Politique / Société

La semaine imaginaire de Valéry Giscard d'Estaing

Temps de lecture : 4 min

Ah tiens, je suis mort. J'ai même pas fait exprès dis donc, un peu comme ma réélection en 1981. Ah non, là je me suis planté. N'empêche, grâce à moi, on est maintenant plus nombreux ici qu'au Conseil constitutionnel, fini le match nul.

Valéry Giscard d'Estaing aux obsèques de l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, à Hambourg, le 23 novembre 2015. | John MacDougall / AFP
Valéry Giscard d'Estaing aux obsèques de l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, à Hambourg, le 23 novembre 2015. | John MacDougall / AFP

Chaque samedi, Louison se met dans la peau d'une personnalité qui a fait l'actu et imagine son journal de bord.

Lundi 30 novembre

Che dois avouer être un peu déchu. Et déçu aussi. En allumant le poste à tranchistor tout à l'heure, ch'ai appris que le prix Goncourt m'avait échappé, une fois de plus. Che vais finir par pencher que ch'est fait excheprès. Ch'est un chertain Hervé Le Tellier qui l'a raflé alors qu'il n'a même pas été ni président de la République, ni académicien, ni même n'a foutu un pied à Vulcania avant que cha ferme pour cause de confinement, che naze.

Alors cha pour donner des prix à des auteurs mainchtream, y a du monde. Mais pour chauver les librairies, il aurait fallu prendre des richques et laichez une chanche à mon nouvel ouvrage où je raconte ma pachion dévorante pour l'un des derniers chiens encore en vie d'Elisabeth II. Que voulez-vous, nous vivons dans un monde acheptisé, où le talent, le vrai, chelui qui porte un chabre et pas trop de cheveux doit vivre ainchi, dérobé aux regards de ches conchitoyens. Ch'est la vie.

Il y a toujours pire me direz-vous, ch'aurais pu être le médechin chénéralichte de Diego Maradona et pacher une très mauvaise chemaine. Allez, che retourne à ma prose.

Hachta la vichta baby.

Mardi 1er décembre

Ça y est! Non sans mal et grâce au dernier des 152.000 cure-dents estampillés «Giscard 1981» qu'Anne-Aymone m'a gentiment donné, j'ai pu me débarrasser de la patate chaude que j'avais coincé entre deux prémolaires depuis soixante-quinze ans. Je dois vous avouer que ça fait assez plaisir de pouvoir parler un peu plus normalement. Je me sens revivre. Un peu comme ce petit trublion de Michel Drucker, qui, je l'apprends ce matin dans la presse, a senti passer très près des oreilles la balle de tennis du destin.

Mais la partie continue. Avantage nous, les indéboulonnables. Et en plus de ça, si on en croit les annonces de la Haute Autorité de chanté, pardon, une rechute, de santé, nous serons assez haut dans la liste des VIP, les Papys Vraiment Immunodéprimés en français. Paraît qu'il y a de la 5G dedans. Je vous avoue que ça ne me dérange pas trop, de mon temps on aurait plutôt pris des touches de Minitel pour nous les injecter directement en intraveineuse, et ç'aurait été une autre limonade, croyez-moi.

Big bisous les loulous.

Mercredi 2 décembre

Ah tiens, je suis mort. J'ai même pas fait exprès dis donc, un peu comme ma réélection en 1981. Ah non, là je me suis planté. Plutôt comme la première fois que j'ai trouvé le mi bémol sur mon accordéon. Un doigt mal placé, un autre qui a ripé, et pouf, l'accord parfait, une justesse à vous faire trembler un centriste. C'est cette chère Yvette Horner qui avait été impressionnée. Peut-être que du coup je vais la recroiser et je pourrai lui montrer tout ce que j'ai appris depuis sa mort en juin 2018.

Enfin... tout ce dont je me rappelle, parce que bon, le temps passe. C'est toujours Nicolas Sarkozy le président de la République, hein? Chirac que je viens de croiser me fait signe que non, mais j'ai jamais pu lui faire confiance à ce type. Je demanderai à Mitterrand, après tout, il n'a pas le monopole du lobe frontal. N'empêche, grâce à moi, on est maintenant plus nombreux ici qu'au Conseil constitutionnel, fini le match nul.

Oups, je viens de croiser Lady Di, elle a l'air chiffon. Je vais me cacher derrière un nuage, je reviens. On croise beaucoup de monde ici, même des articles de loi.

Au revoir, l'article 24.

Jeudi 3 décembre

J'aurais dû faire comme Pompidou ou De Gaulle et mourir plus tôt, dis donc. Ce déluge d'éloges depuis ce matin me fait rougir presque jusqu'en haut du crâne. Si j'en crois les uns et les autres, en plus d'un excellent mélomane, j'étais en fait une créature mystique, avec le corps d'un énarque, la tension artérielle d'un académicien, le sourire d'un président américain en décapotable, le chignon d'une féministe et le charisme d'une Beyoncé. Bon, pour le dernier point, c'est peut-être quelqu'un qui voyait si flou qu'il cherchait ses lunettes sur le bout de son nez.

Cela dit si on regarde de plus près, c'est surtout Simone qui s'est occupée de faire voter la loi IVG, Kennedy ne s'est pas inventé une amourette avec une princesse à brushing puisqu'il avait Marilyn, mais il faut croire que quand on meurt, on retrouve une immunité présidentielle qui ne sert plus à grand-chose –en tout cas ni dans un tribunal correctionnel, ni pour trouver un forfait de remontées mécaniques. Je vous laisse, je dois trouver un costume fringant pour la journée de deuil national la semaine prochaine.

Ciao les loulous.

Vendredi 4 décembre

Bien sûr, mourir c'est un peu triste. Mais quand je vois le sac de nœuds que va être Noël cette année, je dois avouer que je ne suis pas totalement inconsolable d'y échapper. Parce que couper une dinde en cinq portions trois quarts et manger sa buche glacée avec une paille calée sous son masque lavable dix fois, merci bien. Si j'avais voulu souffrir, j'aurais été ministre de tutelle de Gérald Darmanin hein.

Ou pire, modérateur des commentaires pendant l'interview du président Macron sur la plateforme d'informations en ligne Brut. Mon successeur, visiblement lassé par sa 256e allocution solennelle, a décidé de se lancer dans un exercice plus technique que la taille d'un diamant: se faire interviewer par des journalistes qui n'étaient pas nés quand j'ai été élu en 1974. Une grande première.

Et puis, il y a aussi les grandes dernières. Il faut savoir raccrocher le sabre, refermer l'accordéon et cette fois, se dire non pas au revoir...

Mais adieu.


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