Société

«Pourquoi Ranucci ne nous a pas pris tous les deux?»

Temps de lecture : 8 min

[Épisode 4] Jean-Baptiste Rambla dit avoir fait à Cintia Lunimbu ce qu'il rêvait de faire à Gilles Perrault, l'auteur du livre jetant un doute sur la culpabilité de Christian Ranucci. Avant de réaliser qu'il a tué la jeune femme de 20 ans comme Ranucci, sa sœur de 8 ans.

Le public pénètre dans la salle d'audience du procès de Christian Ranucci pour le meurtre de Maria-Dolorès Rambla, le 10 mars 1976 à Aix-en-Provence. | AFP
Le public pénètre dans la salle d'audience du procès de Christian Ranucci pour le meurtre de Maria-Dolorès Rambla, le 10 mars 1976 à Aix-en-Provence. | AFP

Une dette n'avait jamais été acquittée. Si Jean-Baptiste Rambla avait presque payé pour le meurtre de Corinne Beidl commis en 2004, la société, elle, n'avait jamais remboursé le petit Jean.

En détention, Jean-Baptiste Rambla avait allumé sa télévision. Sur France 5, deux personnalités discutaient en plateau. Robert Badinter et Richard Berry, invité pour la promotion de sa pièce de théâtre, parlaient de l'abolition de la peine de mort. L'interview se terminait par ces mots: «Je crois que Ranucci était innocent.»

Devant la cour d'assises de la Haute-Garonne, Jean-Baptiste Rambla s'emporte: «Et ça, en 2020!» Le livre Le Pull-over rouge s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires. À bas bruit, sur les tables de chevet et dans l'intimité des maisons, l'idée de l'erreur judiciaire s'est répandue dans les esprits. L'opinion publique a cru Gilles Perrault alors que «y a pas une once de vérité dans ce livre». Jean-Baptiste Rambla assure: «L'erreur judiciaire, y en a pas.»

Dans sa robe rouge bordée d'hermine, l'avocat général toise Jean-Baptiste Rambla. Il lâche: «Mais qu'est-ce que vous voulez, monsieur Rambla? Qu'on interdise les films, qu'on brûle les livres, qu'on remette la censure?»

«Non, non. Qu'on rétablisse la vérité! La vérité de la justice. Donc oui, je demande réparation.»

Le président de la cour d'assises regarde un instant l'accusé. Il ne sait pas comment dire les choses autrement: «Si vous souhaitez empêcher les journalistes d'écrire ce qu'ils pensent, cela n'arrivera jamais.» Jean-Baptiste Rambla hoche la tête: «Faut jamais dire jamais.»

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L'enquêtrice de personnalité relate, au début de sa déposition, s'être rendue trois fois à la maison d'arrêt pour voir Jean-Baptiste Rambla. À chacune de ces visites, il n'arrivait pas «à se départir de l'affaire Ranucci tout au long de l'entretien». Une infirmière, née en 1982, raconte que Jean-Baptiste Rambla a été très surpris qu'elle ne connaisse pas l'affaire survenue en 1974, encore moins le livre de Gilles Perrault. Un expert psychiatre rapporte à son tour que durant l'entretien, Jean-Baptiste Rambla avait beau ponctuer son discours de «on ne va pas parler de l'affaire Ranucci toute la journée», il y revenait sans cesse. «Il n'en veut pas tant à Ranucci qu'aux acteurs médiatiques et judiciaires de l'affaire», explique une psychologue clinicienne qui a passé plus de trente heures avec lui, dans le cadre de son rapport d'expertise.

Face à la cour d'assises, Jean-Baptiste Rambla soutient ne pas être entendu. Au premier procès, pour le meurtre de Corinne, «tout a été mis à nu». Mais personne, affirme-t-il, n'a vraiment écouté.

Alors qu'on lui pose une question sur sa consommation de drogues et sa libération conditionnelle, Jean-Baptiste Rambla répète: les images de sa sœur à la télévision, le déferlement médiatique, les journalistes dans leur appartement de la cité Sainte-Agnès, les avocats assis dans le canapé du salon, ses parents noyés de chagrin qui ne parlent plus de Maria-Dolorès, même pas entre eux, et la diffusion de cette photo de son père, en larmes, juste après avoir dû reconnaître le corps de sa fille aînée retrouvée dans la champignonnière. À la cour d'assises de Toulouse et ailleurs, son malheur ne glisse pas hors du box des accusés tel le ressac, il est perpétuellement à la surface comme une nappe de pétrole impossible à nettoyer.

«Ça fait mal...»

Sur les faits, «il n'en dit rien», constatent les psychiatres. Comme à l'unisson, les experts concluent: «Il sait intellectuellement que c'est lui-même qui a les commis mais ne se sent pas vraiment coupable.»

Sur les bancs des parties civiles, Maria et Alberto Lunimbu s'enfoncent dans leur siège. Quand il s'avance vers la barre des témoins, le père de Cintia n'a qu'une question: «Pourquoi ma fille?» Il tourne les épaules vers Jean-Baptiste Rambla. L'accusé a les yeux rivés sur ses chaussures. Alors, Alberto Lunimbu demande: «Ma fille habitait au quatrième étage. Il est passé au premier étage, au deuxième étage, au troisième étage... Il n'a pas trouvé quelqu'un au premier étage? Qu'est-ce que ma fille a fait?»

Sur l'écran de la visioconférence, le docteur Zagury lève le nez de ses notes. L'expert psychiatre souligne: «Pour les familles de victimes, penser que ça n'a aucun sens, que c'est juste être là au mauvais endroit, au mauvais moment, c'est insupportable.» Il prend une inspiration, avant de lâcher: «Malheureusement dans cette affaire, je pense que ça aurait pu être quelqu'un d'autre.»

À la barre, Alberto Lunimbu décrit aux jurés le peu de réconfort qu'il a pu trouver dans la religion. Puis il baisse la tête et, retenant ses larmes, il murmure: «Ça fait mal...»

À ces mots, Maria Lunimbu se lève. N'y tenant plus, elle court vers le box des accusés, se jette sur la balustrade en fer forgé. Les mains au ciel, elle crie à l'attention de Jean-Baptiste Rambla: «Fais à moi monsieur! Ce que tu as fait à Cintia, fais-le à moi!» L'huissière d'audience tente de s'interposer. Les policiers font barrage. Tandis qu'ils l'extraient hors de la salle d'assises, la mère de Cintia éclate en sanglots: «Tu es qui monsieur? Tu es qui pour faire ça?»

«J'ai fait à Cintia ce que j'ai rêvé et fantasmé de faire à Gilles Perrault»

Aux psychologues rencontrés en prison et à qui il racontait l'affaire Christian Ranucci, Jean-Baptiste Rambla avait une seule question: «Pourquoi il m'a pas pris aussi?» Pourquoi Maria-Dolorès était morte, et pas lui? «C'est comme si sa vie commençait et finissait avec l'enlèvement», convient la psychologue clinicienne. «Il demande “Pourquoi Ranucci ne nous a pas pris tous les deux?” parce que pour lui, il aurait voulu que ça finisse là.»

Après avoir tué Cintia Lunimbu, Jean-Baptiste Rambla est rentré chez lui à pied, suant à grosses gouttes. Sous la douche, il a regardé ses mains et a pensé: «Qu'est-ce que tu as fait?» Il a changé son billet de train pour Marseille, avançant son séjour chez sa sœur Karine de quelques jours. Il fallait qu'il quitte la ville.

«Le premier piège, explique le docteur Zagury, c'est de lier la victime d'autrefois et l'auteur du crime d'aujourd'hui, comme s'il ne pouvait avoir d'autre destin.» Mais, ajoute l'expert, «le deuxième piège, c'est de les dissocier». En d'autres termes, Jean-Baptiste Rambla «apparaît comme l'enfant traumatisé qui a déplacé sa haine sur ses deux victimes sans aucun lien avec les faits passés». Corinne Beidl en 2004. Cintia Lunimbu en 2017.

En décembre 2020, face à la cour, Jean-Baptiste Rambla assure ne jamais avoir vu le visage de Cintia Lunimbu au moment du meurtre, mais celui de ses détracteurs. «J'ai tapé, tapé», se souvient-il. Un flash lui reste: la lame de son cutter. L'experte en hématopathologie, chargée de dater les plaies, a relevé que l'égorgement s'est produit trente minutes après le premier coup. Jean-Baptiste Rambla dit: «J'ai fait à Cintia ce que j'ai rêvé et fantasmé de faire à Gilles Perrault.»

«Je ne peux que comprendre la tristesse»

N'est-ce pas un peu facile de s'en prendre à une jeune femme de 20 ans, petite et menue, de la surprendre ainsi dans le confort de son lieu de vie, à l'heure du déjeuner, alors qu'elle n'a même aucune idée de qui il est ni ce qu'il cherche exactement?

Jean-Baptiste Rambla n'a pas de réponse. Il ne voit pas l'assonance entre l'histoire de son bourreau initial, Christian Ranucci, et la sienne.

Incarcéré à la prison des Baumettes lors de sa première peine, Jean-Baptiste Rambla a participé à un atelier audiovisuel. Il avait lieu dans la cour où a été guillotiné Christian Ranucci, trente ans auparavant.

N'était-il pas facile pour Christian Ranucci de poignarder une fillette de 8 ans, attirée hors de son quartier alors qu'elle s'apprêtait à remonter pour manger, de l'emmener dans un endroit inconnu à la recherche d'un chien noir qui n'a jamais existé?

Dans le box des accusés, Jean-Baptiste Rambla souffle: «Je m'excuse de faire le rapprochement...» Pour la première fois, il lève les yeux vers les parents de Cintia. «Je ne peux que comprendre la tristesse. Je présente mes excuses à la partie civile... Perdre un enfant dans des conditions comme ça, c'est horrible. On peut pas s'en remettre.»

«C'était d'une telle violence, ça ne pouvait pas être moi»

Au docteur Zagury, Rambla assure qu'il ne terminera pas sa peine. Quel intérêt? De l'espoir, pour lui, il n'y en a plus. Au suicide social succédera probablement son suicide physique.

À la fin de sa déposition, Alberto Lunimbu, le père de Cintia, frappe la barre des témoins avec le poing. Il serre les dents: «Dans mon pays, ce que tu as fait, c'est la mort.» Pourquoi avoir tué sa fille? Il y avait tant de trajectoires différentes avant d'atteindre le quatrième étage de l'immeuble place des Tiercerettes.

Jean-Baptiste Rambla raconte, mais ne s'explique pas: «C'était d'une telle violence, ça ne pouvait pas être moi.»

Plus tard, il avait enchéri, à propos de Maria-Dolorès: «Cette culpabilité qui me ronge, de l'avoir abandonnée... J'aurais préféré qu'il me prenne avec, plutôt que de vivre ma vie.» Face aux jurés, il s'était mis soudain à pleurer: «Qui ici a une photo de la tombe d'un être cher dans son téléphone? Moi j'ai une photo de la tombe de ma sœur, parce que quand je suis entré en prison, je pouvais plus me recueillir.»

Savait-il seulement que Maria Lunimbu, la mère de Cintia, gardait toujours dans son sac les photos de sa fille à la morgue?

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«Il a promis quelque chose qu'il ne pouvait pas faire»

À la fin du procès, un dernier expert psychiatre est entendu. Il a rencontré Jean-Baptiste Rambla en 2005, dans le cadre de l'audience pour le meurtre de Corinne Beidl aux assises des Bouches-du-Rhône. Il résume: «Jean-Baptiste Rambla est dans un état second. Pas au sens psychiatrique du terme. Au sens général du terme.»

L'avocate de la défense, Me Joly, ose alors une question: son client peut-il être enfermé psychiquement à l'âge de 6 ans? L'expert psychiatre réfléchit: «Il y avait chez lui, c'est vrai, une position victimaire. Il n'avait pas eu ce sursaut qui lui permette de grandir.» Le docteur note toutefois «une certaine complaisance dans cette installation», une forme de «malédiction». Et de convenir: «On l'a peut-être trop laissé baigner dans cette situation. Ses parents, les médias... Il aurait fallu l'emmener loin de tout ça.» Plus tôt dans les débats, le docteur Zagury admit: «Il ne peut parler que du petit frère de Maria-Dolorès, parce qu'il n'a jamais eu d'autre identité que celle-là.»

Aux dernières heures d'audience, Jean-Baptiste Rambla eut ces mots: «Depuis que je suis entré, la lumière s'est éteinte.» Dans le couloir des geôles du tribunal subsistaient les lumières des caméras. Une équipe de production suivait, avec son accord, l'intégralité de son procès dans le cadre d'une série documentaire.

Jean-Baptiste Rambla a été condamné par la cour d'assises de la Haute-Garonne à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de vingt-deux ans de sûreté, pour le meurtre de Cintia Lunimbu.

Aujourd'hui, à l'exception de ses avocats Me Joly et Me David, personne ne rend visite à Jean-Baptiste Rambla en prison. Lors de son entretien avec l'enquêtrice de personnalité, sa sœur Karine avait dit: «Il avait promis à mon père de se battre. Il a promis quelque chose qu'il ne pouvait pas faire.»

En 2006, le commandant de police judiciaire Gérard Bouladou a publié un livre démontrant les contre-vérités de Le Pull-over rouge de Gilles Perrault: Autopsie d'une imposture, l'affaire Ranucci.

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