Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]
Depuis le 15 novembre, la Guadeloupe est en proie à de violents affrontements. Ce qui était d'abord une opposition contre l'obligation vaccinale pour plusieurs professions a finalement dégénéré en une crise bien plus large, qui révèle des plaies profondes.
Derrière les barricades, les revendications sont multiples et viennent de loin. Les protestataires dénoncent notamment la pauvreté et le coût de la vie exorbitant sur l'archipel par rapport à la métropole. Une revendication qui a aussi trouvé une certaine résonance sur l'île voisine, la Martinique, en proie à une crise similaire.
À quel point le coût de la vie est-il plus élevé dans ces régions? Comment l'expliquer? Pourquoi les produits du quotidien, tels que les denrées alimentaires, par exemple, sont-ils plus chers en Guadeloupe?
33%
Les chiffres sont hallucinants. En comparant les prix de produits achetés dans des supermarchés de Guadeloupe à ceux de métropole, la différence est édifiante.
Un paquet de riz? Compter 85% plus cher Outre-mer, rapporte l'Humanité. Un kilo de sucre Daddy? Il faut débourser 1,79 euro à Pointe-à-Pitre, contre 92 centimes d'euro en métropole. Du café? Les prix sont près de 133% plus élevés en Guadeloupe. Et il en va de même pour les pâtes, le gel douche, le liquide vaisselle et de nombreux autres produits du quotidien. Une vraie enclume dans le porte-monnaie.
Les courses pèsent donc dans le budget des ménages. En 2019, un panier guadeloupéen coûtait en moyenne 33% plus cher qu'en métropole. C'est encore pire en Martinique, où ce chiffre grimpe à près de 38%. Et c'est sans compter les récents événements, dont le Covid-19, qui n'ont sûrement pas dû arranger les choses d'un point de vue économique, comme le montre une vidéo qui a fortement circulé sur Instagram et sur TikTok en plein milieu des vagues de contestations.
On y voit une Martiniquaise qui raconte en images la comparaison réalisée entre des articles similaires achetés sur l'île et dans l'Hexagone, remettant complètement en question ce chiffre de 2019, attestant d'un écart de prix de 38%. Pour un panier de course strictement similaire, celle qui se fait appeler Olivia montre que la facture s'élève à 45,96 euros en métropole, contre 91,68 euros de l'autre côté de l'Atlantique. Soit une différence de près de 100%.
En plus de revenus plus bas, ces régions doivent aussi faire face au chômage endémique, flirtant avec les 17% de la population en Guadeloupe en 2020. Les jeunes de 16-25 ans sont notamment les plus touchés par la pénurie d'emplois et par le manque de vision à long terme. Ce malaise profond, fondé sur une crise économique et sociale, ne pouvait que ressurgir à un moment d'une façon ou d'une autre.
Situation géographique et concurrence
Comment expliquer que le prix de certains produits passe du simple au double entre la métropole et les Antilles? La premier paramètre reste géographique: leur coût d'acheminement jusque dans ces îles éloignées augmente le prix de certaines denrées.
Le commerce en Guadeloupe et en Martinique est en effet très orienté vers la France métropolitaine, ce qui pose bon nombre de problèmes. Une grande partie de ce qui est consommé dans ces territoires est importé, que ce soit par bateau ou par avion, et de multiples taxes viennent ainsi gonfler les prix des produits mis en rayon. Un surcoût d'autant plus important si ces derniers ont dû respecter des mesures précises sur leur trajet, notamment en ce qui concerne les produits frais. Double peine.
Le coût du transport des marchandises n'explique pas à lui seul la vie chère aux Antilles. Un autre paramètre entre également en jeu: celui de la faible concurrence sur ces territoires.
Leur marché intérieur est en effet très limité et la plupart des secteurs sont dominés par une petite poignée de groupes possédés par des Békés, descendants des premiers colons. Face à la faible concurrence des acteurs, ces groupes disposent d'un certain pouvoir sur le marché, ce qui ne favorise pas la baisse des prix.
Il n'y a qu'à regarder le marché alimentaire pour avoir un aperçu de la situation. Dans les Antilles, seuls deux riches Békés se partagent le gros des ventes, tandis qu'en métropole, huit distributeurs se livrent un combat acharné, poussant les uns et les autres à baisser leurs prix pour rester compétitifs. Une situation valable également dans de nombreux autres secteurs, notamment celui de la distribution spécialisée Outre-mer. Au total, la part de marché cumulée de ces deux principaux groupes représente une quarantaine de pourcents en Guadeloupe et Martinique, rapporte Challenges dans une enquête.
Les classes moyennes et précaires ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Mais le profond malaise Outre-mer résulte d'un sentiment d'abandon généralisé en Guadeloupe et en Martinique, que certains événements récents n'ont fait qu'aggraver.
Coupures d'eau, taux de pauvreté, infrastructures vieillissantes... de nombreux autres problèmes sont pointés du doigt par les manifestants. Sans oublier les ravages causés par le chlordécone, un insecticide toxique utilisé par la métropole dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique jusqu'en 1993, responsable aujourd'hui d'un nombre record de cancers de la prostate dans ces régions. De quoi alimenter un peu plus encore la gronde populaire.