Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]
Si on vous dit que la tour Eiffel bouge, vous ne nous croirez sûrement pas. Et pour cause, cet édifice majestueux semble immuable. Gustave Eiffel nous a en effet construit là un sacré bébé: au total, le monument ne pèse pas moins de 10.100 tonnes. Impossible de le faire vaciller d'un centimètre.
«Et pourtant, elle bouge», aurait sûrement dit Galilée face à un tribunal de l'Inquisition 2.0, l'accusant de blasphémer sur celle qu'on appelle la Dame de fer. Oui, la tour Eiffel bouge. Surtout, elle grandit. Ou rapetisse, ça dépend des saisons.
Quel est ce mystérieux phénomène qui modifie la taille de cette bonne vieille structure en fer? Quand ce drôle de changement se produit-il? Pourquoi la tour Eiffel va-t-elle bientôt changer de taille?
Dilatation thermique
Lors de sa présentation au monde en 1889, à l'occasion de la dixième édition de l'Exposition universelle organisée à Paris, la tour Eiffel est appelée la «tour de 300 mètres». À l'époque, ça en jetait clairement et, jusqu'en 1930, le monument est le plus haut du monde, avant que le Chrysler Building de New York ne vienne le détrôner. Bon, de nos jours, «300 mètres», ce n'est pas grand-chose: le Burj Khalifa de Dubaï, l'actuelle structure humaine la plus grande du globe, mesure 828 mètres de haut. Rien que ça.
Ne crachons pas dans la soupe pour autant. Et puis, la tour Eiffel était même un peu plus grande que ça à l'époque. Sa taille exacte était alors de 312 mètres (avec drapeau, mais on va dire que ça passe). Pourquoi «était»? Parce que, aujourd'hui, la tour a grandi, étirée vers les cieux par l'ajout d'antennes en tous genres. Aujourd'hui, le monument mesure 324 mètres. Enfin, ça dépend des moments.
La tour Eiffel en construction. | Piqsels
Tout dépend en réalité de la saison. Ou des températures, si vous préférez. La charpente métallique de la tour Eiffel (on parle ici de 7.300 tonnes tout de même) réagit en fait à un phénomène physique appelé dilatation thermique. Ce phénomène veut qu'à pression constante, le volume d'un corps augmente lorsque sa température augmente, et inversement. Or toute la structure de l'édifice est faite en fer puddlé: un métal qui est très sensible à la chaleur et, donc, soumis aux variations qu'induit la dilatation thermique. Autrement dit, quand il fait chaud, en été principalement, la tour grandit, et quand il fait froid, quand l'hiver arrive, elle rétrécit.
Vous l'avez compris, alors que les températures baissent, notre chère Dame de fer se prépare à se faire plus petite. Ne vous attendez pas non plus à ce qu'elle disparaisse derrière les toits de Paris. La variation de la taille de l'édifice est de seulement une dizaine de centimètres. On estime que la tour Eiffel perd en hiver environ 10 centimètres, et gagne jusqu'à 20 centimètres lorsque l'été bat son plein et que les températures dépassent les 30°C.
En plus de faire fluctuer sa taille, la dilatation thermique a également une autre conséquence sur l'édifice parisien: elle peut le faire pencher d'un côté ou d'un autre. L'explication? Quand le soleil vient chauffer une seule des quatre faces de la structure, cette partie-là s'agrandit inévitablement et la tour se trouve déséquilibrée. Elle s'incline alors légèrement du côté opposé au soleil, explique Futura Science. Là encore, ce changement n'est que d'une poignée de centimètres.
Pourquoi fer?
Au vu de la réaction du fer puddlé face aux variations de températures, on peut se demander pourquoi l'ingénieur français a choisi ce matériau. C'est à vrai dire le seul fiable qu'il avait à sa disposition. Vous imaginez une tour en bois de 300 mètres? Quant à une tour en pierre, elle se serait probablement écrasée en un rien de temps sous son propre poids. Le fer, quant à lui, était utilisé à l'époque, produit en grande quantité et était maîtrisé depuis des siècles, contrairement au béton armé par exemple, qui venait tout juste de voir le jour. L'acier, qui commençait à se faire une place sur les chantiers, n'avait visiblement pas les faveurs du génie.
Il faut dire que Gustave Eiffel avait une confiance absolue dans le fer: nombre de ses constructions antérieures étaient faites avec ce matériau, comme le viaduc Maria Pia à Porto ou encore la passerelle Eiffel à Bordeaux. Mais le fer de la tour est bien particulier. Son métal est purifié, il est débarrassé de l'excédent de carbone. Un traitement qui lui donne le nom de fer puddlé, gage de grandes quantités et de solidité.
Aujourd'hui, les vieilles infrastructures pourraient faire face à un nouveau défi: le changement climatique. Que la tour Eiffel prenne 10, 20 ou 30 centimètres sous l'effet de la chaleur ne semble pas être un problème de taille. Sa structure peut se remettre de ces variations sans sourcilier. Mais ce n'est pas le cas de tous les édifices construits par l'homme.
Notre chère Dame de fer, vieille de plus de 132 ans, ne devrait donc pas se recroqueviller davantage à l'avenir, mais, au contraire, pourrait bien prendre encore un peu plus de centimètres chaque été sous l'influence du changement climatique. À y regarder de plus près, de nombreuses infrastructures anciennes sont à la merci des températures élevées.
Popular Science, magazine trimestriel américain de vulgarisation scientifique, rapporte par exemple le cas du pont DuSable à Chicago, dont la construction s'est achevée en 1920 et qui, à l'été 2018, s'est retrouvé complètement gonflé lors d'une vague de chaleur. À l'instar de la tour Eiffel, les joints du pont, ici en acier, ont augmenté de volume avec la chaleur, empêchant ainsi à la structure de s'ouvrir pour laisser passer les bateaux. Un exemple parmi tant d'autres.