Société

Procès de Dominique Brunel: «Il s'est passé quelque chose, mais nous ne savons pas quoi»

Temps de lecture : 8 min

[Épisode 2] Au domicile de Jean-Marc Brunel, des objets disparaissent ou changent de place. L'enquête, initialement ouverte pour «disparition inquiétante», prend une tout autre ampleur après une découverte des gendarmes.

Au procès de Dominique Brunel. | Élise Costa
Au procès de Dominique Brunel. | Élise Costa

Cet article est le deuxième épisode de notre récit de l'affaire du meurtre de Jean-Marc Brunel.

Retrouvez l'intégralité de la série:

> Épisode 1 - Qui est à l'appareil?

> Épisode 2 - Le puits

> Épisode 3 - FBI et housses mortuaires

> Épisode 4 - L'œil de Caïn

Dans la nuit du 27 au 28 octobre 2015, les gendarmes de la brigade de Châteauneuf-du-Pape s'arrêtent devant le portail de la maison de Jean-Marc Brunel. Ils n'ont aucun moyen de rentrer: pas d'ordre du procureur de Carpentras, pas de mandat de recherche, pas d'autorisation de perquisition. Il est 23h15, les lumières sont éteintes. Ils observent la Golf grise garée sur la propriété. Ils repassent à 23h45, puis à 00h40. La voiture est toujours là.

À 2h18, la Golf grise de Jean-Marc Brunel est flashée sur l'autoroute A9, en direction de Béziers. Les photos ne permettent pas d'identifier le conducteur du véhicule. Mais à bord se trouve le badge télépéage de la société de Jean-Marc Brunel. Ce tracker permettra aux enquêteurs de savoir que la Golf a quitté l'autoroute à 3h40, à la sortie du Perthus, qui mène directement en Espagne.

Ni chat, ni chèque

Quatre ans plus tard, en mai 2019, une personne se présente à la barre de la cour d'assises du Vaucluse, à Avignon, cheveux gonflés par le mistral et voix portée par l'accent du Midi. Fadila, la femme de ménage, se souvient que «monsieur Brunel Jean-Marc» l'a appelée le 6 octobre 2015 pour lui dire de ne pas s'inquiéter, que son frère occupait la chambre d'amis pour quelques jours et qu'elle n'avait pas besoin de la toucher. «Je l'ai vu, je ne me suis pas inquiétée», se rappelle-t-elle. Jusqu'à la disparition du chat de monsieur Brunel.

Fadila ne le voit plus. Où a-t-il bien pu passer? Dans la maison, elle croise Dominique, le frère de son employeur, et lui pose la question. Il lui rétorque froidement: le chat a dû partir et se faire écraser. «J'ai pas paniqué, j'ai continué mon travail», dit-elle.

«J'ai pas paniqué. Mais j'ai commencé à avoir des doutes»

Fadila, la femme de ménage de Jean-Marc Brunel

La femme de ménage constate que des rideaux «qui ne se lavent pas ont été lavés». Ils ont rétréci. Elle s'aperçoit que le miroir ancien avec des dorures n'est plus là, cela la perturbe un peu car elle a l'habitude de se regarder dedans, qu'il en est de même pour le tapis du salon –disparu– et que les canapés ont été intervertis: «Le grand à la place du petit et le petit contre le mur.» Ça l'interpelle parce que Jean-Marc Brunel n'aime pas que l'on déplace le mobilier. Elle enlève les rideaux pour les repasser et à la lumière du jour, remarque des petites tâches brunâtres. Elle a toujours fait attention aux détails, parce que s'il manque quelque chose, «on peut toujours accuser la femme de ménage». Elle interroge Dominique: «Mais le tapis, la commode…?» Il lui répond que c'est comme ça, Jean-Marc se débarrasse de ses affaires. «J'ai pas paniqué, raconte-t-elle à la cour d'assises. Mais j'ai commencé à avoir des doutes.»

Fadila ne trouve pas son chèque de paie sur le bureau. Cela n'arrive jamais. Dominique Brunel est toujours derrière elle, «je sentais qu'il me surveillait». Elle se retourne, lui demande pourquoi Jean-Marc n'est pas là. Dominique lève un sourcil: «Si vous voulez, je vous donne 20 euros.» «J'ai dit non», indique Fadila à la barre.

La voix du frère

Le mardi 27 octobre, en rangeant le bureau de «monsieur Brunel Jean-Marc», elle voit quelque chose de plus étrange encore. Ses cartes bancaires. «Là, j'ai commencé à paniquer», se souvient-elle. Pourquoi serait-il parti sans argent? Fadila prend ses affaires et sort de la maison en courant. C'est à ce moment-là qu'elle appelle Michel et Irène Brunel, les parents des deux frères, qu'elle leur explique tout: le miroir ancien, les canapés qui changent de place et les cartes bleues sur le bureau. Face au jury, elle confie: «J'ai senti que Madame Brunel se vidait.»

Le 28 octobre au matin, les gendarmes frappent à la porte de Jean-Marc Brunel. Personne. La Golf grise n'est plus là. Ils sonnent chez les voisins, mais personne n'a rien vu, ni entendu. Jean-Marc Brunel est quelqu'un de discret, les gens le voient rarement sur le chemin. Ils ne pensent pas avoir jamais croisé Dominique, son frère aîné. Mais ils vont garder un œil, c'est sûr.

Alors les gendarmes contactent les opérateurs téléphoniques –SFR, Bouygues, Free Mobile et tout le toutim–, la police des frontières, les aéroports et les compagnies aériennes de France et de Navarre pour savoir à quelle date et à partir d'où Jean-Marc Brunel s'est envolé pour Odessa, en Ukraine, et si Dominique Brunel a embarqué sur un vol aujourd'hui, après avoir été flashé sur l'A9.

«La personne avait la même intonation, le même timbre de voix que Jean-Marc Brunel, et elle appelait depuis son téléphone portable…»

Le banquier de Jean-Marc Brunel

Au téléphone, leur père Michel Brunel prévient les enquêteurs: «Je doute même que Jean-Marc soit vraiment parti.» À l'heure où la politesse le permet, le vieux monsieur a passé un coup de fil au directeur de l'agence bancaire de Jean-Marc. Y avait-il eu des mouvements suspects sur les comptes de son fils? Le banquier lui avait répondu ne pouvoir accéder à sa requête, ce sont des données personnelles et confidentielles. Mais, vu son inquiétude, il pouvait au moins lui confirmer avoir été récemment en contact téléphonique avec son fils.

«Je vois Jean-Marc Brunel une à deux fois par an. Je connais sa voix», promet le banquier face à la cour d'assises du Vaucluse. Son client lui a demandé de clôturer ses comptes épargne –assurance-vie et PEL–, lui a laissé entendre être très malade («on m'a trouvé quelque chose»), et a lâché au détour de la conversation avoir mis sa maison en vente. Il souhaite que ses comptes épargne soient transférés immédiatement sur son compte courant. Le banquier explique la procédure qu'il avait alors décrite à son client: ce n'est pas si simple, il faut appeler un autre numéro, répondre à des questions mystères telle que la date de naissance et le nom de jeune fille de sa mère.

À la barre, le banquier ne se sent soudain pas bien. Tentant de garder le dos droit, il souffle d'une voix blanche: «Madame la présidente, est-ce que vous me permettez de m'asseoir?», puis se dirige à petits pas vers une chaise, la pupille fixe. Il enlève sa veste de costume, quelqu'un lui donne un verre d'eau, puis il reprend ses esprits.

«La personne s'est présentée comme Jean-Marc Brunel, expose-t-il à l'un des avocats. Elle avait la même intonation, le même timbre de voix, et elle appelait depuis son téléphone portable…»

Pendant que Fadila nettoie le sol «sale et poreux» que Dominique Brunel lui a demandé de récurer à fond, elle entend cette fameuse conversation téléphonique avec le banquier. Enfin, c'est ce qu'elle a compris en entendant le frère de son employeur parler comptes et valeur de la maison. Après avoir raccroché, elle l'a vu mesurer les pièces avec ses pieds et dire: «C'est petit.»

Une «giclée de sang humain»

À 12h30, le 28 octobre 2015, les gendarmes se voient confier la direction d'enquête par le bureau du procureur. Après avoir interrogé le voisinage, ils inscrivent les deux frères au fichier des personnes recherchées, font les réquisitions nécessaires pour obtenir le détail des comptes bancaires de Jean-Marc Brunel, puis auditionnent la femme de ménage. Fadila leur apprend autre chose: la cabane au fond du jardin est tout le temps ouverte et la moto à l'intérieur semble avoir elle aussi disparu. Le temps presse.

À 15h, les enquêteurs pénètrent dans le domicile de Jean-Marc Brunel. Perquisition. Ils demandent à Fadila et un voisin de venir avec eux, il faut des témoins. Dans un premier temps, ils ne découvrent rien de «susceptible de participer à la manifestation de la vérité». À 15h45, ils arrêtent tout: sur la tapisserie accrochée au mur du salon, ils ont remarqué une trace brunâtre et l'ont immédiatement analysée. Une «giclée de sang humain».

Initialement ouverte pour «disparition inquiétante», l'enquête se poursuit désormais pour «enlèvement et séquestration».

«Il s'est passé quelque chose, mais nous ne savons pas quoi, justifie l'enquêtrice Sandrine Serquera à la barre. Nous n'avons aucune idée d'où se trouve monsieur Brunel. Aussi bien Jean-Marc Brunel que Dominique Brunel.»

Peinture bleue, feu vert et sac noir

La perquisition reprend le lendemain, jeudi 29 octobre 2015. Les enfants de Dominique, Olivia* et Étienne*, sont entendus. Ils ont vu leur père le week-end précédent, tout semblait normal. Il leur avait dit repartir au Panama le jour de la Toussaint, le 1er novembre.

Un chien de la gendarmerie est envoyé sur la propriété de Jean-Marc Brunel. Il ne flaire rien de particulier. Les comptes bancaires du frère cadet, en revanche, montrent des mouvements de quelque milliers d'euros: des retraits, ainsi qu'un virement adressé à Valérie*, l'ex-femme de Dominique, dont il a divorcé il y a plus de dix ans.

Dans la maison, les enquêteurs saisissent une brosse à dents, pour l'ADN, un coffre-fort, dans lequel se trouvent une arme de poing, des cartouches et un chargeur de revolver, ainsi que l'ordinateur du bureau. Le disque dur n'est pas de suite exploitable: toutes les données ont été effacées. Au terme d'investigations techniques, les informaticiens parviennent à faire ressortir des consultations de sites d'escort-girls, des conversations Skype avec des femmes en Ukraine, et une réservation pour un voyage à Odessa.

La moto Yamaha est finalement retrouvée dans le garage d'un particulier: il l'a achetée deux semaines auparavant à un homme qui la vendait sur Le Bon Coin pour 11.000 euros.

Au fond d'une poubelle, les enquêteurs trouvent un gant noir. Au toucher, ils sentent du papier cartonné roulé à l'intérieur. Neuf étiquettes portant l'inscription en anglais du site BodyBagStore.com, un site de vente en ligne de housses mortuaires. Qui les achetées, et quand? Les gendarmes versent les étiquettes au dossier.

«Il nous a dit que des feuilles se mettaient dedans. Il nous restait du béton, on en a refait un peu»

Le maçon sur le terrain voisin

Tandis qu'ils fouillent la propriété de Jean-Marc Brunel avec l'équipe technique et scientifique, les enquêteurs entendent du bruit sur le terrain voisin. Des ouvriers s'activent sur un chantier. Un maçon regarde au loin. «Je me rappelle de la villa, de la vue sur Châteauneuf.» Il voit des gendarmes s'avancer vers lui. «Je me suis dit: peut-être que j'ai pris quelqu'un en stop…», se remémore-t-il à la barre à Avignon.

Les gendarmes l'interrogent. L'ouvrier n'a rien vu de particulier, il demande ce qu'il se passe. «Le voisin a disparu», l'informent les enquêteurs en montrant la maison de Jean-Marc Brunel. Alors le maçon leur raconte son 26 octobre. Un homme, qu'il a pensé être le propriétaire, est venu à sa rencontre sur le chantier. Il voulait qu'en échange de quelques billets, les ouvriers acceptent de couler du béton dans le puits. «Il nous a dit que des feuilles se mettaient dedans. Il nous restait du béton, on en a refait un peu», explique le maçon face à la cour d'assises. Avant d'ajouter: «Il paraissait décontracté.»

Le puits. Le seul endroit que les enquêteurs n'ont pu encore fouiller. Ils ont bien vu de la peinture bleue dessus, comme si un objet avait accroché le rebord, avec un cadenas qui le fermait. Mais ils attendaient le feu vert de la juge d'instruction.

Le 2 novembre 2015, une pelleteuse arrive sur les lieux. L'enquêtrice Sandrine Serquera note dans son rapport: «Au fond de la cavité apparaît un sac noir.» Les techniciens en identification criminelle descendent dans le puits pour aller le chercher. Une housse mortuaire.

À la lueur de lampes halogènes, les gendarmes l'ouvrent. À l'intérieur, une seconde housse, où repose le cadavre d'un «homme de forte corpulence avec un sac plastique noué autour de la tête et les mains attachées dans le dos à l'aide de quatre Serflex», des colliers de serrage.

Dans le mistral nocturne, le corps de Jean-Marc Brunel vient d'être retrouvé.

* Le prénom a été changé.

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