Santé

Confinement, jour 6

Temps de lecture : 4 min

En ce sixième jour, mais les suivants seront de même nature, nous avons cherché des coupables à la pandémie. Chance: il y en a plein.

Pour nombre d'entre nous, la préoccupation première est de remonter la chaîne des responsabilités, de trouver des coupables. | Adi Goldstein via Unsplash
Pour nombre d'entre nous, la préoccupation première est de remonter la chaîne des responsabilités, de trouver des coupables. | Adi Goldstein via Unsplash

«En Algérie, rapporte l'AFP, l'imam Chems Eddine Aldjazairi a affirmé sur Facebook avoir “peur que Dieu nous ait envoyé ce virus pour qu'on revienne à lui et quand il verra que nous avons fermé les mosquées, il nous enverra un autre virus plus virulent” encore.»

De son côté, Hani Ramadan estime que ce sont «les péchés des hommes qui ont provoqué la colère de Dieu. Se référant aux enseignements du prophète Mahomet, il explique que l'une des causes des maladies nouvelles, et aujourd'hui du coronavirus, “est le fait que les hommes se livrent ouvertement à la turpitude, comme la fornication et l'adultère, ce qui déclenche des maladies et des épidémies nouvelles”».

Les commerces sont fermés mais chacun vend sa soupe

Face à de telles niaiseries, nous rions ou nous indignons. Comment peut-on exprimer des pensées aussi stupides? Bien sûr, il s'agit d'abord de l'animation d'un fonds de commerce et les prêcheurs ont toujours été des vendeurs de peur.

Pourtant, à bien y regarder, ils ne sont guère différents aujourd'hui de celles et ceux qui accusent Emmanuel Macron, Agnès Buzyn , les Chinois, Nicolas Sarkozy, François Hollande, tous ces «connards qui nous gouvernent», les Parisiens, le bouffeur de pangolin ou l'amateur de pipistrelle, les patrons, les pauvres, les riches, les flux tendus et la mondialisation («Nous recevons une sorte d'ultimatum de la nature», dit sans rire Nicolas Hulot), Donald Trump, Amazon, les étrangers, les jeunes de Trappes, cette femme qui est sortie pour aller acheter des bouteilles de Coca-Cola, le sénateur Richard Burr, le gouvernement qui veut en douce rogner nos acquis sociaux, le lobby pharmaceutique, un laboratoire secret, votre voisin mal élevé, le marché de Belleville, ma voisine imprudente, et bientôt les Suisses, pas encore les migrants ou les SDF mais ça viendra.

Chacun vend sa soupe et c'est bien normal.

La France –enfin, les gouvernements qui s'y sont succédés– aurait mal préparé l'épidémie. Pas assez de masques, pas assez de gel. En 2010, dix siècles à l'échelle des réseaux sociaux, Roselyne Bachelot avait constitué un stock d'un milliard de masques. Que n'a-t-elle alors pas entendu! Gaspillage, mauvaise gestion, parano... Regardons-nous: qui, alors, n'a pas ri ou ne s'est pas indigné de ces stocks de masques considérés comme inutiles par presque tout le monde? Faut-il s'étonner que, les années suivantes, ce stock ait été drastiquement réduit? C'est le problème des gouvernements: ils écoutent (trop) l'électorat.

Irresponsables, nous cherchons des coupables

Depuis des semaines, nous regardons l'épidémie de loin, avec indifférence, ironie ou dédain. On s'est serré des mains et claqué des bises. Le confinement du métro, la foule des supermarchés, tout cela nous semblait bien anodin. Nous étions et sommes tous et toutes potentiellement malades, susceptibles de transmettre le Covid-19 à notre entourage. Mais, pour nombre d'entre nous, la préoccupation première est de remonter la chaîne des responsabilités, de trouver des coupables.

Comme les prêcheurs de tout poil, cette chaîne des responsabilités doit évidemment conduire à désigner les coupables que nous avons préalablement choisis, en fonction de nos présupposés idéologiques, de nos biais cognitifs. Pour ce faire, on n'hésitera pas un instant à se contredire. On refusait les masques hier, on en veut aujourd'hui. Les labos pharmaceutiques n'auraient-ils pas sciemment organisé la pénurie, d'ailleurs?

Notre besoin de coupables se mélange allègrement avec le désir, tout aussi irrationnel, d'une médecine miracle. On annonce un vaccin d'ici quelques mois. Une éternité. Les tests, peut-on parfois lire, sont réservés à «quelques élites», faciles d'accès pour les ministres mais interdits au «reste des Français», selon Thierry Mariani. Dans ce grand fourre-tout de la surinformation, l'ignorance règne: les complotistes voisinent avec les xénophobes, les opportunistes et les crédules.

Docteur Miracle, délivre-nous du mal

Je suis certain que la plupart des personnes qui réclament la mise immédiate en vente de la chloroquine n'en avaient jamais entendu parler il y a une semaine. Si un ponte de la médecine ou un gourou de l'instagramie disait qu'un verre de glyphosate par jour éloigne le Covid-19, les hangars agricoles seraient pillés le soir même. Quelques jours après, on accuserait le lobby pharmaceutique d'avoir volontairement limité la production de glyphosate pour nous faire crever. J'exagère à peine.

En attendant, touchez mes écrouelles, mon docteur: ce lundi 23 mars, «plusieurs centaines de personnes attendaient devant l'institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, dirigé par le professeur Didier Raoult, à Marseille» pour se faire dépister...

Il ne s'agit évidemment pas ici de contester les qualités et compétences du professeur Raoult. Encore que: il y a quelques semaines, il balayait d'un revers de main le risque de pandémie: «Si vous voulez, à chaque fois qu'il y a une maladie dans le monde, on se demande si en France on va avoir la même chose, ça devient complètement délirant! De pas s'occuper des maladies qui existent –on les identifie même pas, on s'en fiche– et on regarde ce qui se passe en Chine! C'est tellement dérisoire que ça en devient hallucinant!»

Mais force est de constater que, ayant trouvé un docteur Miracle, nombre d'entre nous prenons le risque de la file d'attente, acceptant la possibilité de contaminer ou de l'être, dans l'espoir d'une guérison immédiate –et personnelle. Notre collectif est bien faible. Notre capacité d'incrédulité, de refus de la science, est aussi forte que notre désir de croire et de s'en remettre au savoir d'une blouse blanche. Que l'on dénigrera demain avec véhémence s'il le faut.

Mais, disant cela, je fais comme tout le monde et je cherche des coupables. La vérité est que nous le sommes tous et toutes, mais un peu moins que nos voisin·es de palier et ces «connards qui nous gouvernent» à qui nous demanderons toujours plus et moins de masques en même temps.

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