Monde

La semaine imaginaire du Prince Philip 

Temps de lecture : 4 min

J'avais l'espoir de tenir jusqu'à 100 ans, ne serait-ce que pour voir la vaisselle commémorative qu'on aurait vendue dans le voisinage de Buckingham.

J'avais l'espoir de tenir jusqu'à 100 ans mais, nom d'un pudding: je suis mort. | Louison
J'avais l'espoir de tenir jusqu'à 100 ans mais, nom d'un pudding: je suis mort. | Louison

Chaque samedi, Louison se met dans la peau d'une personnalité qui a fait l'actu et imagine son journal de bord.

Lundi 12 avril

Nom d'un pudding: je suis mort. Bon déjà, je ne vous le cache pas, ça m'a fait un coup de l'apprendre. Mais voir ma tronche en une de tous les journaux de tous les pays, avec dans la plupart des cas des photos où je ressemble à une pomme au four avec un chapeau melon, là c'est carrément la déprime. Et pas une petite déprime hein, une aussi grande que l'amour de ma reine de femme pour les chiens qui remuent du cul. Je suis mort donc.

J'avais pourtant l'espoir de tenir jusqu'à 100 ans, ne serait-ce que pour voir la vaisselle commémorative qu'on aurait vendue dans le voisinage de Buckingham. C'est quand même une chouette expérience de pouvoir manger son porridge tous les matins dans une assiette à soupe sur laquelle est imprimée sa tronche. C'est un peu comme se sentir parfaitement bien après une injection de vaccin chinois: c'est pas donné à tout le monde. Mais non, il a fallu que quelques semaines avant la date de mon anniversaire, je passe l'arme à gauche. Enfin ici c'est à droite, évidemment. Mais bon, presque un siècle, c'est tout de même pas si mal, certains rappeurs n'ont pas eu cette chance. Comme quoi, finalement, j'ai bien fait de continuer la cornemuse plutôt que le beat-box.

Mardi 13 avril

N'empêche, faire ça à ma pauvre petite Lilibet, seulement quelques jours avant son 95e anniversaire, c'est pas très very sympatoche. Alors bien sûr, au bout de trois-quarts de siècle de vie commune, c'était pas easy easy de réussir à encore surprendre son ou sa partenaire, et sur ce point, on peut dire que j'ai plutôt pas mal réussi mon coup. Mais bon, elle aurait été tout aussi étonnée, et sans doute un peu moins tristoune, si je lui avais proposé par exemple de regarder ce soir le match PSG-Bayern de Munich, en slip et en mangeant des chips, tout en faisant des chorégraphies sur TikTok. Mais non, il a fallu que je fasse mon malin et que je marque le coup, big time. En y réfléchissant, j'aurais aussi pu opter pour la même technique que le gouvernement français, qui a fait une grande annonce officielle sur le report des élections régionales avant de préciser que ledit report ne serait que de sept petits jours. J'imagine la scène «Lilibet, je meurs…mais dans une semaine!» Y a pas à dire, les grenouilles d'outre-Manche ont parfois un sens de l'humour à dérider un bouledogue.

Mercredi 14 avril

Finalement, la mort c'est aussi doux à vivre qu'une partie de croquet en plein soleil. J'entends par là que personne ne comprend vraiment les règles, qu'on se demande un peu ce qu'on fait là, et qu'à la fin on se tape une insolation de compétition car nos peaux d'Anglais ne résistent pas à plus de dix minutes d'ensoleillement consécutives. C'est pour ça qu'on met des chapeaux en ours. Tout le monde pense que Lilibet met des chapeaux bariolés pour qu'on la voit de loin, mais pas du tout. C'est juste qu'elle est allergique à l'ours. Mon fils Charles, lui, cette espèce de mauviette de végétarien et d'amoureux des animaux qu'il est, fait pareil, mais avec ses oreilles. Plus ingénieux, mon cadet Andrew, lui, utilise les casseroles qui lui pendent aux fesses. Tout le monde nous a traités de racistes y a pas si longtemps quand on s'interrogeait sur la couleur de peau des enfants de mon petit-fils Harry, mais nous on causait juste écran total et indice de protection UV. A bloody malentendu cette histoire. Et qui, ironie british oblige, finit par l'exil d'un roux sous le soleil californien. Oopsy.

Jeudi 15 avril

Alors oui, je suis mort, mais exactement de la même façon que celle dont j'ai vécu. Peut-être parce que jusqu'au bout, j'ai eu envie de bien montrer que j'étais un membre de la famille royale, et par seulement une inspiration pour une série Netflix. Je suis mort, oui, mais dans un château, pas un hosto, et même pas du Covid, comme pourtant 100.000 Français à ce jour, et 4.000 Brésiliens toutes les 24 heures. On ne sait même pas de quoi je suis mort, et probablement qu'à mon âge on s'en don't care very much, mais je suis mort comme un king. Pas Elvis, hein, lui est mort sur ses toilettes, alors que moi je suis mort sur mon trône, ou presque, puisque j'étais avec ma petite reine. Ça me fait bizarre de la savoir toute seule désormais, mais surtout d'imaginer qu'elle va porter du noir pendant quelques temps, elle qui a toujours été un si joli arc-en-ciel dans une vilaine météo anglaise. Mais ce qui me rassure, c'est qu'elle pourra aller boire une ou deux ou douze petites pintes, à la terrasse d'un des pubs qui viennent de rouvrir. God save and ressert un verre à the Queen.

Vendredi 16 avril

Demain c'est le grand jour, celui du dernier voyage comme on dit quand on est un peu frustré de ne pas avoir fait de réservation sur booking.com depuis plus d'un an. Bon le dernier voyage, je vous avoue que moi c'est surtout le trajet qui me stimule, et pour cause: mon cercueil sera transporté à bord d'une Range Rover que j'ai moi-même, année après année, transformée en corbillard. Quand l'humour anglais et le tuning se rencontrent, ça fait des étincelles, isn't it? Moi qui, finalement, pendant presque toute ma vie aura été celui qui accompagne, qui tient la chandelle, qui gâche un peu la photo, voilà qu'enfin tous les regards seront tournés vers moi, juste une fois. Mais je vous avoue que ce qui me rend triste, ce n'est pas de rater ça, c'est surtout, pour une fois, de laisser ma Lilibet marcher trois pas derrière moi. Mais comme elle le dirait si bien, assise dans son petit tailleur cousu dans un tissu d'une couleur à guérir un daltonien: «We'll meet again.» Et le plus tard sera le mieux.

Le mari de la Reine est mort, vive la Reine.

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