En psychanalyse, le transfert est la projection de sentiments ou de désirs de la personne en analyse sur une tierce personne, celle-ci étant généralement son analyste. Ainsi, le patient ou la patiente reproduit un sentiment connu ainsi que des émotions familières, envers la personne qui l'écoute.
Cette projection peut trouver sa source dans le rapport aux parents, à des amant·es passé·es, à des traumatismes enfouis. Le transfert est alors une mise en scène, au présent, de souffrances antérieures sur lesquelles on n'arrive pas toujours à mettre de mots. Patient·e et thérapeute rejouent métaphoriquement la situation problématique et débloquent ainsi le traumatisme.
Dans son essai Comme psy comme ça, la YouTubeuse et psychologue clinicienne Emmanuelle Laurent rappelle que le phénomène de transfert n'est pas exclusivement réservé à la thérapie:
«On suppose un savoir à quelqu'un souvent dû à sa fonction (mais ça se retrouve aussi en amour) et ce savoir devient une forme de pouvoir. C'est le médecin qui va me soigner, donc je le laisse trifouiller mon vagin si j'ai une mycose. [...] Quand un médecin prescrit des comprimés placebo pour une maladie bénigne, il use aussi du transfert, il compte sur l'argument d'autorité pour soigner. C'est de la suggestion, quasi de l'hypnose, la main de Maman sur le ventre avant de s'endormir. [...] Freud repère cette soumission du soigné par rapport au soignant et rapproche ça aussi du comportement de l'élève face au professeur, de l'enfant face au parent...»
Elle souligne que cette confiance, parfois quasi aveugle, est nécessaire. En effet, la thérapie ou les cours face à un·e professeur·e se révéleraient totalement vains si on les abordait en n'y croyant pas du tout: «Une fois qu'on a dit ça, à quoi ça sert de repérer ce schéma dans le soin psychique? C'est surtout pour le psy que c'est important. Qu'il ne se prenne pas trop pour une star quand il est aimé, et qu'il ne prenne pas trop personnellement les attaques quand il est détesté. Ça reste compliqué de faire la part des choses entre ce qui est projeté par le patient et ce qui est réel.»
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Vice versa
La disposition des psychanalystes à l'encontre des patient·es s'appelle le contre-transfert. Mal géré, comme le souligne Emmanuelle Laurent, il peut être dévastateur. C'est ce que raconte avec humour le film L'Art de séduire: une patiente (interprétée par Julie Gayet) d'un analyste (Mathieu Demy) souhaite arrêter la thérapie entamée ensemble parce qu'elle se sent mieux. Mais le psy n'est pas d'accord; il semble même avoir commencé à développer des sentiments pour sa patiente. Son obsession pour elle ne faisant que grandir, il tente par tous les moyens de la revoir hors de son cabinet.
Une amie lui rappelle qu'il a dépassé les limites: «T'es une référence pour ces gens. Et là tu es parti en couille.» Celle qui n'est plus une patiente, face à la déclaration d'amour, raconte comment elle-même a géré le transfert: «Je me suis forcée à ne pas t'aimer.» Par peur d'être manipulée par sa vulnérabilité pendant les séances, elle a préféré imaginer que son thérapeute était «un sinistre con». Pour le psy, c'est la douche froide: «Je ne suis pas ton psy. Je suis un homme, c'est tout.»
Finalement, le psy n'aime pas vraiment sa patiente, mais uniquement sa projection. Et elle n'est pas réellement attirée par lui. Les deux adultes ont joué la comédie des sentiments, comme des enfants. Parce que leur histoire ne se concrétise pas vraiment, les rôles assignés au départ sont saufs. Les deux personnages n'ont pas à être plus que psy et patiente, même une fois la thérapie terminée.
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Mortels transferts
Pulsions de Brian De Palma joue aussi avec le transfert, les sentiments ambivalents qu'il recouvre et la symbolique freudienne. Dans la scène d'ouverture, le Dr Elliott (Michael Caine) accueille sa patiente, la belle Kate Miller (Angie Dickinson). Frustrée par son mariage, celle-ci a besoin de séduire. Cette pulsion se reporte alors naturellement sur son psy:
– Vous me trouvez séduisante?
– Bien sûr.
– Vous voulez coucher avec moi?
– Oui.
– Alors pourquoi pas?
Celui-ci se regarde son miroir et répond: «Parce que j'aime ma femme et que je ne veux pas compromettre mon couple.» Quelques heures plus tard, c'est par le rasoir du psy, alors que celui-ci s'était refusé à elle, qu'elle est pénétrée dans sa chair et tuée.
Dans le numéro 103 de la revue de psychanalyse Topique, la psychanalyste Michelle Moreau Ricaud signe un article intitulé «Le contre-transfert: une névrose passagère de l'analyste?». Elle y évoque des réactions physiologiques des thérapeutes relevant du contre-transfert:
«Peuvent se présenter soudain dans la cure, du côté de l'analyste, des moments plus ou moins brefs de malaise, de fatigue, d'altération de la notion du temps des séances, d'angoisse, d'inhibition à interpréter ou à penser, des rêves de transfert, des actings, un dévouement excessif, compassionnel, etc., moments qui mettent les analystes en danger. On peut aussi voir se développer une passion analytique pouvant aller jusqu'à la “folie à deux”. Ou bien encore des moments d'“absence”, allant jusqu'à l'endormissement répétitif en séance par exemple.»
Quand l'analyste n'est plus
Ces réactions singulières sont abordées dans le thriller Mortel Transfert de Jean-Jacques Beineix. Le psychanalyste Michel Durand (Jean-Hugues Anglade) est soumis à rude épreuve pendant ses séances avec Olga Kubler (Hélène de Fougerolles). D'une nature perverse, la jeune femme joue à l'aguicher et à titiller ses limites personnelles. Il dit d'elle: «Je crois qu'elle essaye d'éveiller en moi des désirs meurtriers.»
Comme dans Pulsions, c'est par la mort que le thérapeute et la patiente se rapprochent. Pendant une séance, il s'endort dans son fauteuil. À son réveil, il la retrouve morte, étranglée. Le bouche-à-bouche qu'il lui prodigue afin de la réanimer relève plus du corps-à-corps sensuel. Plus tard, avec le recul, il admettra: «Je suis entré dans une danse de mort avec Olga et j'ai cessé d'être analyste.»
Si transfert et contre-transfert se révèlent parfois nécessaires à la thérapie ainsi qu'à une infinité de relations de pouvoir dans la vie quotidienne, le cinéma rappelle combien leurs contours sont fragiles. Si invariablement, dans ces œuvres, des femmes allongées sur le divan en font les frais, c'est moins à cause de leur sursexualisation que de la faiblesse de leurs analystes.