Chaque samedi, Louison se met dans la peau d'une personnalité qui a fait l'actu et imagine son journal de bord.
Lundi 27 avril
Le signe astrologique de cette année 2020, c'est le rat. Pourtant ce matin, je me sens beaucoup plus chat. Et même chat de Schrödinger, pour être précis. Je suis à la fois vivant et mort, bien portant et au bout du rouleau, de l'histoire ancienne et de la brève à venir.
De manière un peu simpliste à mon goût, on estime que si l'on ne me voit pas en ce moment, c'est que je suis mort. Du coup, ça voudrait dire que Donald Trump, qui passe à la télévision chaque jour pour ses conférences de presse sur le Covid-19, va vivre jusqu'à 426 ans?
Toutes les rumeurs circulent sur moi. Certains pensent même que j'ai écouté les conseils de mon homologue américain et que je me suis injecté de l'Ajax vitres senteur pin des landes directement dans la jugulaire.
Pas trop mon genre de suivre les recommandations d'un type qui fait rien qu'à vouloir m'empêcher de tirer des missiles nucléaires au gré du vent et de mes envies. Et j'ai bien fait, parce qu'apparemment, il faisait une blagounette en proposant cette solution. Faut croire que la subtilité humoristique de la chose s'est lost in translation.
Mardi 28 avril
En trempant –ou pas– mes tartines ce matin, j'écoutais –ou pas– les nouvelles. Les spéculations vont bon train, chacun y va de son analyse, de son intuition.
Tous les regards sont portés vers un même homme, un vrai leader, un vrai modèle pour moi. À lui tout seul ou presque, il peut et il va décider de l'avenir de l'humanité –ou en tout cas de celui des Français·es. Comme quoi, j'ai tout à apprendre d'Édouard Philippe.
Moi qui pensais qu'il me fallait la plus puissante armée disciplinée, les plus beaux palais et les plus belles photos de propagande, en fait, j'avais tort. La vraie arme, la seule qui vaut un truc en temps de guerre virale, c'est un calendrier des vacances scolaires et un découpage en départements soit en rouge, soit en vert.
Pas besoin de plus pour tenir sous la plus grande autorité presque tout un peuple –à l'exception les gens qui dansent sur du Dalida dès qu'il fait plus de 18°C, mais ici en Corée du Nord, on n'en a pas beaucoup des comme ça.
Mercredi 29 avril
On pourra dire ce que l'on veut sur le régime nord-coréen, moi je pense qu'on est surtout des précurseurs, des gens en avance sur notre temps, peut-être même sur notre siècle.
La communauté internationale passe son temps à dire que nous sommes une dictature rétrograde, que le quotidien dans notre contrée est une lutte sans merci pour survivre, que les libertés sont bafouées, que patati que patata… Toujours est-il qu'il n'a pas fallu une semaine pour envisager de mettre une femme à mon poste.
Ok, c'est ma sœur. Ok, on peut considérer un léger piston. Mais tout de même, on ne saura nous reprocher de ne pas avoir pris le grand virage du féminisme et d'être au plus près de la lutte pour l'égalité.
Alors oui ça reste en famille, oui tout le monde s'appelle Kim, et oui tout le monde a le même air patibulaire. Mais franchement, est-ce mieux qu'une famille de Kim, de Kylie, de Khloé et autres Kris, où tout le monde a le même chirurgien esthétique? Surtout quand on sait que le coronavirus peut survivre plusieurs jours sur du plastique. C'est peut-être ça, la nouvelle guerre froide.
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Jeudi 30 avril
Si j'en crois les infos du jour, j'ai récemment pris un train et un yacht pour aller me confiner loin de Pyongyang. Les raisons avancées pour ce déplacement sont multiples: ce serait parce qu'un des mes gardes du corps ne tousse pas dans son coude ou parce que je ne me remets pas de savoir que Manuel Valls n'est toujours pas rentré au gouvernement.
D'ici quelques heures, on devrait également me prêter des déplacements en trottinette électrique et des commandes à récupérer directement chez O'Tacos via l'appli Uber Eats.
On sent que les gens n'ont pas vraiment eu de chasses aux œufs cette année, et que la perspective de me trouver sous un caillou au fond du jardin les anime.
On est passé de trouver Charlie et sa marinière rouge et blanche qu'il promène dans des foules sans gestes barrières à essayer de me localiser via des satellites –ce qui, je pense, est un peu de la triche. Ils ne sont pas près pas de me trouver.
Dès demain, je binge-watche sur Netflix tous les classiques de Chaplin qui seront mis en ligne. Les Temps modernes, Le Cirque, les Lumières de la ville, ils y sont presque tous, même Le Dictateur. Mais celui là, je l'avais déjà en Blu-ray.
Vendredi 1er mai
D'ailleurs, on peut être un peu dictateur sur les bords et pour autant garder une propension au bucolique. Aujourd'hui c'est le 1er mai, et je m'en réjouis en premier lieu, car l'odeur du muguet a sur moi le même effet que chasser l'ours à mains nues a sur Vladimir Poutine.
Ces petites clochettes blanches, ce parfum si frais, ces petits brins enroulés dans du plastique un peu moche, ça me bouleverse.
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Il faut me comprendre aussi, dans un pays comme le mien, l'idée qu'il puisse y avoir en France un jour où l'on célèbre le travail en ne travaillant pas, ça stimule forcément pas mal l'imagination.
D'ailleurs, cette année, le 1er mai est encore un peu plus absurde et donc délicieux à mes yeux: la fête du télétravail, c'est vraiment une belle invention venant de la start-up nation.
Quoi qu'il en soit, nous sommes à dix jours maintenant de la réouverture des commerces non essentiels, dont faisaient partie, hélas, les salons de coiffure. Alors que certains se précipitent dans les laboratoires depuis lundi pour faire des tests sérologiques Covid, moi, mon rendez-vous shampooing/coupe/séchage chez Jean-Louis David est pris depuis hier.
Il me tarde. Entre mon presque mulet d'un défenseur stéphanois de 1985 et mes racines façon Agnès Varda, pas étonnant que j'ai disparu de la circulation.