Chaque samedi, Louison se met dans la peau d'une personnalité qui a fait l'actu et imagine son journal de bord. [Note de l'autrice: cette chronique est à lire intégralement avec un accent chantant.]
Lundi 13 juillet
Ce lundi, je le sentais aussi long qu'un mètre d'andouille sur l'étal d'un marché à Vire, un jour où il pleut à verse. C'était mon premier lundi complet de Premier ministre, et comme s'il fallait le marquer d'une pierre blanche comme la neige en janvier sur les hauteurs du Jura, me voilà envoyé dans nos territoires d'outre-mer, pour parler santé publique.
Autant le «monsieur déconfinement» que je suis est plutôt calé au niveau des consignes sur le Covid-19, autant l'ancien élève survolant son CP est un peu à la traîne quand il faut aborder la géographie. Ou alors c'est le décalage horaire qui m'a joué un tour, moi qui suis plus habitué à faire deux heures de TER plutôt que huit heures d'avion. Toujours est-il que j'ai un peu pris des vessies pour des lanternes et la Guyane pour Oléron. Comme quoi, ce n'est pas parce que c'est loin, que c'est forcément sur une île.
J'aurais peut-être dû plutôt rester en métropole pour superviser la signature des accords du Ségur de la santé. Au moins, là, je ne risquais pas de faire une boulette, sauf bien sûr si j'avais voulu pourrir l'ambiance, en abordant les cas de reconfinement chez nos voisins espagnols.
Mardi 14 juillet
Je dois avouer que l'idée d'être devenu Premier ministre des territoires de la France, juste à temps pour assister au défilé du 14 juillet, me fait plus frétiller qu'une poignée d'écrevisses jetées vivantes dans une poêle bien beurrée. Certes, cette année, le folklore est un peu en demi-teinte par rapport aux autres fois, épidémie oblige, mais tout de même un défilé militaire, c'est autre chose qu'une braderie en plein air. Ça tombe bien d'ailleurs, car celle de Lille à la fin de l'été est officiellement annulée. Je le regrette, évidemment, j'aurais adoré y déambuler un peu à la manière d'un président dans le jardin des Tuileries, débusquant au flair la bonne affaire et la négociant comme je l'aurais fait avec des partenaires sociaux. Ou mieux, en regardant le vendeur les yeux dans les yeux, et en discutant d'homme à homme, permettant ainsi, à force de mots, de baisser le prix de la breloque aussi vite qu'a disparu l'idée de faire des violences faites aux femmes, la grande cause du quinquennat.
En attendant, j'espère que mon nouveau bureau a une fenêtre qui donne sur la tour Eiffel pour assister au feu d'artifice. Je me demande s'il sera aussi bien que celui que j'ai vu l'an dernier sur l'esplanade du parking municipal à Prades.
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Mercredi 15 juillet
C'est quand même ballot quand on y pense: après cinquante-cinq ans passés dans un anonymat assez affirmé, et après seulement une dizaine de jours à voir ma bouille en une des journaux, voici qu'il va falloir à nouveau la dissimuler, sous quelques centimètres de tissus homologués ou de papier répondant aux normes européennes, et ce, dès le 1er août dans tous les espaces publics clos. Je ne peux pas dire que je sois surpris par cette décision, puisque c'est moi-même qui l'ai annoncée, dans un espace public clos d'ailleurs, mais sans masque.
Pour mon premier discours de politique générale à l'Assemblée nationale, j'ai voulu tracer mon cap, comme le capitaine d'un bateau de plaisance, le long du canal du midi, à l'ombre des platanes centenaires. Mon objectif: les territoires. Le moyen d'y arriver: les territoires aussi. Mon point de départ, je vous le donne en mille: ce sont les territoires. Il paraît que Donald Trump vient de remplacer son directeur de campagne. Je ne saurais que trop lui conseiller d'opter plutôt pour un directeur des territoires.
Jeudi 16 juillet
Il aura fallu attendre 2020, mais j'en aurais vu et entendu des choses incroyables. Par exemple, je lisais dans la presse du matin que cette année, le pèlerinage de Lourdes se ferait par internet, enfin quelque chose dans le digital quoi. Je n'ai pas tout compris. Moi qui viens tout juste de faire installer la fibre, je me dis que c'est un bon présage, et qu'on ne va pas postillonner sur un miracle en ce moment.
En parlant de phénomène extraordinaire, j'ai également assisté à une séance de rire collectif au cœur de l'hémicycle du Sénat. Moi qui pensais, surtout après la pause déjeuner, qu'il serait impossible de marquer les esprits, ou même de les maintenir éveillés, c'était sans compter sur mon arme secrète: parler de vélo électrique à des gens qui ne se déplacent qu'en voiture de fonction. Effet garanti, mais pour le miracle de la révolution des esprits, on verra ça plus tard. Pourtant, mon chef l'a bien expliqué: on peut être une grande nation industrielle grâce à l'écologie. Et on peut être un grand ami des animaux, en les aimant à point avec des patates à l'ail.
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Vendredi 17 juillet
Quand j'ai vu s'afficher le mot «zizi» sur mon téléphone tout à l'heure, j'avoue que j'ai eu un peu peur de devoir remanier mon gouvernement. Mais il n'en est rien, c'est en fait une annonce bien plus funeste. La grande Zizi Jeanmaire, danseuse et chanteuse, s'est envolée comme un faisan cendré dans les marais à l'heure où blanchit la campagne et le reste des territoires. Je dois avouer que j'ai toujours été plus Zizi que Jay-Z, aussi, en ce vendredi matin, je suis chagrin.
Mais pas le temps de ressortir mes 33 tours, il est déjà l'heure de se remettre au travail. Enfin, façon de parler, car à l'ordre du jour, il faut mettre en pause la réforme des retraites. La pause de la pause en somme. Je sais bien que la gastronomie de nos territoires est un trésor, mais cette réforme commence à ressembler à un cassoulet raté, voire à une daube trop cuite, pour ne pas dire carrément à une capilotade.
Tout ça m'ouvre un peu l'appétit, on ne se refait pas. Heureusement, dès demain, je pourrais aller faire un peu de vélo pour éliminer tout ça: Paris Plages commence et malgré le nouveau mandat de l'ancienne maire, la révolution ne sera pas pour cet été. Sous les pavés, les masques.