Chaque samedi, Louison se met dans la peau d'une personnalité qui a fait l'actu et imagine son journal de bord.
Lundi 2 mars
Je me réveille avec l'impression d'avoir eu un très, très, très long week-end. Février avait vingt-neuf jours cette année, mais la soirée du 28 a semblé durer des semaines.
De ma fenêtre, le temps est assez maussade, je le comprends.
Je jette un coup d'œil à mon téléphone: 257 messages. 257 contacts m'ont envoyé la tribune de Virginie Despentes dans la version en ligne du journal Libération.
Je clique. Je lis.
En titre, ces mots: «Désormais, on se lève et on se barre».
En dessous, une photo où l'on me voit quitter la salle Pleyel dans ma robe à paillettes bleues.
Il faut d'ailleurs que je pense à la mettre au pressing. Depuis vendredi, elle a comme une odeur de vieux monde incrustée.
Ma main gauche parle pour moi. En trois doigts levés, elle dit tout de ma colère.
«Désormais, on se lève et on se barre.»
C'est de mon lit dont je me lève, pour commencer.
Plutôt que de me nourrir dès le matin des commentaires haineux sur internet qui se reproduisent plus vite qu'un virus de ragoût de chauve-souris, je file sous la douche. J'écoute Angèle en boucle. «Balance ton quoi». Je pense, en lavant mes cheveux, que la chanson aurait pu s'appeler «Balance, pourquoi?».
Pourquoi prendre la parole pour la libérer, pourquoi défier la peur et les conséquences si tout ça finalement ne sert qu'à se prendre des gifles symboliques en robe de soirée?
Je passe à la chanson suivante, où la jeune Belge se demande «C'est oui ou bien c'est non?».
Désormais, c'est non. Toujours non.
On se lève. On se barre.
À LIRE AUSSI Virginie Despentes et la saleté des riches
Mardi 3 mars
Nouveau matin.
Mon téléphone est encore plein de notifications.
Il me vient à rêver que l'Académie des César a changé d'avis, que c'était seulement un canular un peu raté, une fake news en smoking, et que la vraie cérémonie aura lieu dans les prochains jours.
Il n'en est rien, ce monde reste un monde de brutes.
C'est déjà à un tout autre sujet que les Français sont passés. En quelques heures, on ne se pose plus la question de savoir s'il faut séparer l'homme de l'artiste ou bien l'œuvre du délai de prescription. La seule chose qui anime le débat, c'est le prix des solutions hydroalcooliques devenues désormais aussi rares qu'une femme réalisatrice nommée à Cannes.
Tout un système est malade, mais on se concentre seulement sur la goutte au nez de son voisin de strapontin et sur l'inquiétude de voir surgir une pénurie de coquillettes.
J'apprends que des événements sont annulés les uns après les autres.
Plus de salon du livre à Paris.
Plus de Biennale à Venise.
Plus de musée du Louvre.
À une semaine près, ce virus aurait pu nous rendre un grand service.
Mais il faut croire que même les virus ne sont pas très féministes.
Mercredi 4 mars
Décalage horaire oblige, je me réveille un mercredi avec la tête dans le super mardi. Enfin, le Super Tuesday comme on dit.
En tête, ô surprise énorme, deux hommes, un peu vieux, un peu blancs, un peu là depuis longtemps.
Je me souviens quand, au début de cette primaire démocrate, on saluait la présence dans la liste des prétendants, de trois prétendantes. Je me souviens aussi qu'on a vite moqué l'orthographe du nom de l'une et la pugnacité d'une autre, quand on louait la même énergie chez un candidat du nom de Bernie.
Et puis je me suis surtout souvenue de la campagne de 2016 et du sort réservé à celle qu'on a trop longtemps appelée «la femme de Bill Clinton».
Bref, peu d'espoir à l'horizon.
Et ce Tuesday qui n'a de super que le nom me le confirme: les femmes ont disparu aussi vite qu'une boule de glace vanille sous le soleil des Antilles.
Il paraît que ça s'appelle un ralliement.
Moi je trouve que ça ressemble plutôt à trois pas en arrière pour un pas en avant.
Jeudi 5 mars
Ce matin, en écoutant la radio, je me dis que les mathématiques ne sont pas une discipline très logique.
Sur toutes les stations, on annonce, la voix grave, que le nombre de victimes du coronavirus est en train de grimper.
Tout est relatif puisque le bilan peut encore se compter sur les doigts, même s'il vous en manque un ou deux.
À l'inverse, un chiffre, lui, grimpe dans son coin, sans trop attirer l'attention.
Depuis le 1er janvier, déjà seize femmes sont mortes sous les coups d'un conjoint, d'un ex-conjoint, d'un homme, quoi.
Et ça, aucun masque acheté en pharmacie ou en magasin de bricolage ne peut les en protéger.
Vendredi 6 mars
Le week-end arrive, il sera chargé.
Chargé en promotions sur des parfums, des fleurs, des protections hygiéniques pleines de chlore, chargé en promotions sur des boucles d'oreilles, des dessous affriolants qui grattent la raie des fesses, des ombres à paupières pour agrandir le regard ou des paires de hauts talons pour atrophier sa motricité.
Mieux que les soldes, ce week-end, on fera des affaires et encore une fois, beaucoup de gens feront ceux qui n'ont pas compris et nous souhaiterons une «bonne journée de la femme».
Après tout, il y a bien la journée du câlin, celle des chats et des chiens, ou encore même, j'imagine, la journée du poney. Il y a 365 jours par an, 366 même en 2020, ça mérite bien une journée rien que pour nous mesdames.
Et comme chaque année, nous lèverons les yeux au ciel, à en frôler la migraine ophtalmique.
Et comme tous les ans, nous irons dans la rue, pour dire que nous ne voulons pas 25% de réduction sur un démaquillant ou un anti-rides, mais simplement un monde à 50%.
Partager le pouvoir à 50%.
Partager les décisions à 50%.
Partager un même salaire.
Partager une même sérénité dans la rue.
Partager un même congé quand vient un enfant.
Partager la charge mentale.
Partager les emmerdes aussi, parce que ça, pour le coup, on en a un peu trop.