route, le stress, l'empressement et plein d'autres facteurs entraînent une dérégulation de ces mécanismes, et envoient des signaux de remplissage de la vessie qui sont traduits par le cerveau en besoin d'uriner. «C'est notre cerveau qui nous joue un tour», conclut l'urologue.
Pas une fatalité
Pas de panique, tout problème a sa solution. Si cette envie d'uriner produit chez vous un inconfort ou si, par exemple, vous avez oublié vos clés et que vous êtes en pleine tourmente urinaire, quelques petites astuces existent pour tromper à votre tour votre cerveau.
Tout d'abord, il faut reprendre le contrôle de soi, précise Grégoire Capon. «Se calmer, prendre une grande inspiration, puis penser à autre chose.» Il faut occuper son esprit, l'emmener loin, le plus loin possible de cette envie pressante. Les matheux peuvent compter à rebours 3 par 3 en partant de 1.000. Les fans de série peuvent essayer de trouver tous les noms de personnages commençant par la lettre R. Les férus d'histoire peuvent se refaire tous les présidents de la Ve République dans l'ordre. Vous voyez le genre.
Il est d'autant plus important de contrer les «fausses» envies de faire pipi qu'elles peuvent à la longue se transformer en cercle vicieux.
Autre méthode efficace: contracter son périnée. «Comme le font les enfants en croisant les jambes. Il s'agit d'un vrai mécanisme de régulation neurologique qui agit sur le centre de contrôle de la moelle épinière», précise l'urologue du CHU de Bordeaux.
Il est d'autant plus important de contrer les «fausses» envies de faire pipi qu'elles peuvent à la longue se transformer en cercle vicieux. En cédant régulièrement à ces soudaines envies d'uriner au lieu de laisser votre cerveau prendre le contrôle, la vessie ne se remplit jamais correctement et pourrait alors rétrécir légèrement.
Quoi qu'il en soit, si ce phénomène produit un impact dans votre quotidien et que c'est votre vessie qui dicte chaque jour la loi, tournez-vous vers un médecin pour trouver des solutions. Car lutter contre le «syndrome du paillasson» ou les problèmes d'incontinence urinaire est loin d'être une «miction» impossible.