Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]
Sirène d'ambulances, klaxons incessants, travaux dans la rue... Les oreilles et les nerfs des citadins peuvent être mis à rude épreuve. L'exposition à de tels bruits n'a pourtant rien d'anodin: elle peut peser sur la santé mentale et physique, jusqu'à réduire l'espérance de vie de celui ou celle qui les encaisse.
Parfois, il n'y a pas besoin de chercher bien loin pour subir les nuisances sonores. Un voisin de table qui mastique trop fort et vous avez envie de lui enfoncer la tête dans son assiette? Une respiration trop appuyée et vous partez au quart de tour, les poils hérissés? Votre réaction parfois complètement excessive, allant du dégoût à la colère, peut même vous étonner. Non, rassurez-vous, vous n'êtes pas fou: vous souffrez peut-être de misophonie.
La haine du son
C'est un trouble encore méconnu, mais de plus en plus étudié. Littéralement une haine du son, la misophonie est un trouble neuropsychique assez courant, qui se traduit par une réaction émotionnelle disproportionnée et un désir intense d'arrêter ou d'échapper à un bruit particulier.
Les scientifiques ont remarqué que, si les sons déclencheurs de ces réactions pouvaient varier d'une personne à l'autre, certaines catégories revenaient particulièrement souvent. Parmi elles, les bruits de bouche, notamment pendant un repas, mais aussi la respiration, les bruits nasaux, et ceux liés aux doigts et mains, comme quand quelqu'un tape sur un clavier. Autant de sons qui donnent envie aux misophones de tout casser.
La colère et la violence font partie des réactions possibles. Une étude a révélé que 29% des personnes devenaient verbalement agressives en entendant ce ou ces bruits qu'elles détestent tant. L'anxiété survient également, tout comme le dégoût. Et les misophones ont beau se rendre compte du caractère excessif de leur réaction, rien n'y fait: la haine du son prend toujours le pas, du moins jusqu'à ce que la nuisance s'arrête.
Au quotidien, la misophonie est un vrai fléau. Elle impacte directement la santé mentale de celui ou celle qui en souffre, ainsi que ses relations sociales. Qui dit interaction avec le monde extérieur dit exposition potentielle à ce bruit intempestif. Si l'on devait décrire en une phrase l'enfer d'un misophone, ce serait sûrement un repas de famille, où tout le monde mastique à tout va, respirant les narines grandes ouvertes à l'image d'un bruyant aspirateur avec, en prime, des bruits de mains qui tapotent la table. Un supplice.
Comment les scientifiques expliquent-ils ces réactions disproportionnées? Pour l'instant, le chemin vers une compréhension totale de cette condition est encore long, d'autant que son identification est très récente, puisqu'elle date seulement de 2001. Quelques pistes émergent cependant.
Les misophones auraient quasiment tous un point commun: cette aversion se développerait dans l'enfance et tendrait à s'aggraver avec le temps.
Le principal fautif serait le réseau de saillance, système cérébral qui englobe l'insula et le cortex cingulaire antérieur, et qui effectue normalement un travail de hiérarchisation entre les diverses informations perçues. Chez les personnes souffrant de misophonie, le cortex auditif particulièrement sensible provoquerait une réponse exagérée à des stimuli spécifiques, ce qui amplifierait le système de saillance.
Certains sons seraient alors perçus comme insupportables sur le plan émotionnel, précise Le Monde. Quoi qu'il en soit, les misophones auraient quasiment tous un point commun: cette aversion particulière se développerait dans l'enfance et tendrait à s'aggraver avec le temps.
Le bruit, ce poison pour la santé
Les bruits de bouche sont loin d'être les seuls à peser lourd sur la santé. Et pas besoin d'être misophone pour le ressentir. Chaque année en Europe, environ 12.000 décès prématurés seraient liés aux nuisances sonores, indique le dernier rapport de l'Agence européenne pour l'environnement. En Île-de-France, un chiffre en particulier fait froid dans le dos: 107.766. C'est le nombre d'années de vie en bonne santé perdues tous les ans dans la région à cause du bruit.
Altération du sommeil, du système auditif, hypertension, augmentation des maladies cardiovasculaires... L'exposition à long terme à la pollution sonore est un poison. Même à faible intensité. «Un bruit imprévisible, mécanique ou digital, comme un klaxon ou une simple notification de téléphone, va mettre notre cerveau en état d'alerte», explique au Figaro Michel Le Van Quyen, directeur de recherche à l'Inserm, au Laboratoire d'imagerie biomédicale (LIB).
Ces bourdonnements incessants peuvent pourrir la vie au quotidien. Des crises d'angoisse à la démence, il ne faut pas sous-estimer leur impact.
Sur le long terme, cette hypervigilance, exacerbée quand on habite près d'une route bruyante par exemple, entraîne la sécrétion d'hormones de stress ravageuses pour le système cardiovasculaire, tout en impactant notre cerveau, qui n'a jamais le temps de se régénérer. Le corps et l'esprit finissent par s'user.
Notre santé mentale peut, elle aussi, prendre un sacré coup. Surtout si ces bruits entraînent une surdité partielle, qui s'accompagne souvent de perturbations cérébrales à l'origine de sifflements lancinants. Connus sous le nom d'acouphènes, ces bourdonnements incessants peuvent pourrir la vie au quotidien. Des crises d'angoisse à la démence, il ne faut surtout pas sous-estimer leur impact.
Évidemment, certains sons sont plus pénibles que d'autres. La répétition joue également son rôle. Combinez les deux et vous obtiendrez un cocktail particulièrement éprouvant pour les nerfs. Et ça, deux gardiens d'une prison de l'Oklahoma, aux États-Unis, l'ont bien compris. Ces derniers ont fini derrière les barreaux après avoir inventé en 2019 une sordide méthode pour torturer les détenus sous leur garde: leur passer en boucle et à un volume élevé la chanson enfantine et répétitive «Baby Shark». De quoi devenir fou.