Lors de son interpellation au centre E.Leclerc des Angles après quatre jours de cavale, Sergio Gil Gonzalez était encore alcoolisé. Les enquêteurs ont dû attendre avant de lui notifier ses droits. «Ce n'est que vers 19h que nous avons pu nous entretenir avec lui», raconte le commissaire divisionnaire de la police judiciaire, Jérémie Bosse-Platière.
«De temps en temps, un moment d'émotion remontait»
D'abord, Sergio Gil Gonzalez évoque un «accident». Sa fille Sarah et lui étaient partis sur l'île de la Barthelasse pour y jeter des cailloux. Ils s'y seraient déjà rendus par le passé pour pique-niquer. Les enquêteurs sont dubitatifs: «Ce n'est pas très bucolique, il y a des S.D.F....» Sergio Gil Gonzalez poursuit. Là, sur les berges, il aurait tourné les yeux un bref instant et, en se retournant, aurait vu Sarah dans l'eau. Il dit que c'est la première fois qu'il se rendait là-bas. Sa version est embrouillée: connaissait-il l'endroit pour y avoir pique-niqué ou était-ce la première fois? Sergio Gil Gonzalez parle de sa condamnation à venir, de sa détention qu'il aimerait faire en Espagne, et se demande comment Hélène, la mère de Sarah, «va réagir à tout ça».
Deuxième audition de garde à vue. Spontanément, Sergio Gil Gonzalez reconnaît avoir tué sa fille Sarah, 11 ans. Il relate un «moment incontrôlé». L'enquêteur Michaël Tomczak se souvient de l'émotion qui l'a traversé quand le père de Sarah le lui a raconté: ce samedi 18 juillet 2020, peu avant midi, il lui a attaché les mains et les pieds avec une corde à linge, il lui a fait croire que c'était un jeu, et Sarah n'a rien dit. Puis il l'a jetée à l'eau. L'enquêteur Jérémie Bosse-Platière note que durant la garde à vue, Sergio Gil Gonzalez était «très détaché»: «De temps en temps, un moment d'émotion remontait, mais plus lié à la fin de sa relation avec sa compagne qu'à la mort de sa fille.» Les enquêteurs demandent alors à Sergio Gil Gonzalez s'il a pensé à se suicider. Face à eux, l'homme hoche la tête. Oui, il y a pensé, reconnaît-il, mais il ne l'a pas fait parce qu'il n'a «pas de couilles».
Le lendemain de son placement en garde à vue, le jeudi 23 juillet 2020, le corps de la fillette est retrouvé à 300 mètres en aval de l'île de la Barthelasse, au point kilométrique 143 de l'île de Piot. Elle est immédiatement identifiée grâce à sa robe rouge. L'eau a emporté ses lunettes et ses sandales. Plusieurs journalistes sont présents en haut des berges. Le commissaire divisionnaire Jérémie Bosse-Platière attrape son téléphone: «Il y avait beaucoup de monde autour, j'avais peur que quelqu'un prenne une photo.» Il faut prévenir la mère de l'enfant. Il faut tout de suite prévenir Hélène. À la barre, il n'ébruite rien de la conversation. Il dit simplement: «Nous avons défait les liens et nous avons saisi les cordelettes.» L'autopsie conclura à un décès par noyade. Une information judiciaire est ouverte pour homicide volontaire sur mineur de moins de 15 ans.
Le président de la cour d'assises Roger Atara rappelle à Sergio Gil Gonzalez qu'il est question de préméditation. Dans le box des accusés, l'homme porte un grand chapelet autour du cou offert par l'aumônier de la prison des Baumettes. La croix serrée dans son poing, il secoue la tête. Il réfute avoir prémédité son geste, même «si on se base sur les faits, on pourrait dire que oui à un certain pourcentage». Alors, on lui demande de relater cette journée du 18 juillet 2020.
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«Je lui ai attaché les mains ainsi que les pieds»
«C'était un matin ensoleillé, calme», commence Sergio Gil Gonzalez.
«Ma fille était joviale. Elle regardait le paysage par la fenêtre du bus.» Sarah lui demande son téléphone portable pour écouter de la musique. En descendant du bus, elle ramasse des fleurs sur les arbres du chemin. «Nous cherchions un endroit pour jeter des pierres dans le fleuve», poursuit l'accusé. «Elle voulait que je fasse des ricochets. Je continuais à boire ma bière.» Sur les berges, il envoie des messages à Hélène. Elle lui répond de la laisser tranquille. Face à la cour, Sergio Gil Gonzalez explique: «Je lui ai demandé de m'héberger dans ce logement que j'avais aidé à trouver en glissant des papiers dans les boîtes aux lettres des immeubles.» Hélène refuse, pour la énième fois, et lui assure qu'il ne mettra pas un pied chez elle. Elle répète ce mot, «non», dix fois, par écrit. Sergio Gil Gonzalez tente de l'appeler. Elle ne décroche pas.
«J'ai pris ma fille, je lui ai dit: “Viens ici avec moi”, relate-t-il. Elle m'a regardé. Je lui ai attaché les mains ainsi que les pieds. Elle me regardait et je la regardais aussi. Je lui ai demandé de me faire un bisou.» Plus tôt, le médecin légiste exposait en vidéoconférence: «Les liens étaient très serrés, ça a dû être particulièrement douloureux pour elle.» Sergio Gil Gonzalez: «Je l'ai prise dans mes bras, je suis entré dans l'eau et je l'ai lâchée dans l'eau.» Les photos de la reconstitution, côte A11 et A13, montrent Sergio Gil Gonzalez portant le corps sous les aisselles pour l'emmener à plusieurs mètres du bord. «Au début, elle a coulé d'un bloc. Elle est remontée. Et moi je suis sorti de l'eau. J'ai vu ma fille me regarder dans les yeux. J'ai vu sa tête, lentement, couler.» À la psychologue rencontrée en détention, il ajoutera: «Trente secondes après, j'ai vu des bulles dans l'eau.»
Un silence s'abat sur la cour d'assises d'Avignon.
– Saviez-vous que votre fille ne savait pas nager? l'interroge l'avocat général.
– Oui.
«Sa fille est un prolongement de son épouse»
À la barre, Hélène lève les yeux vers la cour: «Je me pose la question aujourd'hui, de comment un père qui aime son enfant peut la regarder se noyer sans rien faire.» Dans le box, Sergio Gil Gonzalez baisse la tête et pleure en silence. Hélène poursuit, d'un trait: «Je ne comprends pas ce que je fais ici aujourd'hui. Pourquoi? Pourquoi il m'a fait souffrir autant, alors que j'étais pas méchante avec lui. J'ai essayé de l'aider. Je ne comprends pas pourquoi il s'en est pris à Sarah. J'espère qu'elle n'a pas trop souffert. Même si elle a dû comprendre ce qui allait lui arriver, parce qu'elle n'était pas bête, j'espère qu'elle n'a pas eu le temps de souffrir.» Enfin, Hélène souffle: «Je lui ai dit plusieurs fois que c'était le diable en personne et je ne m'étais pas trompée.»
Rafael, le père de Sergio, laisse tomber ses bras le long du corps. L'interprète traduit: «Je pense qu'il a fait plus de mal à la mère en la laissant en vie et ayant fait ce qu'il a fait, que s'il l'avait tuée.»
L'experte psychologue cite une phrase de Sergio Gil Gonzalez prononcée lors de leur entretien: «Parfois je pète un plomb, et je deviens dangereux.» L'avocat d'Hélène, Me Geiger, demande à l'accusé ce qui déclenchait ses violences physiques. Sergio Gil Gonzalez dit: «L'alcool et la jalousie. Je la trouvais jolie…», avant de se reprendre, face au banc des parties civiles: «Je la trouve très jolie. Je la trouve très jolie.» Il reconnaît la difficulté à «vivre avec quelqu'un qui vous fait peur en permanence» et parle d'«amour éternel».
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«Pour moi ce n'est pas de l'amour, c'est de l'obsession», argue Hélène. L'expert psychiatre préfère le terme de «fixation», et précise: «Sa fille est un prolongement de son épouse.» Il explique: «Ce n'est pas [Hélène]. Elle est interchangeable, ça pourrait être quelqu'un d'autre. C'est un objet qui lui sert, lui, à ne pas s'écrouler. Le meilleur moyen de rendre cet objet éternel est de le faire disparaître. Ça fige la situation.» L'expert psychiatre évoque trois facteurs dans le passage à l'acte: le facteur de terrain (l'impulsivité de Sergio Gil Gonzalez, son incapacité à prendre l'autre en compte), le facteur facilitant (l'alcool), et le facteur déclenchant –soit la confrontation avec la réalité de la rupture. L'ensemble aurait alors pris «la forme d'une vengeance».
Me Marc Geiger, l'avocat d'Hélène, demande si l'on peut parler, à l'instar de l'Espagne, de féminicide par procuration. Depuis le 1er janvier 2022, l'Espagne comptabilise en effet les violences vicariantes, c'est-à-dire les violences infligées à un autre –notamment un enfant– pour causer un préjudice à la femme dans les statistiques de féminicides. «Oui, ça va dans ce sens», confirme l'experte psychologue.
«Ce qui se passe chez monsieur Gil Gonzalez ne se passe pas sur les bords du Rhône, conclut le docteur psychiatre. Ça se passe avant les bords du Rhône.» En l'absence d'évolution psychique et de thérapie, expertes psychologue et psychiatre s'accordent à dire qu'il persiste un risque pour Hélène.
Le 29 mars 2023, après un délibéré qui aura duré deux heures, Sergio Gil Gonzalez a été condamné par la cour d'assises du Vaucluse à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de vingt-deux ans de sûreté, la préméditation étant retenue. Ses derniers mots ont été: «Je tiens la croix offerte par l'aumônier de la prison des Baumettes et l'élastique qui attachait les cheveux de ma fille en ce jour fatidique…» Il avait alors entonné la chanson gitane: «Santa Sara, Santa Sara, tu es la reine de toutes les gitanes.» Il a fait appel de la décision.