Santé

«À quoi sert le transfert entre un patient et son psychothérapeute?»

Temps de lecture : 4 min

Cette semaine, Mardi Noir conseille Françoise, qui se demande ce que signifie le transfert en thérapie.

Le transfert, c'est projeter sur quelqu'un un petit bout de soi qui permet de lui donner du crédit.| Nicole Cagnina via Unsplash
Le transfert, c'est projeter sur quelqu'un un petit bout de soi qui permet de lui donner du crédit.| Nicole Cagnina via Unsplash

Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.

Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.

Chère Mardi Noir,

À quoi sert le transfert entre une personne qui suit une psychothérapie et son ou sa psychothérapeute? Est-ce voulu et provoqué?

Merci pour votre prochaine réponse,

Françoise

Chère Françoise,

Je dois admettre que quand j'ai découvert votre question, j'ai ri, à cause du «est-ce voulu et provoqué?». Non par moquerie, mais plutôt à cause d'une interrogation que j'ai d'abord perçue comme naïve. Et puis, je me suis souvenue de ma première année en fac de psychologie clinique. Cela faisait pourtant déjà sept ans que j'étais moi-même en analyse, et quand les professeurs évoquaient le transfert, j'étais paumée.

J'avais l'impression qu'on parlait d'un objet mal défini, d'un animal sans contours, une sorte de masse informe et presque magique… Enfin bref, j'espère que vous l'aurez compris: je vous remercie pour cette question! Cette histoire de transfert n'a rien d'évident, et à ce compte-là, vous avez tout à fait raison de penser qu'on le provoque, qu'on l'instaure, alors qu'il n'en est rien: on le repère, et parfois on s'appuie dessus dans le déroulé de l'analyse.

Avant de vous répondre plus précisément, je dirais que le transfert est présent dans de nombreuses situations. La définition que je chéris le plus est celle de Lacan, qui nous enseigne que le transfert, c'est faire de quelqu'un un être supposé savoir. Supposé savoir quoi? Ça dépend de la personne et de sa fonction: supposé savoir nous soigner, nous apprendre, nous écouter, nous aimer… La liste est longue!

Mon médecin généraliste, je lui suppose un diplôme de médecine, je n'ai d'ailleurs jamais vérifié s'il l'avait bien obtenu, je suis partie du principe qu'il ne me mentait pas. Et je pars de ce principe pour tous les médecins (à tort! Mais heureusement, je sais que les charlatans ne sont pas majoritaires). Mais alors pourquoi ce médecin en particulier est-il mieux pour moi qu'un autre? Ce n'est pas qu'il soit le meilleur d'entre tous, et si je ne me base que sur sa fonction, je pourrais bien aller voir n'importe lequel. Et pourtant, c'est toujours lui que je consulte.

Mon médecin n'est pas rassurant, mais il est beau, et ça compte pour moi. Il a par ailleurs un prénom loufoque chargé d'histoire. Je ne le dévoilerai pas ici, mais pour vous donner une idée, c'est un peu comme si Napoléon vous demandait: «Ouvrez grand la bouche et dites “aaaaaah”.» Pour couronner le tout, il a bien diagnostiqué deux maux bien pénibles que je me trimballais. Voilà quelques éléments qui me permettent d'avoir un transfert positif quand je vais le voir. Certes, ça l'aide à me soigner pas trop mal –c'est toujours plus compliqué de soigner quelqu'un qui se méfie de vous ou vous agresse–, mais ce qui lui permet de faire son travail, ce sont ses connaissances en médecine.

C'est ça le transfert! C'est projeter sur quelqu'un un petit bout de soi qui permet de lui donner du crédit.

Qu'en est-il pour un psy? Eh bien, certains travaillent principalement à partir de leur savoir, qu'ils utilisent pour soigner, améliorer, réadapter, et d'autres travaillent en considérant le transfert, allant parfois jusqu'à en faire un enjeu fondamental de la cure, susceptible de donner des indications.

Quand j'ai choisi ma deuxième psychanalyste, je l'ai choisie principalement à cause de son nom, qui avait une consonance juive. Aussi parce que c'était une femme assez jeune. Mais la raison première a été son nom et sa localisation: elle était installée en face d'une grande institution française dont mon géniteur avait été le directeur. Elle n'en savait rien avant que je lui en parle, mais de mon point de vue, je lui attribuais déjà une sorte de savoir et de pouvoir, juste à cause de son nom et de l'endroit où elle recevait. C'est ça le transfert! C'est projeter sur quelqu'un un petit bout de soi qui permet de lui donner du crédit.

Évidemment, si elle avait été absolument nulle, j'imagine que ç'aurait fait long feu. Bon, il se trouve qu'elle avait d'autres qualités que je lui prêtais avant de la rencontrer: ses études, sa beauté (oui hein, j'ai un truc avec ça), certaines de ses interventions publiques… Au fond, j'avais le couple de mes parents d'un côté, et j'imagine que je tentais de créer un deuxième couple parental: mon géniteur et cette psy. Tout cela est très fantaisiste bien entendu, et pourtant, c'est ce fantasme qui m'a permis de m'engager dans le travail, de faire confiance, de me donner envie d'y aller les jours où j'avais la flemme.

Quant à mon premier psy, le transfert était moins imaginatif, il y avait sa fonction qui jouait: il était psychiatre et je voulais absolument un médecin, et comble du comble, mon médecin généraliste de l'époque suivait une analyse avec lui. J'allais donc voir l'analyste de mon médecin: cet homme allait forcément pouvoir me soigner. J'ai tenu à cette branche de longues années avant de me rendre compte qu'il allait falloir que j'y mette aussi un peu du mien dans cette affaire. Mais encore une fois, sans cette croyance, j'aurais peut-être abandonné très tôt.

Je me souviens d'un jour où je lui racontais une anecdote, j'ai eu ce tic verbal: «vous savez», et lui m'a répondu «non je ne sais pas». Cela faisait bien six ans que j'allais le voir. Et ça m'a secouée comme une révélation: mais oui, il n'en sait rien, JE lui apprends quelque chose sur moi. Et d'un homme à qui je supposais un savoir infini, à partir de cet instant je lui ai supposé une patience d'ange. Je lui répétais en boucle les mêmes trucs attendant de sa part une explication, jusqu'au jour où j'ai compris qu'il fallait plutôt que je lui explique ce qu'il m'arrivait.

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