Chaque samedi, Louison se met dans la peau d'une personnalité qui a fait l'actu et imagine son journal de bord.
Lundi 4 mai
Je ne sais pas pourquoi on dit «dormir comme un bébé». Personnellement, j'ai été réveillé au moins trois fois cette nuit: un coup par une prémolaire qui poussait en haut à gauche, un coup par ma mère en train de regarder des vidéos d'éléphants à fond les ballons dans la pièce à côté, parce qu'apparemment, c'est son métier maintenant de commenter la vie des pachydermes, et enfin par mon père, venu se réfugier dans ma nursery pour écouter en douce «God Save the Queen» sur son iPhone, la larmiche au coin de l'œil.
Je vais avoir 1 an après-demain, et même si je n'ai pas une grande expérience, j'ai quand même l'impression d'être tombé dans un monde de fous. En moins de douze mois, j'en suis déjà à mon troisième déménagement et mon troisième pays habité.
D'ailleurs, en passant du Royaume-Uni aux États-Unis, je peux vous dire que j'ai vu comme une différence. Si notre reine, ma grand-mémé, porte toujours un chapeau ridicule, le président ici ne porte jamais de masque. Ça doit aussi être une tradition. Que la Force soit avec nous.
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Mardi 5 mai
L'avantage d'avoir presque 1 an et quelques dents, c'est que j'échappe à deux choses: l'école en temps de pandémie et la visite du président Macron dans une école en temps de pandémie.
J'ai vu quelques images sur l'iPad qui traînait dans le salon, et ça fout plus les jetons que les scènes d'enterrements collectifs au Brésil, où des bulldozers creusent des tranchées pour y aligner les cercueils. Faudrait peut-être que mes parents mettent un code sur l'iPad.
En tout cas, monsieur Macron, il connaît peut-être par cœur Paul Ricoeur, il n'a pas encore compris que le masque, ça ne s'attrape pas avec les doigts pour faire coucou à la caméra et aux petits z'enfants.
Quoiqu'il en soit, je suis bien content de venir du même pays que Mary Poppins, surtout quand je vois Jean-Michel Blanquer derrière un masque de Dark Vador demander à un élève de CM2 ce qu'il aime bien lire en ce moment. La réponse n'est jamais venue. Le silence a semblé durer plus longtemps que la crise sanitaire elle-même. Encore un qui n'aura pas profité du confinement pour relire tout Proust.
Mercredi 6 mai
Aujourd'hui j'ai 1 an, c'est officiel. Je n'ai même pas eu besoin de regarder sur le calendrier corgis planqué dans la table de nuit de mon père pour le savoir. Ma mère était tellement surexcitée –elle ne lâchait pas son téléphone d'un pouce et cherchait dans toute la maison le meilleur éclairage– que j'ai senti venir le truc: c'était l'heure de prendre une photo pour mettre sur Instagram, comme le font mes cousins.
Pour le programme de cette journée, j'avais plutôt prévu de m'appuyer sur une table basse pour parcourir 28 cm en deux heures (mon activité préférée en ce moment), puis de dessiner avec ma bave sur le coffret DVD collector de l'intégrale de Suits que ma mère garde dans le salon pour une raison obscure.
Je n'ai fait ni l'un ni l'autre, et je me suis retrouvé ni une ni deux sur les genoux de ma génitrice. Son intention ne laissait planer aucun doute: elle comptait me lire une histoire, alors que c'était pas du tout l'heure de lire une histoire, devant mon père tenant le téléphone lui servant à capter la scène, comme aux heures les plus sombres du caméscope familial.
S'en sont suivies trois longues minutes où elle a absolument tenu à me raconter une histoire passionnante comme une assiette de porridge. Un truc de lapin et de canard, alors que tout le monde sait qu'aujourd'hui, l'actualité est plutôt au fromage et au jambon.
Jeudi 7 mai
Quand je songe à cette pauvre Lilibet qui attendait une photo de moi pour mon premier anniversaire... Je l'imaginais, prête à l'afficher sur l'un des douze frigos de Buckingham Palace. La déception a du être totale. J'espère qu'ils en feront un épisode dans la dernière saison de The Crown, ça consolera ceux qui n'ont pas aimé la fin du Bureau des légendes.
Je pense aussi à tous ces vendeurs de mugs et de porte-clés qui voyait la date du 6 mai comme la lueur au bout du tunnel –une sorte de super Lune dans l'obscurité de cette crise mondiale.
Alors que les gens en sont à faire leur pain eux-mêmes, c'était un coup à relancer l'économie en moins de temps qu'il ne faut pour dire «Brexit». Mais une fois de plus, 2020, implacable, aura frappé fort en n'épargnant personne.
C'est comme le peuple français, à qui l'on doit aujourd'hui dire si lundi prochain sera le 11 mai, soit le début d'un déconfinement, ou bien le lundi 72 mars, énième jour de cette crise sanitaire.
Vendredi 8 mai
Il fut un temps où les guerres, c'était comme dans les films. Ça durait longtemps, on avait de la boue sur le pantalon et du pain sec au petit déj'. C'était presque mission impossible pour s'organiser des vacances, d'abord parce que booking.com n'existait pas, et puis aussi à cause des bombardements. On était un peu tenté de collaborer avec l'ennemi et, pire, personne n'éternuait dans son coude.
Désormais, tout ça a changé. La guerre est psychologique, par exemple quand on se retrouve en face à face avec le service client d'une compagnie aérienne. Elle est aussi mathématique: on se demande combien de nos doudous dégueulasses on peut faire rentrer dans une seule salle de classe.
Elle est enfin symbolique: ce ne sont plus les GI américains qui libèrent Paris, mais les vélos de chez Decathlon, par milliers, qui vont faire le boulot. Les pistes cyclables sont déjà tracées, les gilets jaunes ont repris leur fonction première: à Paris en vélo, on se dit qu'on revoterait peut-être pour Hidalgo.
Quand je pense que je n'ai même pas eu de tricycle pour mon anniversaire. Juste un déguisement d'astronaute avec sa petite réserve d'oxygène. Je pourrais toujours m'en servir sur une plage cet été. Ou pas.