Société

«Dis la vérité, Jonathann...»

Temps de lecture : 8 min

[Épisode 5] Après avoir accusé la famille Fouillot de participation au meurtre de sa femme Alexia, Jonathann Daval finit par avouer: il l'a commis seul. Mais ce n'est pas lui qui a brûlé le corps.

Reconstitution, le 17 juin 2019 au bois de la Vaivre (Haute-Saône), des actes de Jonathann Daval après qu'il a tué sa femme Alexia. | Sébastien Bozon / AFP
Reconstitution, le 17 juin 2019 au bois de la Vaivre (Haute-Saône), des actes de Jonathann Daval après qu'il a tué sa femme Alexia. | Sébastien Bozon / AFP

Vous lisez le cinquième épisode de notre série Alexia Fouillot, épouse Daval. Le quatrième est à retrouver ici.

Par un jeu de perspectives, le bureau du juge d'instruction paraît minuscule. Huit ou neuf personnes sont présentes: au fond, deux policiers debout; près de la caméra qui tourne, trois avocats assis tassés et le juge d'instruction derrière son ordinateur.

Au milieu de la pièce, Jonathann Daval et Isabelle Fouillot se serrent dans les bras, en pleurs. Ils défont leur étreinte. Jonathann relève la tête vers Isabelle et dans un sanglot, lui dit:

Je veux voir Jean-Pierre et...
– Tu veux les voir, là?

– Je veux les voir, je veux leur dire. Je dirai tout. Tout.
– Je te remercie d'être honnête. Merci. Tu vas pouvoir te reconstruire, maintenant.

Me Jean-Marc Florand, l'avocat d'Isabelle Fouillot, tend alors la main vers Jonathann Daval et la serre: «C'est bien. Vous vous êtes libéré.»

L'image se fige. Pause.

Le président de la cour d'assises de la Haute-Saône, Matthieu Husson, signale: «On est allé trop loin là, ce qui nous intéresse c'est ce qui s'est passé avant.» Il fait signe à la greffière. Elle clique sur le curseur de la vidéo. Retour rapide. L'image se rembobine.

Jonathann Daval a maintenu sa version dite du «complot macabre», comme la surnomment les enquêteurs. La famille d'Alexia Fouillot –son père Jean-Pierre, sa mère Isabelle, sa sœur Stéphanie et le mari de celle-ci, Grégory– est accusée par le suspect d'avoir participé au meurtre de sa femme. Ses déclarations sont floues. Rien, dans le dossier, ne permet de corroborer ses dires. Le soir des faits, à 23h47, des images de vidéosurveillance montrent Alexia et Jonathann seuls à bord de leur voiture les ramenant chez eux.

Il ne dit pas tout. Alors, quand sa belle-famille réclame une confrontation, le juge d'instruction accepte. Ils passeront, chacun leur tour, dans son bureau.

***

7 décembre 2018. Face au juge, Isabelle Fouillot est assise à gauche de son avocat Me Florand. De l'autre côté, Jonathann Daval est à la droite de son avocate Me Spatafora.

Le juge d'instruction lit à voix haute les propos de l'un et de l'autre, qu'il retranscrit en même temps sur son ordinateur: «J'ai protégé quelqu'un... et maintenant, je le dis.» Il pianote sur son clavier: «Je suis déçue d'avoir mis ma confiance dans ce garçon. Je me demande... comment... Alexia a pu tomber amoureuse de lui... On avait beaucoup d'espoir en eux... ils avaient fait un beau mariage...»

Jonathann Daval est enfoncé dans sa chaise. Ses bras ne font qu'un avec les accoudoirs, ses doigts en agrippent les extrémités. Son teint est pâle, son visage fermé, sa mâchoire contractée.

Les yeux rivés sur son écran, le juge d'instruction poursuit:

«On ne fait pas ça, virgule, il fallait appeler les gendarmes, virgule, les secours, virgule, je ne sais pas qui tu es Jonathann. Tu mens depuis des années.»

Jonathann Daval se crispe. Des couleurs vives montent le long de son cou jusqu'à ses pommettes. Il se mord les lèvres et lance des regards en direction d'Isabelle Fouillot. Elle ne le voit pas. Elle écoute le juge d'instruction, les petits bruits de clavier. Jonathann devient de plus en plus rouge. Un sanglot s'échappe soudain de sa gorge. Alors, Isabelle tourne son visage vers lui. Elle penche légèrement la tête et le prie, d'une voix douce: «Dis la vérité, Jonathann...»

«Par contre le feu, c'est pas moi. Je ne l'ai pas brûlée»

La bouche de Jonathann se déforme et des larmes roulent sur ses joues: «Je vous demande pardon. Pardonnez-moi.» Le bruit du clavier s'arrête. Dans le bureau du juge, plus personne ne bouge. Isabelle rebondit:

– Mais pourquoi tu veux qu'on te pardonne?
J'ai tout perdu.
– T'as pas tout perdu. Comment tu en es arrivé là? J'ai besoin de comprendre...
– Des reproches, c'était toujours des reproches
, pleure-t-il. Mais ça s'est passé pas comme ils disent. Je l'ai jamais battue. Je l'ai jamais battue.
Mais j'ai jamais dit que tu l'avais battue!

Me Florand veut l'entendre dire. Il demande: «Vous étiez seul? Vous l'avez fait seul?» Jonathann Daval hoche la tête: «Oui.»

À ce simple mot, Isabelle Fouillot relâche les épaules, pose une main sur son front, et éclate en sanglots à son tour. Jonathann veut aller vers elle. Il se lève, tombe à genoux. Elle fait un pas vers lui, lui tend la main, et l'aide à se relever. Il pleure sur son épaule. Il dit qu'il ne voulait pas réagir comme ça. Qu'il y a l'univers carcéral, et toutes ces choses auxquelles il faut faire face. Qu'il n'a pas su comment réagir face à ça.

Puis il secoue la tête et d'un geste de la main, balaie devant lui: «Par contre le feu, le feu c'est pas moi. Je ne l'ai pas brûlée.»

La vérité est un chemin sinueux. Il se construit pavé après pavé.

«Dire qu'on l'a aimée, qu'on l'aime encore... Foutaises!»

Trois mois plus tard, le 3 mars 2019 –c'est un week-end–, un événement curieux se produit. Il y a un cambriolage au domicile d'Alexia et Jonathann Daval, rue Sonjour, à Gray-la-Ville. L'effraction, en soi, n'est pas surprenante: les maisons inoccupées sont des cibles faciles. Ce qui est étonnant, ce sont les objets dérobés: les sextoys rangés dans la table de nuit, des albums de famille, et l'alliance d'Alexia. Le ou les auteurs des faits ne seront jamais retrouvés. Le vol, classé sans suite.

Le 17 juin de la même année, plusieurs camions de gendarmes stationnent devant la maison rue Sonjour. Une reconstitution est organisée sur les lieux. Sur les photographies projetées au palais de justice de Vesoul, Jonathann Daval pose avec un gilet pare-balles bleu marine à bandes réfléchissantes, à côté de la gendarme chargée de prendre le rôle de la victime. Il pleure.

Sur d'autres photos, ils sont dans les escaliers menant au garage. La gendarme est entre Jonathann Daval et la rambarde de l'escalier. Il plaque la tête de la gendarme contre le mur. Photo suivante. Il lui serre le cou. Jonathann Daval accepte le chronomètre. Cela dure quatre minutes. Sur les images, il ne regarde jamais la gendarme.

«Si je vous demandais, là, une minute de silence, vous la trouveriez longue, suggère Jean-Pierre Fouillot, le père d'Alexia, aux jurés. Imaginez si je vous demandais quatre à cinq minutes de silence.» Il lâche: «Dire qu'on l'a aimée, qu'on l'aime encore... Foutaises!»

«Moi je ne vois pas un mannequin, je vois ma fille»

La gendarme a disparu. Un mannequin est désormais étendu dans les escaliers, tête en bas. Jonathann Daval s'approche de lui, touche le visage avec la main, «des gifles» pour réveiller la masse inerte. Il le tire par les aisselles, jusqu'à la salle de sport «pour la mettre à plat». Il va chercher son véhicule professionnel, le Citroën Nemo. Roule sur la plaque métallique. Le rentre dans le garage à côté de sa propre voiture, une Audi.

Le président se tourne vers Jonathann Daval dans le box des accusés:

– Pourquoi le Nemo, alors que vous savez qu'il est muni d'un tracker?
– Le coffre de l'Audi est beaucoup plus haut.

Une fois le mannequin posé dans le véhicule utilitaire, il le recouvre d'un drap. Ferme le coffre à 1h33. Rentre dans la maison, prend plusieurs cachets de Stilnox, un somnifère, et va se coucher. Il ne parvient pas à dormir. À plusieurs reprises, au cours de la nuit et au petit matin, le tracker du Citroën Nemo se déclenche. 4h41. 6h52. 8h23. Jonathann Daval ouvre le coffre pour vérifier si c'est «réel». Il imagine le scénario de la course à pied. Il enfile des baskets aux pieds d'Alexia.

«Ce qui me choque, notera plus tard son beau-frère, Grégory Gay, à la barre, c'est qu'il retire son alliance. J'y vois un trophée.»

Puis il envoie un texto en toutes lettres à la famille Fouillot depuis le téléphone portable de sa femme: «Hello tout le monde. Je vais aller courir un coup, je passerai peut-être vous faire un coucou si je suis motivée, bisous.» Il se met en route. Il roule plusieurs kilomètres vers le sud, le long de la Saône, jusqu'à voir «le premier embranchement». Il quitte la départementale et entre dans le bois de la Vaivre, sur la commune d'Esmoulins.

Jean-Pierre Fouillot est présent lors de la reconstitution. Il se souvient: «Il la sort par les pieds. La tête tombe par terre.» Avant d'ajouter: «Moi je ne vois pas un mannequin, je vois ma fille, son corps traînant par terre. Alors qu'on ne me parle pas d'amour.»

Me Caty Richard, l'avocate de l'oncle d'Alexia Fouillot, demande à Jonathann Daval: «Pourquoi vous la tirez par les pieds?» L'accusé mime le mouvement et, d'une voix basse, énonce: «Parce que dans le Nemo, ce sont les premiers membres qui arrivaient...» «C'est votre femme», réplique Me Richard. Dans un murmure, il répond: «Oui.»

«On ne t'en voudra pas plus»

Jonathann Daval marche à reculons sur le chantier, tirant le mannequin jusqu'à deux troncs d'arbre. Il remet le drap dessus. Puis les lunettes rouges «parce qu'elle portait ses lunettes, ce soir-là».

Ensuite, rien. Il est parti. Il n'y a pas eu de bombe à mousse expansive, pas d'allumettes, ni de briquet. Dans le bois de la Vaivre, on lui explique: «La combustion n'a pu être spontanée.» On lui montre le bouchon blanc, celui retrouvé sous le corps.

Isabelle supplie Jonathann: «S'il te plaît, dis la vérité. Va jusqu'au bout. Tu l'as dit à quelqu'un? Tu l'as fait? Ça ne la ramènera pas. [...] Soulage notre douleur. S'il te plaît, va au bout. On ne t'en voudra pas plus. Fais-le pour elle.»

Jonathann Daval demande à s'isoler un instant. À l'écart des magistrats, des enquêteurs et des experts venus assister à la reconstitution, il s'assied dans le bois. L'histoire du complot familial, c'était «pour sortir de prison», a-t-il admis. Il avait d'ailleurs fait, au lendemain de son audition, une demande de remise en liberté. Nier la crémation relève d'un autre ressort de la psyché humaine. Il y a les choses que l'on avoue aux autres, et celles que l'on s'avoue à soi-même. Au-dessus du bois de la Vaivre, un hélicoptère tourne dans les airs. Un drone est également chargé de vérifier qu'aucun journaliste ne pénètre dans la zone.

Au bout de douze minutes, Jonathann se redresse et rejoint les équipes judiciaires. Il avoue pour la bombe de mousse inflammable: il l'a aspergée aux quatre coins du drap, a sorti un briquet de sa poche, et au départ du feu, il est parti.

«C'est dur de désaimer quelqu'un»

Un an et demi plus tard, Me Ornella Spatafora se lève du siège de la défense. À la barre, Jean-Pierre Fouillot la fixe du regard.

– Vous vous souvenez, à la reconstitution? l'interroge-t-elle. Vous êtes venu me voir, et vous m'avez demandé quelque chose...
– Si je pouvais parler à Jonathann.
– L'administration pénitentiaire était surprise. Ils m'ont demandé: “Qu'est-ce qu'on fait, Maître? On les laisse converser?” Et puis, on vous sentait sincère. Vous vous souvenez de ce que vous lui avez dit?
– Que par rapport à Alexia, je ne pouvais pas le prendre dans mes bras, mais que... Je vais peut-être blesser,
glisse-t-il, avant de poursuivre: Je l'aimais toujours.
Vous avez dit par respect pour Alexia. Vous l'avez fait spontanément.

– Avec le recul, je serais loin de lui redire les mêmes mots. Au fil des jours, des mois, je me suis rendu compte de la monstruosité de la chose. J'étais dans l'émotion le jour J.

Il se tourne vers le président de la cour d'assises et confie: «Je culpabilise d'avoir eu ces mots, pour Alexia.» Avant de préciser: «Sans ses mensonges, ça aurait été un meurtre comme un autre. Mais ça n'aurait pas changé qu'Alexia ne serait plus là. Ce sont les circonstances. Si Jonathann avait étranglé Alexia... Mais là, c'est le massacre d'un corps. Meilleur acteur, meilleur scénariste! Mais au bout du film, il y a marqué “fin”. Il n'y a pas pensé. S'il nous avait téléphoné... ça aurait tout changé.»

Isabelle Fouillot se souvient de ce moment entre Jonathann et son mari, à la fin de la reconstitution. À la barre, elle dit simplement: «C'est dur de désaimer quelqu'un.»

Elle secoue la tête: «Pour nous, c'était un bon garçon. Il avait les clés de la maison.» Une question la hante encore: «Qu'est-ce qu'il est venu faire dans notre famille? Qu'est-ce qu'il est venu chercher?»

Vous venez de lire le cinquième épisode de notre série Alexia Fouillot, épouse Daval. Le sixième est à retrouver ici.

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